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Jeanne Gérard : « Il y a chez Massenet une théâtralité intrinsèque qui me bouleverse »

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Interview
3 juin 2021
Jeanne Gérard : « Il y a chez Massenet une théâtralité intrinsèque qui me bouleverse »

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Lauréate du concours de chant lyrique de Mâcon en 2019 et nominée en tant que révélation lyrique aux Victoires de la musique classique 2021, Jeanne Gérard a fait des débuts très remarqués sur la scène lyrique. À la veille de sa prise de rôle en Sophie dans Werther à l’Opéra de Nice, la jeune soprano revient pour nous sur sa vision du rôle de Sophie, le début de sa carrière ainsi que ses nombreux projets à venir.


 

C’est votre prise de rôle en Sophie dans Werther, à l’Opéra de Nice. Comment avez-vous répété malgré le contexte sanitaire ? 

Les répétitions ont été assez perturbées par la crise sanitaire. Le début de la production a dû être décalé d’une semaine. Jusqu’à la dernière minute, nous ignorions si elle allait voir le jour. Nous attendions fébrilement les annonces gouvernementales et, à notre grande surprise, elles se sont révélées favorables. Je n’avais jamais été aussi heureuse de retrouver mes collègues et l’enthousiasme semblait partagé par tous ! Dix jours après le début des répétitions, un cas de Covid nous a contraints à suspendre les répétitions. Nous nous sommes efforcés de perdre le moins de temps possible en organisant des séances de travail par Zoom pendant lesquelles nos metteurs en scène et la régie nous expliquaient notre parcours scénique des IIIe et IVe actes. C’était une drôle d’expérience ! Heureusement, grâce au protocole sanitaire très strict de l’Opéra, aucun autre membre de l’équipe n’a été contaminé et nous avons pu reprendre les répétitions quelques jours plus tard. Il a alors fallu redoubler d’efficacité. Ce n’est pas chose facile de se voir amputé tant de jours de répétitions pour une création mais Sandra Pocceschi, Giacomo Strada et les équipes techniques de l’Opéra de Nice ont fait preuve de capacités d’adaptation qui forcent l’admiration. 

Sophie est particulièrement lumineuse et joyeuse dans un opéra où tous les personnages principaux sont mélancoliques ou amers. Comment avez-vous déterminé le bon positionnement du rôle ?

Sophie est en effet un « personnage » lumineux et joyeux : elle porte le masque de la joie pour que son château de cartes ne s’effondre pas. Je ne signifie pas du tout par là que cette joie soit entièrement feinte ou construite. Elle est très présente chez Sophie mais elle n’en est à la fois que l’épiderme et le noyau. Entre les deux, il y a du jeu. Sophie ressent le divin dans chaque être et chaque chose, et c’est de cette perception que jaillit sa joie première. A cette sorte de panthéisme, proche de l’exaltation werthérienne, s’oppose la foi verticale, transcendante et soumise de Charlotte. Aussi, précisément parce qu’elle est en lien avec cette source dans un monde désolé et endeuillé, devient-elle responsable de la propagation de cette lumière. Dans la production de Sandra Pocceschi et Giacomo Strada, Sophie est la porteuse de lumière au sens figuré et au sens propre : sa tâche, son rôle sont ainsi définis. Elle se doit d’égayer les cœurs assombris de ceux qui l’entourent et tâcher de taire ses états d’âme propres. De la même manière que Charlotte doit jouer le rôle de la bonne mère, Sophie doit jouer le rôle de l’enfant gaie. Mais ni l’une, ni l’autre ne peuvent tenir les rôles respectifs qui leur ont été assignés et sur lesquels repose l’homéostasie de ce microcosme. Le drame de Sophie, c’est que si elle avait été âgée de cinq ans de plus, elle aurait pu être une héroïne romantique. Mais, encore considérée par tous comme une enfant (sauf par Albert), elle reste à la fois l’ombre de Charlotte et le double inversé de Werther, sur qui elle projette tous ses désirs d’amour et de passion.

Vous avez été nominée en tant que révélation lyrique aux Victoires de la musique classique 2021. Que retenez-vous de cette expérience ?

Je garde un excellent souvenir des Victoires de la Musique Classique car elles m’ont permis de chanter mon répertoire de prédilection devant un large public et d’être entendue par de nombreux professionnels. Je me suis sentie particulièrement chanceuse de bénéficier de ce coup de projecteur pendant la période éprouvante que nous traversions. 

Concours de Mâcon, Festival de Verbier, Chorégies d’Orange, Victoires de la musique 2021…Votre carrière a démarré sur les chapeaux de roues. Comment abordez-vous ce début de carrière, en termes de choix de répertoire, de rôle et de scènes ?

Je suis longtemps restée devant des portes fermées. Leur ouverture progressive m’est apparue comme un miracle ; j’étais sur le point de perdre courage. Tout semble s’accélérer depuis deux ans, et particulièrement depuis quelques mois… C’est très enthousiasmant ! Pour ce qui est du choix de répertoire, ce sont mes affinités musicales et mes capacités vocales actuelles qui me guident. Je fais confiance à mon intuition, tout en écoutant les conseils avisés de mon chef de chant, de mon professeur et de mon agent. 

À ce stade de votre carrière, comment est-ce que vous définissez votre voix de soprano ? Est-ce que vous la travaillez dans une direction particulière ?

Je préfère penser en termes de rôles plutôt que de « Fach* ». Mais si je devais définir le mien, disons que je suis soprano lyrique colorature. Ma direction de travail est précisément de cultiver ces deux caractéristiques : j’aide le lyrisme à se développer tout en continuant à exercer quotidiennement ma souplesse, mon agilité et la finesse de l’émission. C’est en travaillant sur cette polarité de façon équilibrée que ma voix s’épanouit pleinement et que je peux aborder avec confiance des rôles nécessitant à la fois de la densité et de la légèreté.

Quels sont vos projets pour les prochains mois et pour la saison 2021-2022 ?

Après la production de Werther, je retournerai à différents festivals estivaux qui me tiennent particulièrement à cœur : le Festival de Verbier, les Chorégies d’Orange, le Festival Jeunes Talents… Je chanterai également à La Scala de Paris, aux Estivales de Musique en Médoc, à la Maison de Colette, au Festival Offenbach d’Etretat… Beaucoup de musique, de programmes très divers et la joie de faire de la musique avec de magnifiques partenaires tels qu’Irène Kudela, Kaëlig Boché, Karol Beffa, le quatuor Agate, Mathieu Herzog, l’ensemble Appassionato, Adèle Charvet et Ambroisine Bré.

La saison prochaine fera la part belle à la musique de chambre, avec notamment mon premier récital « solo » à Carnegie Hall, le festival Nouveaux Horizons au Grand Théâtre de Provence aux côtés de Renaud Capuçon, une participation à la saison de l’Instant Lyrique… Mais elle sera également marquée par trois prises de rôle dont je me réjouis beaucoup : Gilda au Théâtre des Champs Elysées et à l’opéra de Rouen (dans une version française), Pamina au Théâtre Scène Nationale de Mâcon (qui avait été reportée à cause de la crise sanitaire) et Micaëla à la Seine Musicale. 

Vous affectionnez Massenet, Verdi et Puccini. Quels sont les répertoire et rôles vers lesquels vous souhaiteriez ou rêveriez de vous tourner prochainement et à plus long terme ? 

Je suis amoureuse de l’opéra italien et français du XIXème. C’est aussi ce répertoire qui me correspond le mieux vocalement aujourd’hui. Je rêve de Lucia, Violetta, Liù, Giulietta, Juliette, Ophélie… de Manon, bien sûr ! Il y a chez Massenet une adéquation parfaite entre la musique et le texte, une théâtralité intrinsèque qui me bouleverse. J’aime aussi immensément les opéras de Mozart. Donna Anna, la Comtesse, Fiordiliggi sont des rôles que j’adorerais aborder dans un futur proche. Et puis je rêve d’une autre Sophie : celle du Rosenkavalier de Strauss. 

Propos reccueillis le 1er juin 2021.

*NDLR : le système « Fach » désigne le classement des chanteurs et chanteuses selon leur tessiture.

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