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Reinoud Van Mechelen : « Prendre des risques est indispensable »

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Interview
16 janvier 2023

Infos sur l’œuvre

Détails

Tout juste couronné d’un « Disque du mois » pour son incarnation de Zoroastre dans l’opéra du même nom de Rameau, Reinoud Van Mechelen s’apprête à diriger à Versailles le très rare Céphale et Procris d’Élisabeth Jacquet de La Guerre. Trois ans après notre dernier entretien, nous rencontrons à nouveau le ténor belge pour évoquer ses nombreux projets, que ce soit comme chanteur ou comme directeur artistique de l’ensemble A Nocte Temporis.


Dans quelques jours, vous dirigerez et chanterez l’opéra Céphale et Procris, composé par Élisabeth Jacquet de La Guerre, une compositrice que l’on connaît surtout pour sa musique de clavecin et ses cantates. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?
C’est en faisant des recherches pour le programme du récital « Dumesny haute-contre de Lully », que j’ai découvert la partition d’Elisabeth Jacquet de la Guerre. Dumesny avait en effet créé le rôle de Céphale, et j’avais alors enregistré pour cet album le magnifique air « Amour que sous tes lois cruelles ». Cette œuvre est une belle tragédie, avec plusieurs airs sublimes. C’est la première fois que A Nocte Temporis et moi donnons un opéra en version intégrale, et, par la même occasion, mettons à l’honneur une compositrice. Nous allons présenter cette œuvre à trois reprises (Bruxelles, Namur et Versailles), avant de l’enregistrer. Il en existe déjà une gravure CD, mais non intégrale. Pour ce projet, il nous a fallu reconstruire une partition complète, en partant de l’édition Ballard de l’époque qui ne comporte que les lignes de chant, de 1er violon, et de basse. C’est François Saint-Yves qui a reconstitué les parties intermédiaires.

Comment cet opéra se situe-t-il musicalement par rapport à ceux de Lully ?
Cette tragédie lyrique est encore très influencée par Lully, même si Elisabeth Jacquet de La Guerre y a ajouté sa touche personnelle. À sa création en 1694, l’opéra avait été plutôt mal accueilli, mais c’était le cas de presque toutes les créations de l’époque. Le public regrettait Lully, mort une dizaine d’années auparavant, et ne voulait entendre que des reprises de ses opéras. Médée de Charpentier a ainsi également été un échec. Le grand intérêt de Céphale et Procris est de présenter une fin tragique, ce qui est intéressant, par rapport à d’autres œuvres (Atys, David et Jonathas) qui s’achèvent par un chœur joyeux. Il y a de longues scènes avec continuo, de très beaux arioso. Nous allons essayer de donner du sens au mot « tragédie » : dans ce type d’œuvres, le théâtre importe finalement tout autant que la musique !

En 2023, vous publierez le dernier opus de votre trilogie « Haute-Contre », un hommage au ténor Joseph Legros, qui a notamment chanté avec Gluck.
J’avais en tête ce projet de trilogie depuis plusieurs années, et il a été très important pour A Nocte Temporis. Nous avons d’abord enregistré le disque consacré à Dumesny, puis celui dédié à Jéliote, ce dernier malheureusement en distanciation du fait de la pandémie. Pour ce troisième opus, la pression était grande, car les deux premiers disques ont été très bien accueillis. De plus, j’avoue que je connaissais moins la période musicale dans laquelle a évolué Joseph Legros. Mais je suis très content du programme : il comporte les plus belles pages de l’Orphée parisien de Gluck, mais également du Grétry ou encore une très belle scène extraite de l’Atys de Piccinni. Cette trilogie « Haute-Contre » a tout son sens et n’est pas sans lien avec l’Italie. Il y a Lully le toscan, puis Rameau et la période de la querelle des Bouffons ou de l’opéra en occitan, et enfin Gluck qui a beaucoup composé sous influence italienne. Mais au final, la musique est bien française, écrite pour voix de haute-contre, et non pour castrat. Cette musique française reste encore insuffisamment appréciée à sa juste valeur, notamment en dehors de France.

Pour ce denier opus, vous dirigez à nouveau l’ensemble A Nocte Temporis, mais avec un orchestre plus fourni du fait de l’orchestration de l’époque de Gluck. Est-ce un challenge de chanter et de diriger en même temps ces œuvres ?
Oui, notamment parce que, vocalement, c’est plus difficile. Nous avons enregistré l’album consacré à Legros avec un orchestre relativement réduit, mais plus étoffé que pour les deux premiers disques. Il y a des clarinettes, des bassons, et même des trompettes pour une pièce. Comme j’avais déjà dirigé auparavant l’ensemble dans le Requiem de Campra, j’étais davantage confiant dans ma direction. Mais l’exercice est loin d’être évident : il faut être clair, tout en chantant. Mais j’ai la chance d’être accompagné par de très bons musiciens. Ce projet nous a permis de grandir et, pour ma voix, il y a une énorme différence vocale entre Dumesny et Le Gros, ce dernier étant presque proche de Nadir (Les Pêcheurs de perles) ou de Gérald (Lakmé).

En février, vous chanterez le rôle intégral de l’Orphée parisien de Gluck, avec les Arts Florissants et Paul Agnew.
Depuis ma participation au Jardin des Voix, j’ai une longue histoire avec les Arts Florissants. Cet Orphée avec Paul Agnew me réjouit. J’ai récemment chanté avec les Arts Florissant dans Titon et l’Aurore, sous la direction de William Christie, œuvre que nous allons probablement reprendre dans le cadre de son Festival dans les Jardins. Nous avons également un grand projet à l’Opéra de Paris pour la saison prochaine, qui sera confirmé prochainement.

Avez-vous également des projets autour de Mozart ?
Notre album dédié à Joseph Legros nous a tout naturellement conduit à Mozart. Nous enregistrerons ainsi avec A Nocte Temporis fin 2023 un double CD Mozart : d’un côté, les Concertos pour flûte avec Anna Besson en soliste, et de l’autre les Airs de concert ainsi qu’un air de Mitridate que j’ai déjà chanté en concert. En tant que ténor, j’ai également eu l’occasion d’interpréter Ferrando dans Cosi fan tutte, Belmonte dans une version française de l’Enlèvement au Sérail et Tamino de La Flûte enchantée à la Monnaie de Bruxelles. C’était un énorme plaisir et nous avons d’autres projets en ce sens.


Reinoud Van Mechelen © Senne Van der Ven

Chanter régulièrement de l’oratorio ou les Passions de Bach est-il important pour l’équilibre de votre voix ?
Incarner l’évangéliste dans les Passions est avant tout une merveille. Pour moi qui, tout petit, écoutait ces œuvres dirigées par Philippe Herreweghe, il est tout à fait incroyable de les chanter aujourd’hui sous sa direction. Après la Saint Matthieu l’an dernier avec lui, je vais donner la Saint Jean en 2023. Nous avons également pour projet de reprendre cette dernière avec A Nocte Temporis. Plus généralement, j’aime beaucoup chanter en concert. Il y a parfois beaucoup de place pour le théâtre dans le concert, alors que dans l’opéra, avec des fois trop de théâtre, on en oublie le théâtre.

Comment travaillez-vous pour découvrir de nouvelles partitions ?
Je fais beaucoup de recherches, et j’échange régulièrement avec les équipes du Centre de musique baroque de Versailles. La trilogie « Haute-contre » a demandé énormément de travail : il fallait lire beaucoup de musique, opéra par opéra, rôle par rôle. Mais au final, on découvre des pages intéressantes comme cela a été le cas avec Céphale et Procris. Nous allons sans doute monter des Actes de ballets, de Rameau et de deux compositeurs beaucoup moins connus : François-Lupien Grenet et Pierre Iso. Monter de tels projets nécessite de trouver des moyens conséquents. Les programmateurs prennent certes des risques, mais ceux-ci restent limités. Si l’on donne continuellement le Stabat Mater de Pergolèse, on ne parviendra pas à intéresser le public à autre chose. Prendre des risques est indispensable pour continuer à toucher un large auditoire. Or, chaque crise a ses répercussions sur le secteur artistique. Après la pandémie, il y a à présent la crise liée à l’énergie et l’inflation et certains de mes projets ont déjà dû être annulés.

En quoi est-ce important pour vous de travailler avec des ensembles jouant sur instruments d’époque ?
Jouer avec des instruments d’époque nous force à nous poser des questions, à élargir la palette des couleurs et à trouver d’autres voies dans le phrasé, dans l’équilibre. Les orchestres modernes ne me posent bien sûr aucun problème, mais, avec eux, tout va souvent dans le sens de davantage de puissance, davantage de brillance. Avec l’ensemble, nous nous attachons à travailler avec une tenue d’archets du XVIIe siècle. Nous avons toujours dans l’idée que les voix baroques étaient beaucoup moins puissantes que celles des siècles suivants, mais ceci est en fait très peu documenté. Lorsque l’on écoute par exemple des enregistrements historiques de la fin du XIXe siècle, on s’aperçoit que toutes les voix ne ressemblaient pas à celle de Caruso ! Les cordes en métal sont devenues majoritaires après la deuxième guerre mondiale et les orchestres de Bizet ou Wagner n’étaient pas du tout ceux d’aujourd’hui. Cela pose évidemment question.

Aimeriez-vous évoluer vers d’autres répertoires ?
J’ai déjà eu l’occasion de chanter Les Nuits d’été de Berlioz, Nadir des Pêcheurs de perles à Toulon ou encore Gérald de Lakmé en version de concert à Munich, et j’ai parcouru des partitions de Massenet ou de Gounod. Ma voix n’est pas si « petite » que cela, même si elle a été formée au baroque. J’ai envie d’explorer de nouvelles choses dans les années à venir. Je vais chanter cette année le Chevalier de La Force dans Le Dialogue des Carmélites à Liège. Cela bouge petit à petit, mais cela est très compliqué dans les conceptions du monde musical. Cela avance, lentement mais sûrement.

Avez-vous d’autres passions et le temps de vous y consacrer ?
Je consacre actuellement beaucoup de temps à rénover une maison, qui se trouve juste en face de celle que j’habite actuellement. J’aime également le sport, en particulier le cyclisme et le football. Et bien évidemment, ma famille m’apporte beaucoup de bonheur. Je me dis souvent qu’il faudrait moins travailler et profiter davantage du temps libre. Pendant la pandémie, les artistes se sont beaucoup questionnés à ce sujet. D’un côté, on se disait que c’était bien de disposer de plus de temps, mais de l’autre, on a commencé à retravailler dès que cela était possible, car tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. Trouver le bon équilibre n’est pas forcément évident !


Reinoud Van Mechelen © Senne Van der Ven

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