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Stéphane Degout : « je sens qu’un jour il faudra faire des choix »

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Interview
8 octobre 2012

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Stéphane Degout © Thibault Stipal

C’est à Verbier cet été, la veille de la représentation en concert de Pelléas et Mélisande, que nous avons rencontré Stéphane Degout. Crâne dégarni, regard bleu transparent fixé sur l’horizon, le jeune premier des débuts a visiblement mûri ; il a surtout gagné en assurance et en intensité. Une maturité épanouie qu’il met au service de ses interprétations comme on espère le constater de nouveau, du 12 au 23 octobre prochains, au Théâtre des Champs-Elysées (et du 6 au 15 novembre à l’Opéra de Lille) où le baryton interprète Oronte dans Médée de Charpentier.

 

 

 

Je me souviens de vos débuts aux Académies d’Aix en Provence dans La Flûte enchantée de Mozart. C’était en 1999 ! Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les premières années de votre carrière ?

Les débuts ont étés rapides, certes, mais pas précipités non plus. Tout s’est construit relativement facilement, une étape après l’autre : l’Académie d’Aix, puis la troupe à Lyon, puis les débuts à Paris. Je n’avais pas vraiment d’attente particulière, je profitais de tout ce qu’on m’offrait à l’époque (encore aujourd’hui d’ailleurs…), et surtout, je ne connaissais pas grand chose au répertoire ; j’avais tout à apprendre et je n’avais donc pas de plan de carrière !

 

Si vous jetez un regard rétrospectif sur ces premières années, y a-t-il des choses que vous regrettez d’avoir faites ou de n’avoir pas faites ?

Il y a une chose que je n’aurais sans doute pas dû faire, c’est le Don Juan avec Grüber en Allemagne. J’avais accepté la production précisément parce que c’était lui qui mettait en scène. Grüber représentait beaucoup pour moi à l’époque, tout comme Patrice Chéreau. Quand j’étais encore au lycée à Lyon, en section théâtre, on avait étudié leur travail, c’étaient des noms qui m’impressionnaient beaucoup ; et puis je ne sais trop pourquoi, la rencontre ne s’est pas faite, on s’est ratés. J’étais sans doute trop jeune pour le rôle, – il n’a l’air de rien quand on regarde la partition, mais bien sûr il tient tout sur ses épaules – c’était trop pour moi à ce moment là. Mais pour le reste, non, je n’ai pas trop de regrets, je trouve que les choses avancent de façon bien équilibrée.

 

Pour qui observe la vie des scènes lyriques depuis 25 ans, l’évolution la plus marquante est la part sans cesse croissante accordée à la mise en scène par rapport à tous les autres éléments du spectacle. En tant que chanteur, comment voyez-vous cette tendance ?

Personnellement, j’aime beaucoup travailler avec les metteurs en scène ; j’aime qu’ils me sollicitent, qu’ils me bousculent, qu’ils demandent toujours plus, parce que leur vision enrichit ma connaissance de l’œuvre et lui donne une cohérence. Mais ça ne marche pas à tous les coups ; parfois ils se servent des œuvres pour mettre en avant leur propre travail, ou pire : leur propre égo. Et c’est moins intéressant. Parfois aussi, ils donnent un coup de pied dans la fourmilière, et ça fait avancer les choses. Je pense par exemple à quelqu’un comme Warlikowski : ce qu’il propose est très novateur, très inscrit dans l’air du temps. Peut-être que dans 10 ans cela nous paraitra complètement dépassé, mais aujourd’hui, c’est intéressant à suivre, cela secoue un peu le public, qui en besoin. Le travail avec Chéreau aussi m’a appris bien des choses sur moi-même, sur la façon d’aborder un rôle, et me nourrit encore pour d’autres productions.

 

Cette mainmise des metteurs en scène se fait-elle parfois au détriment de la musique ?

Pas dans les expériences que j’ai eues. Dans mon travail à Paris ou à Bruxelles, par exemple, on a toujours eu beaucoup de respect pour la musique. Lorsque j’ai participé à Berlin en 2007 aux Vêpres de la Vierge de Monteverdi, dirigées par René Jacobs, le metteur en scène, Luc Perceval avait tenté de décomposer l’œuvre en faisant des coupes sombres dans la partition. Le chef a résisté farouchement, ils se sont très mal entendus… Evidemment, j’aurais sans doute un regard différent si je travaillais en Allemagne, où les choses vont parfois beaucoup plus loin ; ainsi à Bayreuth, – est-ce l’été dernier ? – on avait transposé Tanhaüser dans une cimenterie, et tous les personnages étaient devenus des ouvriers de cette cimenterie ; remplir une bétonneuse pendant le concours de chant, ça n’a pas beaucoup de sens…

 

Quels sont vos rêves secrets pour les prochaines années ?

Là j’ai 37 ans, et je sens qu’une période charnière s’engage. J’avais d’ailleurs eu le même sentiment autour de la trentaine. Plusieurs directions se présentent à moi et il faut faire des choix. Je ne vais probablement plus chanter Pelléas pendant 10 ans. J’avance en ce moment vers des rôles un peu plus dramatiques : j’ai chanté Wolfram en début de saison, ensuite Hamlet, cela me conduit vers un répertoire moins lyrique, et qui ouvre de larges possibilités. Ces directions ne sont pas exclusives, elles sont mêmes complémentaires pour l’instant mais je sens qu’un jour il faudra faire des choix. Onéguine va se présenter sur la route, Posa aussi j’espère. Cela reste des rôles de jeune homme, correspondant à des voix plus légères, comme la mienne. Cela dit, je suis probablement un Pelléas un peu plus viril que ce qu’on entend d’habitude…

 

On a souvent une vision éthérée du personnage parce qu’il n’est pas très ancré dans la réalité, mais musicalement le rôle permet ce type de caractère…

Oui, et puis tout dépend du partenaire qui chante Golaud. A côté de José Van Dam, je ne pense pas que ma voix risque de paraître trop corsée !

 

Quand on voit comment se développe votre carrière à l’opéra, on se demande quelle place peut bien rester pour le lied et la mélodie.

Il est vrai que je n’ai pas fait de récital cette année, mais c’est par le lied que j’ai commencé : quand je suis rentré au conservatoire à 20 ans, les professeurs se demandaient quel répertoire me donner à chanter, ma voix était beaucoup plus légère qu’aujourd’hui, et c’est par là qu’ils m’ont proposé de commencer. Ce travail reste très important pour moi. Il est même fondamental parce que c’est là qu’on travaille le mieux le rapport au texte, qui est immédiat et essentiel. Ruben Lifschitz, un pianiste de la génération de Martha Argerich, mais qui s’est spécialisé depuis dans l’enseignement, a été un guide très précieux pour moi dans ce domaine. Lui aussi est basé à Lyon, c’est très facile.

 

Avez-vous des projets d’enregistrements dans ce domaine ?

Mon premier récital de mélodies est paru chez Naïve il y a un peu moins de deux ans ; un autre est en préparation, qui devrait être le pendant allemand de ce répertoire français, mais nous n’avons pas encore de date. A plus long terme, je me sens un goût particulier pour les mélodies de Debussy et Ravel. Dans la longue évolution de l’opéra français, de la Tragédie lyrique de Lully ou Rameau jusqu’à Debussy et au delà, il y a eu une sorte de césure au début du XIXe siècle, vers des choses beaucoup plus lourdes, comme Berlioz par exemple. Ce répertoire là m’attire moins, il convient aussi sans doute moins à ma voix.

 
Et l’enseignement ?

J’ai eu quelques propositions dans ce domaine, mais je pense que c’est beaucoup trop tôt pour moi. Il y a encore tant d’éléments auxquels je n’ai pas réponse moi-même que je peux difficilement prétendre apporter des réponses aux autres. Cela dit, ça viendra sans doute un jour. J’en parlais récemment avec Françoise Pollet qui me disait que les propositions d’enseigner lui étaient arrivées soudainement et qu’elle y avait pris goût, à partir d’un certain âge…

 

Aujourd’hui vous avez sans doute mieux à faire sur les scènes que dans les classes…

Oui, mais il me semble qu’il faut éviter de se mettre à l’enseignement le jour où on ne peut plus rien faire d’autre ! Il vaut mieux en faire un choix positif et non par défaut, sinon, on est un enseignant frustré.

La vie de chanteur international, les hôtels, les avions, plusieurs prestations par semaine, cela ne vous pèse-t-il pas à la longue ?
Pour le moment, je n’en souffre pas trop, mais je réalise que c’est important de pouvoir se fixer quelque part. Je suis basé à Lyon, je n’ai pas l’intention d’en bouger, mais il faut pouvoir préparer chaque étape de sa vie. Cela me rappelle une conversation que j’ai eue il y a quelques années à New York avec Peter Mattei et Waltraud Meier. J’avais 35 ans à l’époque, Peter Mattei 45, et Waltraud Meier… plus ! Elle disait planifier la fin de sa carrière, lui disait vouloir chanter un peu moins, rester davantage chez lui, et moi je me sentais encore très loin de toutes ces préoccupations ; mais un jour viendra. Cela concerne tout le monde…

 

 

Propos recueillis par Claude Jottrand le 22 juillet 2012

 

 

 

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