Annulation en eaux troubles : Festival genevois Agapé, 17e édition

Le Mardi 27 mai en début de soirée, un article du journal Le Temps annonçait l’annulation d’Agapé, festival de musique sacrée établi à Genève depuis 1992, qui devait se tenir du 28 Mai au 1er juin 2025 au Collège Calvin ainsi qu’à la maison de quartier de Plainpalais. Agapé a reçu au fil des années des étoiles montantes comme des personnalités phares du monde de la Musique Classique. La plus récurrente de ces figures de proue est le chef catalan Jordi Savall.

Plusieurs artistes et agents ont appris avec stupeur cette annulation par voie de presse, avant d’avoir été contactés par le festival, qui l’a plus tard annoncée sur son site internet. La cause immédiate de cet arrêt in extremis est un courrier transmis ce Mardi 27 à la présidence du festival par l’Etat de Genève, notifiant de la résiliation du contrat de location des salles qui devaient accueillir les concerts. Cette réaction sans équivoque de l’Etat de Genève est, selon les propres mots de ses représentants, le résultat direct du travail journalistique mené par Juliette de Banes Gardonne et Marc Guéniat pour Le Temps. Fait exceptionnel, la résiliation du contrat liant le Festival Agapé à l’autorité publique genevoise précède la sortie de l’article d’investigation. En effet, les questions adressées à l’Etat de Genève par les deux journalistes dans le but de réaliser leur contradictoire avant publication, ont suffi à motiver sa décision. En 2023, le festival s’était déjà vu privé de son habituel accueil dans les églises locales, par l’évêque chargé du Diocèse de Genève, Lausanne et Fribourg, élément qui a également pesé dans la résiliation du contrat par l’autorité genevoise.

L’enquête relatée dans Le Temps présente une situation troublante qui lie, de ses fondations à son organigramme, le festival Agapé à des figures controversées issues de la Communauté des Frères de Saint Jean, congrégation religieuse fondée en 1975 par Marie-Dominique Philippe. L’organisation religieuse, comme son créateur et plusieurs de ses membres sont au coeur de multiples scandales d’abus sexuels, allant des simples accusations jusqu’aux sanctions canoniques et pénales**. Le Monde et France Info avait présenté une vertigineuse synthèse de l’affaire. Le Festival Agapé a en effet été fondé par Marie-Dominique Philippe et Benoît-Emmanuel Peltereau-Villeneuve, ce dernier, destitué de l’état clérical en 2022 par le Pape François, est décrit dans l’enquête journalistique comme « toujours actif » dans l’organisation du festival.

Juliette de Banes Gardonne et Marc Guéniat soulèvent également la question de la programmation même du festival. Cette édition 2025 invitait notamment Jean Tubéry, directeur de La Fenice, condamné à six mois de prison avec sursis en Juillet 2024 par le tribunal correctionnel de Sens, pour « propos à connotation sexuelle imposés de manière répétée » avec la circonstance aggravante d’avoir usé de sa « position d’autorité » d’enseignant. Était également annoncé pour l’édition 2025, le metteur en scène Jean-Luc Jeener, auteur de la pièce Pédophilie dédiée à Hubert Morel, que le journal La Croix, cité par les deux auteurs de l’article du Temps, décrit comme “l’instigateur du premier réseau de pédocriminalité en ligne”. Une affaire qui n’est pas sans rappeler les remous du procès en cours de Bastien Vivès, auteur de bande-dessinée jugé au tribunal de Nanterre pour “fixation d’images pédoporno-graphiques”, où une certaine vision de la liberté d’expression est opposée à la protection de l’enfance.

Le festival Agapé annonce sur son site préparer une réponse juridique et se dit victime de “propos gravement calomnieux, d’intimidation et de harcèlement”.** Signalons que la page présentant les sponsors de la déclinaison genevoise du festival a été effacée du site, elle est cependant accessible en cache, faisant apparaître des noms comme la Loterie Romande, la Fondation VRM ou l’Ambassade de France en Suisse et au Liechtenstein. Les pages présentant les soutiens des autres émanations du festival (Reims, La Rochelle) sont toujours accessibles sur le site d’Agapé. En France, l’annulation a notamment été relayée par l’association MeTooMedia, porteuse de coups d’éclats emblématiques de la lutte contre les VSS, telles l’affaire Stéphane Plaza ou l’affaire Cauet. Sur ses réseaux sociaux, l’organisme déclare accompagner une victime “directement concernée par cette affaire***” et poursuit : ”Peu d’autorités auraient agi avec autant de réactivité et de courage, surtout pour un événement déjà soutenu et promu. […] Sans cette vigilance médiatique, la vérité serait restée étouffée sous la musique sacrée.” MeTooMedias appelle également à ce que cet événement soit un précédent fort et amène à la mise en place de mesures systématiques de “vérifications” ainsi qu’à un examen général des partenariats et des programmations notamment lorsque les manifestations sont soutenues par les deniers publics.

[NdlR : Rappelons que cette annulation représente une perte de travail et de revenus pour tous les artistes engagés sur cette édition 2025, ainsi que pour leurs équipes et tout l’écosystème qui leur est attaché, dans un contexte de tension extrême du secteur du spectacle vivant. Libérer la parole, à tout prix, mais charge aux autorités de protéger les rouages vulnérables – parfois même victimes – qui devaient se produire cet été].