Avec en tête d’affiche la soprano suisse Lisa della Casa (1919-2012) devenue en 1947 une des grandes sopranos de l’Opéra de Vienne aux côtés de Hilde Güden qui interprète ici Zdenka et du baryton-basse canadien George London dans le rôle de Mandryka. Quant à Georg Solti, réfugié en Suisse pendant la guerre, il allait depuis une dizaine d’années de succès en succès jusqu’à ce disque qui marqua son début (houleux !) en 1957 avec le Philharmonique de Vienne. Le coffret paru chez Decca était une vraie découverte pour le public français qui commençait à se passionner pour l’école de chant viennoise. Il est aujourd’hui réédité en CD (Decca 475 7731).
Dans le livret d’Arabella, Hugo von Hoffmansthal dresse un portrait souvent caustique de la Vienne de 1860, avec sa gaité trompeuse et la rigidité de ses conventions. Le rideau se lève sur une de ces « conversations en musiques », dont Strauss était passé maître, et menée ici à un rythme d’enfer. Le comte Waldner, officier de cavalerie à la retraite et flambeur effréné, a ruiné sa famille. Seul un mariage de sa fille Arabella avec un prétendant fortuné le sauverait. Or on lui prédit qu’un étranger apparaîtra et emportera le cœur d’Arabella. Pour que sa jeune sœur Zdenka ne puisse contrecarrer ce projet elle devra se travestir en jeune adolescent ! Les imbroglios se succèdent alors surtout quand une lettre de cette dernière au jeune officier Matteo qu’elle aime (chanté admirablement par le célèbre ténor mozartien Anton Dermota), va passer de main en main. Le légendaire lyrisme straussien accompagne alors l’air désespéré de Zdenka « Sie wollen alle geld » (Tous veulent de l’argent) dans lequel Hilde Güden est bouleversante (CD 1 – plage 2). On comprend vite que se joue ici une comédie plutôt amère dans une société viennoise en perdition ! De son côté, Arabella est persuadée, elle aussi, que c’est un étranger qui sera son grand amour. Dans son air bouleversant « Aber der Richtige… » (Mais l’homme idéal pour moi…), où se déploie enfin le grand lyrisme straussien, Lisa della Casa est simplement sublime (CD1 – plages 5 et 6). Elle a aperçu de chez elle un étranger « sans doute venu de Hongrie ou de Valachie » qui l’a fixée du regard. Serait-ce lui ? Le vieux Waldner, interprété avec cocasserie par le baryton basse Otto Edelman y est imparable avec son gros accent campagnard, a envoyé une lettre à d’anciens camarades, en glissant dans l’enveloppe une photo d’Arabella. Aucune réponse ! Et voilà que l’étranger entrevu par Arabella désire rencontrer Waldner : il a intercepté la lettre et la photo adressées à son oncle Mandryka décédé. Fou amoureux de la jeune fille, il vante à son père la richesse de ses terres et ses forêts (« Mein sind di Wäldner… »), sur un subtil rythme de Csardas (référence à la Hongrie dont les opérettes viennoises vantent tant la liberté des mœurs!). George London est épatant dans cet air (CD1-plage 12).
L’acte 2 est surtout consacré à la rencontre entre Arabella et Mandryka. Dans un duo poignant ce dernier ouvre son cœur à Arabella et l’invite à partager sa vie dans sa Valachie natale. Dommage qu’ici George London ne soit pas plus nuancé face à la délicatesse du chant de Lisa Della Casa. Les quiproquos s’enchaînant alors ont plus d’impact au théâtre. Et c’est à leur apaisement qu’on doit les deux grands moments de la fin de l’opéra : le duo de Zdenka (heureuse de retrouver sa féminité) et d’Arabella (CD 2 – plage 14) et surtout l’air final d’Arabella quand elle descend l’escalier de l’hôtel pour rejoindre Mandryka. Lisa della Casa y est exceptionnelle d’émotion, de musicalité et de tendresse. (CD 2-Pl 18 et 19)