Les blockbusters américains nous ont appris qu’un succès appelle forcément une suite. Après un premier volume publié en septembre 2018, Simon-Pierre Perret continue d’égrener la correspondance de Paul Dukas de 1915 à 1920. Années sombres encore obscurcies par le hourvari de la Grande Guerre dont le compositeur suit de loin les opérations militaires ; années de silence musical aussi puisque La Peri créée au Théâtre du Châtelet en 1912 est considérée comme sa dernière partition majeure – Ariane et Barbe-Bleue, son unique opéra auquel il faut ajouter une poignée de cantates et autres œuvres vocales composées dans les années 1880, date de 1907.
Ce mutisme créatif a donné lieu à de nombreuses interprétations dont la plus simple semble la plus vraisemblable. Dépourvu d’ambition, entouré d’amis, amoureux de la lecture et des plaisirs de la vie, Paul Dukas n’avait rien du génie torturé par son œuvre (même si, perfectionniste, il a détruit beaucoup de partitions dans la deuxième partie de sa vie). Les expériences modernistes de son époque le laissaient sceptique. Ni la génération des Six, ni l’expressionisme viennois ne le stimulait, au point de préférer devenir un compositeur silencieux, plutôt qu’un « compositeur demeuré tant bien que mal en activité mais dont la musique eût convergé vers le silence »*.
Puis, la vie de Paul Dukas à cette période prend un nouveau tournant, comme il l’explique dans une lettre à Paul Poujaud, datée du 20 juillet 1916 : « La grande préoccupation de mon père, depuis huit ans, était l’isolement domestique où me laissait la mort de mon frère. […] Tant qu’il a vécu, je tenais bon, tout en pensant souvent qu’il n’avait pas tort ». Dès 1892, des leçons données à la fille ainée de Daniel et Hermance Peyrera lui offrent l’occasion de rencontrer les deux sœurs de son élève, Suzanne et Thérèse. D’épisodiques, les relations avec la première, née en 1881, prennent au début de la guerre une tournure sentimentale qui aboutit à un mariage en septembre 1916, couronné par la naissance d’une fille – Adrienne-Thérèse – en décembre 1919. Ses lettres débordent alors d’un bonheur domestique qui fait plaisir à lire, à défaut d’instruire.
C’est ainsi qu’à travers un courrier abondant se dessine l’homme mieux que le musicien. Il faut s’aider de l’index général pour traquer les réponses aux questions avancées dans le pitch en quatrième de couverture (« Que faire de la musique allemande ? », « Doit-on même avoir une activité musicale en marge de l’horreur ? », « Quel positionnement esthétique face aux tendances artistiques qui émergent après-guerre ? »). Tel est le prix de l’exhaustivité, que le décès de Simon-Pierre Perret, survenu avant la publication de ce deuxième volume, a empêché d’accompagner d’une introduction nécessaire pour guider le lecteur à travers les entrelacs d’une correspondance souvent anecdotique. A défaut, l’éditeur invite à se reporter au premier volume, tout en annonçant un troisième.
* Dictionnaire de la musique française (Larousse)