En 1766, Haydn reçoit la commande d’une Missa Solemnis avec trompettes et timbales, destinée à être exécutée dans la basilique de Mariazell. La page de titre de la partition fait la lumière sur une confusion historique : le compositeur n’a en effet jamais écrit de messe pour la fête de sainte Cécile, mais il a bien composé deux Missa Cellensis (adjectif formé sur Mariazell, le grand sanctuaire marial en Autriche). Jusqu’en 1975, la Missa Cellensis de 1766 était erronément considérée comme une seule œuvre. Ce n’est qu’en 1975, lorsqu’un fragment de la partition autographe, contenant la page de titre, le Kyrie I et le Christe, a été découvert à Bucarest, que la vérité a été révélée. C’est cette première version qui est ici enregistrée.
René Jacobs se montre comme à son habitude assez interventionniste, confiant par exemple certains passages du chœur au quatuor de solistes, ou encore uniformisant partout la conduite des appogiatures. Du Haydn vocal, le chef gantois a déjà publié deux CD qui font référence (La Création, Les Saisons) aux côtés d’un orchestre (Freiburger Barockorchester), d’un chœur (RIAS Kammerchor) et de solistes tous superlatifs. Les forces réunies pour cette Missa Cellensis sont presque aussi enthousiasmantes. Alors que les instrumentistes d’époque du Kammerorchester Basel sont irréprochables d’investissement et de précision, la couleur inimitable de leurs collègues freibourgeois n’est pas tout à fait atteinte. De même, parfaite de lisibilité et de ferveur, la Zürcher Sing-Akademie ne renouvelle pas tout à fait le miracle du chœur berlinois.
Le quatuor de solistes vocaux est d’excellente tenue. Mari Eriksmoen est brillante et précise dans la partie de soprano, avec notamment un « Quoniam » éclatant à souhait. Plus mezzo que véritablement alto, Kristina Hammarström n’en est pas moins superbe de souplesse et dans la diction. Au ténor revient plusieurs soli importants dans cette messe, du très baroque « Christe eleison » au bouleversant « Et incarnatus est ». Mark Milhofer s’y montre d’une belle clarté de timbre et de virtuosité, tout comme Christian Senn dans la partie de basse.
Au final, une excellente version d’une messe plutôt souvent enregistrée (une dizaine de versions), aux côtés de celles de Marc Minkowski (plus théâtrale) ou de Simon Preston (avec l’irrésistible chœur d’enfants d’Oxford). Cet enregistrement marque le début d’une collaboration entre René Jacobs et Alpha Classics. Ce projet s’étalera entre 2025 et 2028 : après celui-ci, trois volumes seront consacrés aux six dernières messes de Haydn.