Le nom de Rita Streich reste indéfectiblement lié à ceux de Strauss (Johann autant que Richard) et de Mozart. Qui n’a pas dans l’oreille ses légendaires gravures des rôles de Susanna (Le Nozze di Figaro), Sophie (Der Rosenkavalier), Zerbinetta (Ariadne auf Naxos) sous la baguette de Böhm ou son irrésistible Adèle (Die Fledermaus) avec Karajan ? Née en Russie – à Barnaul, près de Novossibirsk – en 1920, la chanteuse connut son heure de gloire dans les années 1950-60 avant de se reconvertir dans l’enseignement dès 1974 (à Essen). Au delà de ses talents d’interprète, sa capacité à s’intégrer dans un groupe sans jouer les divas – elle accepta souvent d’incarner les seconds rôles aux côtés de Schwarzkopf ou Seefried – la rend particulièrement attachante dans un monde où des egos surdimensionnés priment parfois sur la musique. Regroupant des prises de 1955 et 1958 initialement éditées par Deutsche Grammophon, ce disque publié par la firme Newton pâtit de quelques morceaux mineurs dont on se serait passé au profit de pages plus inspirées – des airs de bravoure juste acceptables en guise de bis… Cependant, sur le plan vocal, il demeure un modèle de réussite.
Tout, chez Streich, est propre à captiver l’auditeur. La technique, d’abord : rien ne lui semble difficile ou impossible. Aucune note aiguë ne paraît inaccessible à une chanteuse dont le souffle est d’une longueur exceptionnelle (Lo spazzocamino !) et dont la voix garde toute sa stabilité dans le registre grave de sa tessiture. Mais au-delà, on est surtout charmé par la personnalité solaire, authentique et sincère (Měsíčku na nebi hlubokém) qui se révèle dans chaque page, quelle que soit son esthétique –le présent éventail est large ! Et Streich de jongler aussi habilement avec les langues qu’avec les notes : l’allemand (qu’elle prononce comme une native de Vienne1), l’italien, le français (malgré une Berceuse de Godard un peu en deçà), le tchèque et, bien sûr, le russe. Tout est articulé et, surtout, compris par une interprète qui se montre toujours convaincue et totalement investie dans ce qu’elle fait, même dans les pages les moins indispensables de ce programme.
Pas de doute, Rita Streich faisait de la musique comme on respire : avec un naturel confondant. Ainsi, écoutez l’aria « Ombra leggera »extraite de Dinora de Meyerbeer – également défendue par Maria Callas et Joan Sutherland – dans laquelle la virtuosité n’a d’égal que la musicalité de l’interprète. Et même dans tout ce qui semble passé de mode, une rafraîchissante élégance subsiste. L’accompagnement de Kurt Gaebel a quant à lui pris quelques vilaines rides – les valses en particulier – même si l’on apprécie que le chef ne cède pas à la mode viennoise (alors relativement récente) d’accentuer et/ou d’étirer le deuxième temps, maniérisme aujourd’hui passé dans les mœurs. Si cet album n’apporte rien de neuf à la discographie de Streich il est, à prix économique, une aubaine pour les lyricophiles nostalgiques du bon vieux temps et pour ceux qui se morfondent de ne pas l’avoir connu.
Nicolas Derny
1 Deutsche Grammophon a d’ailleurs publié récitals et anthologies de Streich sous le titre Die Wiener Nachtigall (le rossignol viennois).