Chez Puccini, les femmes ne sont jamais de simples silhouettes chantantes*. Elles saignent, elles aiment, elles poignardent, elles meurent – parfois tout cela à la fois. C’est à travers ses héroïnes que le compositeur pleure, vibre, espère – et s’exprime.
Il faut dire que l’homme a été élevé dans un gynécée : mère adorée, sœurs influentes, épouse, maîtresses et confidentes jalonnent son parcours comme les actes d’un opéra domestique. La première d’entre elles s’appelle Albina, la mère tutélaire. Puis vient Elvira Gemignani la compagne possessive, avec qui il partage autant d’années que de scènes de ménage. Une relation à l’italienne, faite de cris, de réconciliations, et surtout d’inspiration. En dehors des chemins légitimes, ses multiples aventures se nomment Comtesse Castracane, Baronne von Stengel, Rose Ader ou plus simplement Giulia, mère d’un fils que Puccini ne reconnaîtra pas (mais auquel il allouera une substantielle somme d’argent). Les lettres de Puccini en témoignent : cette vie sentimentale agitée a nourri autant ses frustrations que son génie.
Etablir des liens entre les femmes qu’il a connues charnellement, et celles qu’il a façonnées en musique est entreprise tentante. Mimi, Butterfly, Tosca, Manon, Liù, Angelica, Minnie, etc. : autant de portraits en clair-obscur dont la vie de Puccini offre souvent les clés. Tel est l’angle adopté par le docteur Gérard Desbois dans une brève biographie du musicien. Il est regrettable que le médecin psychiatre se soit effacé derrière l’amateur d’opéra italien car une analyse basée sur la psychanalyse aurait eu le mérite d’offrir un regard différent sur le compositeur toscan. A défaut, défilent au rythme de ses opéras les grands chapitres de sa vie dans un style qui légitime, avec le recul, la croisade menée autrefois par notre professeur de français contre l’abus de participes présents.
Quoi qu’il en soit, c’est à travers ces héroïnes vivantes, vibrantes et imparfaites que l’art de Puccini nous invite à explorer, entre notes et drames, l’éternel théâtre des émotions humaines. L’opuscule de Gérard Desbois a le mérite de le rappeler, si tant est qu’on l’eût oublié.
* cf. l’article de Dominique Joucken, « Puccini et les femmes » dans notre dossier Puccini 100.