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Louis Beydts, Mélodies, par Cyrille Dubois et Tristan Raës

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CD
14 mars 2024
Une révélation !

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Louis Beydts (1895-1953)
D’Ombre et de soleil (1946) (Paul-Jean Toulet)
Dans la saison qu’Adonis fut blessé…*
Toi qu’empourprait l’âtre d’hiver…*
Dormez, ami…
Douce plage où naquit mon âme…*
L’hiver bat la vitre et le toit…*
Iris, à son brillant mouchoir…*
Le temps irrévocable a fui…*
Puisque tes jours ne t’ont laissé*
Six Ballades françaises* (1926) (Paul Fort)
Le Marchand de sable
Les Petits veaux d’Haizettes
Le Regard éternel
La Corde
Rencontre à la fontaine
Si le bon Dieu l’avait voulu…
Le Cœur inutile (1948) (Robert Honnert)
La saison qui dévêt les bois…*
Ceux que nous aimons…*
Adonis
Les dieux que j’appelais…*
Dans les ombres de mon âme…*
Après la mortelle aventure…*
Quatre Odelettes* (1929) (Henri de Régnier)
Je n’ai qu’un très humble jardin…
Quelle douceur dans mes pensées…
Auprès de toute fontaine…
Reprends la route du bois sombre…
Cinq Humoresques* (1928) (Tristan Klingsor)
Mademoiselle Rose
À la Fontaine
Le Coquebin
L’Eau claire
Bonjour, Monsieur…
Le Pont Mirabeau (1940) (Apollinaire)
La Fontaine de pitié* (1926) (Henry Bataille)
Le Sylphe* (1934) (Paul Fort)


Chansons pour les oiseaux (1948) (Paul Fort)
La Colombe poignardée
Le Petit pigeon bleu
L’Oiseau bleu
Le Petit serin en cage
*premier enregistrement mondial



Cyrille Dubois, ténor
Tristan Raës, piano

1 cd Aparte
Durée : 83’
Enregistré par Little Tribeca
du 14 au 17 novembre 2022 à l’église Saint-Pierre, Paris
Direction artistique, prise de son, montage, mixage et mastering : Ignace Hauville

Parution : 15 mars 2024

Et d’un seul coup le territoire de la mélodie française s’agrandit d’une nouvelle péninsule, au beau paysage, très lumineux, paisible et doux. Grâces en soit rendues à Cyrille Dubois, son découvreur (ou presque) et à Tristan Raës, son fidèle sherpa. Ce disque est un enchantement.
Car que sait-on de Louis Beydts ? Pas grand chose. Qu’a-t-on enregistré de lui ? Trois fois rien.
Si on aime le cinéma de Sacha Guitry, on l’a entendu nommé, et parfois vu, au gré des génériques extravagants du maître de l’avenue Elysée-Reclus. La musique de Deburau, du Mot de Cambronne, de La Malibran, c’est lui. Autant dire que c’est un inconnu bien peu illustre.

Toute une époque

L’homme était Bordelais, mais aussi Parisien qu’on peut l’être. Aucun quatuor à son actif, aucune symphonie, mais toujours la voix et d’abord la mélodie à laquelle il se consacra toute sa vie. Une opérette, Moineau (Marigny, 1931) fut son premier succès, lui qui avait d’abord été l’élève d’André Messager ; des orchestrations de Debussy (Le Promenoir des deux amants pour les Concerts Pasdeloup), des cycles avec orchestre (les Adieux, les Quatre Odelettes) créés par Pierné chez Lamoureux, des pièces chantées par Ninon Vallin, Jacques Jansen, Germaine Martinelli ou Geori Boué, des couplets pour Sacha (et Yvonne Printemps), toute une époque… Puis le cinéma, on l’a dit, avec La Kermesse héroïque (Feyder, 1935) ou L’Affaire du courrier de Lyon (Autant-Lara, 1937), et donc, à partir de 1952, la direction de la Salle Favart, où il reprend Pelléas avec le trio Joachim-Jansen-Etcheverry, avant, last but non least, la création française du Rake’s Progress. Mandat très court (la mort le saisit à 58 ans), aussi court qu’avait été celui de Reynaldo Hahn au Palais Garnier (1945-47). Et l’oubli tomba.

On vient de nommer Reynaldo. S’il est quelqu’un dont Louis Beydts est proche, c’est lui. Même raffinement, même élégance… Et la courtoisie d’être simple (en apparence). C’est un art de la suggestion, de l’évitement, du mine de rien.

Tristan Raës et Cyrille Dubois © Jean-Baptiste Millot

Le je-ne-sais-quoi…

Et, voyez comme les choses sont bien faites : la première série de mélodies ici porte sur des textes du subtil Paul-Jean Toulet (1867-1920), poète exquis s’il en fut, apôtre du sans-y toucher. Un Mallarmé aimable et gracieux. Virtuose du sans effort apparent. Terriblement mélancolique, bien sûr. Mais si courtois qu’un peu inattentif, on ne s’en rendrait pas compte. Il y a bien longtemps que plus personne ne lit La jeune fille verte ou Mon amie Nane, chefs d’œuvre menus de délicatesse et d’anachronisme.

Derrière l’humour de Louis Beydts, sans doute la même mélancolie se cachait-elle, qu’il laisse poindre dans D’ombre et de soleil, sur des poèmes choisis dans les Contrerimes. Ce qui frappe -comme chez Reynaldo Hahn-, c’est l’adhésion fidèle à l’esprit du texte. De sinueuses mélodies, qui s’offrent souvent des pas de côté imprévisibles, la phrase bifurquant là où on ne l’attendrait pas, des mots toujours intelligibles (grâce aussi à la proverbiale diction de Cyrille Dubois), des dissonances ou des acidités parfois, mais aussi des langueurs et des éclats (« Douce plage où naquit mon âme »)…
C’est un art de la surprise et la partie de piano n’est pas moins imprévisible et souple. Parfois opulente (brièvement), souvent aigre-douce, toujours inféodée au texte. La ligne musicale, sinueuse, diverse, élégante, semble surgir fraternellement de la prosodie, impulsive, malléable, décalée de Toulet.
Ces mélodies tardives (1946) sont des bijoux, bijoux parfois moroses comme le sont les améthystes : ainsi le crépusculaire « Puisque tes jours » qui se termine par ces deux vers « Le rêve de l’homme est semblable / Aux illusions de la mer » et la voix et le piano déroulent leurs dernières notes comme les dernières vagues d’un crépuscule.

Paul-Jean Toulet

…et le presque rien

Les Ballades françaises de Paul Fort relèvent d’une inspiration fantaisiste et tendre. Le piano se fait espiègle et bondissant, et la ligne musicale évite avec esprit la tentation de la chanson. C’est une écriture très particulière, une manière d’arioso, de parlé-chanté (pour ne pas dire de sprechgesang…). Peu d’effets de retour, de refrain, même pour un poème d’une gentille familiarité comme « La Corde », poésie populaire et tendre qui prend des couleurs inquiètes, alors qu’on attendrait quelque chose qui s’apparenterait à la chanson rive-gauche. Ce que Brassens fit pour « Si le Bon Dieu l’avait voulu » et d’ailleurs fort bien. La version de Beydts commence par un pastiche de chanson de la Renaissance, mais bifurque, musarde, s’offre un épisode lyrique, module, passe d’un pied sur l’autre (et d’un rythme à l’autre). Art toujours aimable, mais très personnel et sans complaisance.

« Le Regard éternel », d’une soudaine et morbide gravité, semble ouvrir un abîme en forme de tombeau dans cette promenade (faussement) ingénue, monte jusqu’à un fortissimo pathétique, puis s’embrume et disparait, s’efface sans conclure, insaisissable.

Toujours la voix se plie aux inflexions du poème, avec un souci de clarté venu sans doute de Reynaldo Hahn ; en revanche le piano brosse derrière elle des paysages subtils, évanescents, insaisissables et souples, dans la postérité de Fauré. On reste dans un monde tonal, des atmosphères chargées en bémols et en dièses modulant par enharmonies (ou pas), un goût pour des suggestions aquatiques (enfance bordelaise), une fluidité qui n’est simple qu’en apparence.

Paul Fort

Des mélodies souples comme des lianes

Sans doute est-ce Messager qui lui avait indiqué « le sentier du plaisir élégant et poli » : Louis Beydts n’a pas les impertinences d’un Poulenc, mettant en musique Eluard ou Aragon. Sa muse n’a pas de ces audaces. Mais les poèmes discrets de Robert Honnert, sensibles, délicatement éplorés, lui suggèrent de longues lignes mélodiques, souples comme des lianes, imprévues, élégantes.
C’est un art qui demande à l’auditeur d’être attentif, tant il a la courtoisie de rester invisible. Le piano dessine d’impalpables arpèges derrière l’hirondelle, le jet d’eau et le crépuscule de « Les Dieux que j’appelais… », mais il s’enflamme jusqu’à la dissonance derrière l’impatient et farouche « Dans les ombres de mon âme », et les accords lancinants qui scandent la longue prière (un peu contrite) de « Après la longue aventure…» jamais n’auraient l’impolitesse d’en contrarier la déclamation cérémonieuse (après quelques détours modulants, le postlude se terminera par un accord aussi lumineux que parfait).

Tout aussi courtois, Cyrille Dubois installe cette alchimie en pleine lumière. La diction est, évidemment, impeccable, et la voix, au timbre si clair, se joue des caprices serpentins de la ligne musicale. Tout juste si, ici ou là, un portamento un rien trop appuyé donne un tour un peu maniériste à cet art du dire, tellement français, et qui peut sembler, dans la brutalité d’aujourd’hui, anachronique ou désuet. D’autant plus précieux.

Désuet comme le monde d’Henri de Régnier, un peu étouffant et replié (« Le voyage de ma jeunesse est fini… et la paix caresse mon cœur… »). Il faut écouter ce chef d’œuvre qu’est «Reprends la route du bois sombre…», la manière dont Louis Beydts l’éclaire (et ses deux interprètes avec lui), le faisant sortir de l’ombre humide et de la délectation morose où il se complaît pour le faire surgir dans la lumière. L’orée de cette forêt (c’est le sens du poème) est suggérée par les moyens même de la musique, les harmonies et le lyrisme qui surgit tout-à-coup (on pense à Pelléas évidemment).

Henri de Régnier

Il y a un ton Louis Beydts

Le Pont Mirabeau, l’une des rares mélodies déjà enregistrées, semble l’archétype de la manière de Louis Beydts : ambitus restreint pour suivre les mots, quelques pointes sur les hauts de la portée (que Cyrille Dubois négocie à la volée avec brio), intimité et understatement, profondes harmonies que viennent soulever de furtives arabesques, et puis l’élan retombe, comme vaincu par la vie.
C’est un monde poétique où on a la larme facile… La Fontaine de pitié d’Henry Bataille (encore une fontaine !) est une fontaine de larmes (ô Massenet !) et Le Sylphe de Paul Fort « a tant pleuré [son] enfance »… Décidément !

Heureusement, si la muse de Louis Beydts (on a osé parler d’art français, on peut bien aller jusqu’aux muses), si sa muse s’ennuage souvent de tulles symbolistes, elle aime aussi s’amuser. Les Cinq Humoresques, sur des textes gracieux et badins de Tristan Klingsor, sont acidulées et tendres, avec d’insubmersibles kyrielles d’arpèges liquides au piano…
Et les Chansons pour les oiseaux d’après Paul Fort appartiennent à la même veine, un peu populaire, un peu fantaisiste, un peu savante, telles les Dames du temps jadis inventoriées dans L’Oiseau bleu, ou le canari croqué par Mistigri, distillé joyeusement par un Cyrille Dubois, décidément très inspiré par le ton Louis Beydts, qui peu avant avait escaladé les sommets d’effusion de La Colombe poignardée.

Un Cyrille Dubois qui non seulement fait œuvre de défricheur, mais donne de ces mélodies, dont qu’on aimerait voir adoptées par beaucoup de chanteurs, une version d’emblée de référence. Et on dira la même chose du piano inventif et multiple de Tristan Raës, Louis Beydts ne lui réservant pas moins de soin qu’à la voix.

Cyrille Dubois et Tristan Raës

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Louis Beydts (1895-1953)
D’Ombre et de soleil (1946) (Paul-Jean Toulet)
Dans la saison qu’Adonis fut blessé…*
Toi qu’empourprait l’âtre d’hiver…*
Dormez, ami…
Douce plage où naquit mon âme…*
L’hiver bat la vitre et le toit…*
Iris, à son brillant mouchoir…*
Le temps irrévocable a fui…*
Puisque tes jours ne t’ont laissé*
Six Ballades françaises* (1926) (Paul Fort)
Le Marchand de sable
Les Petits veaux d’Haizettes
Le Regard éternel
La Corde
Rencontre à la fontaine
Si le bon Dieu l’avait voulu…
Le Cœur inutile (1948) (Robert Honnert)
La saison qui dévêt les bois…*
Ceux que nous aimons…*
Adonis
Les dieux que j’appelais…*
Dans les ombres de mon âme…*
Après la mortelle aventure…*
Quatre Odelettes* (1929) (Henri de Régnier)
Je n’ai qu’un très humble jardin…
Quelle douceur dans mes pensées…
Auprès de toute fontaine…
Reprends la route du bois sombre…
Cinq Humoresques* (1928) (Tristan Klingsor)
Mademoiselle Rose
À la Fontaine
Le Coquebin
L’Eau claire
Bonjour, Monsieur…
Le Pont Mirabeau (1940) (Apollinaire)
La Fontaine de pitié* (1926) (Henry Bataille)
Le Sylphe* (1934) (Paul Fort)


Chansons pour les oiseaux (1948) (Paul Fort)
La Colombe poignardée
Le Petit pigeon bleu
L’Oiseau bleu
Le Petit serin en cage
*premier enregistrement mondial



Cyrille Dubois, ténor
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