Qu’on l’apprécie ou pas, il y a décidément une « Tcherniakov Touch ». Les productions du jeune metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov se reconnaissent en effet au premier coup d’œil. Les décors sont sobres, plutôt froids et désolés et dégagent une ambiance intense qui oscille du pesant à l’éthéré. Les costumes très « Ostalgie » ont des coupes tendance Allemagne de l’Est aux couleurs majoritairement beiges et les mouvements de foule sont magnifiquement gérés. Par ailleurs, la scène est magnifiée par les lumières remarquables de Gleb Filshtinsky dont il faut saluer le travail. Cela dit, cette esthétique ne convient pas forcément à toutes les productions. Si on y trouve son compte avec Eugène Onéguine 1, ce type de décor et la relecture de l’œuvre qui l’accompagne sont apparemment moins en adéquation avec Don Giovanni 2, sans même évoquer le contresens total obtenu sur les Dialogues des Carmélites 3.
Pour ce Macbeth 4, le placage dans une contemporanéité indéfinie édulcore toute la dimension fantastique. Quant à la présence physique de l’Écosse, inutile d’essayer de la retrouver. Nous sommes en plein décalage historique et thématique. La chose est d’autant plus flagrante quand le metteur en scène confesse lui-même que « cet opéra de Verdi m’a donné beaucoup de mal. Pendant longtemps, je n’y ai rien compris. […] J’ai toujours reconnu sa théâtralité et sa puissance évocatrice, mais tout en lui déniant véritable sérieux et profondeur » 4. Laissant de côté Shakespeare, il se concentre sur les rapports entre les sorcières et Macbeth. Il cherche à réhabiliter ce dernier, victime de la société 5. L’idée est intéressante et certaines scènes sont très justes et superbes, comme celle qui montre, avant son exécution, Macbeth prostré sur une table ou encore le meurtre de Banquo masqué par les mouvements de foule qui, une fois dispersée, laisse apparaître le corps tombé à terre. Peu de sang dans cette production, mais une fois encore, un finale destructeur déroutant : alors qu’on célèbre la victoire et qu’un nouveau roi est adoubé chez Verdi, Macbeth ici reste seul dans sa pièce que les ennemis attaquent au mortier de l’extérieur. Comme pour les Dialogues des Carmélites, on retrouve la manie de tout démolir au final. Le chœur est en coulisses – quelle drôle d’idée – et on est très loin du sens des ultimes mots prononcés : « Aie confiance en moi, O Écosse, l’oppresseur a été tué. Je rendrai éternelle pour nous la joie d’une telle victoire ». Ne parlons pas de l’élan patriotique, si fondamental chez Verdi…
S’ils sont absents de la scène finale, les chœurs sont vocalement excellents tout au long de l’œuvre. Le Macbeth de Dimitris Tiliakos est scéniquement magnifique. Élégance, humanité profonde, il ensorcelle. Si ses aigus souffrent de turbulences, son chant fourmille de subtiles et infinitésimales nuances dont on se délecte à foison. Son « Sangue a me », en particulier, est sombre, velouté et terrifié tout à la fois. En Lady Macbeth, Violeta Urmana est juste et convaincante, malgré des aigus crispés qui ne gâtent pas un chant sûr et en adéquation avec le rôle. Stefano Secco se distingue en Macduff et emporte les faveurs du public. Ferruccio Furlanetto, quant à lui, force le respect en Banquo. La direction d’orchestre de Teodor Currentzis sert l’œuvre et un bel équilibre règne entre les cordes et les cuivres. Ce jeune chef est à suivre.
Le DVD est complété par un documentaire instructif où l’on retrace la genèse d’une œuvre d’abord donnée à l’opéra de Novossibirsk. Les couloirs du théâtre de la ville ressemblent furieusement au décor pourtant voulu intemporel, comme nous l’affirme le metteur en scène qui expose didactiquement ses partis pris et son work in progress. On peut cependant préférer à sa vision une approche plus classique de Verdi et Shakespeare…
Catherine Jordy
1. Voir la critique de François Lesueur. Sur le présent DVD une bande-annonce permet d’en apprécier le caractère tchékhovien et la beauté des décors qui évoquent inévitablement le cinéma de Mikhalkov, Bergman ou même Tarkovski.
2. Voir le compte rendu de Christophe Rizoud.
3. Voir la critique du spectacle de Pierre-Emmanuel Lephay et notre compte rendu du DVD réalisé à partir de la même production.
4. Voir la critique de François Lesueur.
5. Note d’intention dans la brochure d’accompagnement du DVD, p. 8, traduction de Macha Zonina.
6. Voir les 5 questions posées à Dmitri Tcherniakov par François Lesueur (Traduction Boris Ignatov).