Quelle découverte, et pas des moindres ! On la doit à Ronald Martín Alonso violiste franco-cubain qui a déniché par hasard, à la Bibliothèque Nationale, les partitions de ces magnifiques Leçons de Ténèbres, une œuvre méconnue du XVIIIe siècle français, contenue dans le « Livre de musique d’église » (1719) d’Alexandre de Villeneuve né à Hyères en 1677 et qui fut maître de chapelle de la cathédrale d’Arles.
Dès le début de l’enregistrement, on tombe sous le charme (au sens fort du terme). Ronald Martín Alonso a judicieusement intercalé, dans ces Leçons, certaines Conversations en sonates du même Villeneuve et trois Répons de Jean-Baptiste Morin (1677-1745) extrait de son Processional de 1726 pour l’abbaye de Chelles, créant ainsi une dramaturgie tout à fait pertinente. En effet, à l’époque, Les Leçons des Ténèbres étaient véritablement mises en scène dans les églises, suivant un rituel minutieusement décrit dans le livret. Une théâtralité qui attirait évidemment la foule des fidèles. L’œuvre a été composée cinq ans après les Leçons de Ténèbres de Couperin mais, cette fois, Villeneuve a choisi des versets plus concis dont l’impact est plus fort et la richesse harmonique plus variée, les nombreuses dissonances soulignant les moments dramatiques. D’autre part, on est frappé par le rythme sans faille de cette interprétation. C’est qu’avec Ronald Martín Alonso à la barre, la musique baroque n’est jamais loin de la danse. Ainsi, son Ensemble Vedado, avec Damien Pouvreau au théorbe et Laurent Stewart au clavecin et à l’orgue, anime de belle manière les répons et sarabandes de Villeneuve. Certains mouvements de son Miserere comme l’Asperges me hyssopo (plage 19) ou le Domine labia mea (plage 24) sont clairement des danses populaires qui, mêlées aux versets plus méditatifs, en rehaussent la piété profonde.
De son côté, la mezzo-soprano Dagmar Šašková, grande interprète de musique française baroque, passe ici d’une vocalité très lyrique à des mélismes manifestement inspirés des mélopées hébraïques, telles que suggérées par le texte des Lamentations du prophète Jérémie choisis dans ces Leçons. Les Répons à cappella de Jean-Baptiste Morin, insérés entre ces versets, sont particulièrement saisissants et le chant spécifique de Dagmar Šaškova semble s’inspirer ici de monodies immémoriales quasi incantatoires.
C’est de toute cette mosaïque musicale qu’émane la magie si particulière de cet enregistrement.
Grâce soit rendue à Ronald Martín Alonso de nous faire connaître d’aussi belle manière la musique d’Alexandre de Villeneuve. Un enregistrement à marquer d’une croix blanche.