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Gaëlle Arquez : « Je fonctionne à coups de claques artistiques ! »

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Interview
23 mars 2015

Infos sur l’œuvre

Détails

Avant Iphise dans Dardanus à Bordeaux en avril, Gaëlle Arquez retrouve à compter du 24 mars Phébé dans Castor et Pollux à Toulouse, mis en scène par Mariame Clément.


Cet automne, vous avez déjà chanté Castor et Pollux ; musicalement et scéniquement, comment enchaîne-t-on au cours d’une saison deux productions de la même œuvre ?

Pour Castor et Pollux à Lille et Dijon, dans le spectacle conçu par Barrie Kosky, la partition était légèrement modifiée puisque le metteur en scène avait demandé à ce que les répliques de certains petits rôles soient confiées à Télaïre et Phébé. Emmanuelle De Negri et moi, nous avions  des parties beaucoup plus étoffées, avec des couleurs supplémentaires, très intéressantes pour nous. Cela nous offrait aussi l’occasion de chanter ensemble, ce qui n’arrive jamais dans l’œuvre. Je disposais donc d’une palette extrêmement large, allant d’une innocence touchante, presque enfantine, jusqu’à une hystérie désespérée, proche de la folie. C’était un véritable cocktail d’émotions, qui me permettait de passer par toutes sortes de phases. Pour mon premier Rameau en scène, ce fut une expérience très physique, un marathon. J’ai eu cette surprise agréable de constater que la tension dramatique ne se relâchait jamais, et je suis très heureuse de participer en 2016 à la reprise de cette production au Komische Oper de Berlin. Maintenant, à Toulouse, on revient aux rôles tels que Rameau les avait prévus, et je ne serai « que » Phébé. Mais je suis très heureuse de retrouver Mariame Clément, qui m’a dirigée pour Les Pigeons d’argile. Pour cette création de Philippe Hurel, à Toulouse, nous avons eu un coup de cœur artistique réciproque. Ce sont ces rencontres qui donnent un sens à ce métier, sur les plans humain et artistique. A Vienne en 2011, c’est Anne Sophie von Otter qui incarnait Phébé, et pour une jeune mezzo comme moi, c’est une belle reconnaissance de lui succéder. Je pense que la conception du personnage va évoluer, car Mariame se base énormément sur la personnalité, les affinités de chacun, sur ce qu’on lui propose. Avec elle, j’ai une grande complicité, qui me donne confiance : on se regarde et on se comprend, je sais qu’elle m’encourage à aller dans telle ou telle direction.  

Peu après, vous allez retrouver un autre rôle ramiste, Iphise dans Dardanus.

Rameau est un compositeur que j’ai découvert en 2011 à Beaune. Cette première expérience fut un grand moment d’émotion, une vraie prise de risques, et surtout une belle preuve de confiance de la preuve d’Anne Blanchard et de Raphaël Pichon. Avec ce rôle de tragédienne, j’ai fait une plongée vertigineuse dans l’univers de Rameau, je me suis retrouvée en immersion totale, et depuis, cette musique ne m’a plus quittée. Jusque-là, j’avais des aprioris contre le baroque français : j’avais peur d’être hors-style, je me sentais comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, car je n’avais jamais étudié ce répertoire, ces ornements… Je craignais de ne pas pouvoir m’approprier ce langage si raffiné. Raphaël Pichon a fait preuve d’une patience infinie, car je devais partir de zéro, et c’était un défi pour lui aussi. Ensuite, notre enregistrement de Dardanus est arrivé comme une belle récompense.

Comment en êtes-vous venue à chanter Rameau, alors ?

En 2008, Anne Blanchard m’a vue dans Don Giovanni au CNSM, où j’étais Zerline, et elle a toujours gardé une oreille attentive à ce que je faisais. Elle me disait que je devrais m’intéresser au baroque français, mais j’étais pleine de préjugés, j’imaginais un monde étriqué, guindé, étouffant, où je ne me voyais pas du tout. Et un jour elle m’a annoncé que le prochain festival de Beaune s’ouvrirait sur un Rameau et elle m’a demandé de regarder le rôle d’Iphise dans Dardanus.  J’ai regardé et ce qui m’a tout de suite plu, c’était le rapport au texte. A part en mélodie française, j’ai rarement ressenti un tel plaisir à savourer un texte. La déclamation est un élément essentiel chez Rameau ; quant à sa musique, ç’a été une vraie claque ! En plus, l’approche de Raphaël Pichon est tout sauf maniérée, chichiteuse, ce qu’il fait est moderne, vivant, généreux.

Vous avez fait vos débuts en tant que soprano. Comment avez-vous su qu’il était temps de devenir mezzo ?

J’ai fait toutes mes études de chant comme soprano, et je suis sortie du conservatoire avec un prix en tant que soprano. Au fur et à mesure des auditions que je passais, les gens demandaient à entendre mon médium, mais je n’avais qu’une chose en tête : les aigus, les aigus, toujours les aigus. Et c’est Mozart qui m’a finalement aidée à approcher un répertoire qui n’était pas si éloigné de ma voix. Pourtant, c’est presque un choc que de changer d’étiquette quand on vous a classée depuis le début. J’ai chez moi la partition de La Traviata et maintenant je la regarde en me disant : Eh non, ce n’est pas pour toi ! Alors qu’en première année de chant, je rêvais d’être soprano colorature, je me voyais en Reine de la nuit. Enfin, lorsqu’on est rattrapée par la réalité, on apprend à abandonner ses fantasmes. Le passage au répertoire de mezzo m’a d’abord fait l’effet de quelque chose de violent : avec mes rêves de soprano, je prenais ça comme un échec, j’avais l’impression de baisser les bras. Heureusement, mes profs de chant et mon agent m’ont vraiment épaulée, ils m’ont aidée à surmonter cette transition. En fait, je n’avais pas besoin de changer grand-chose dans ma voix. La réaction que j’ai eue initialement est celle de quelqu’un qui ne connaît pas le répertoire de mezzo : j’avais des aprioris, je ne me reconnaissais pas dans des rôles qui me semblaient exiger une voix large. Nous avons alors dressé une liste de rôles qui étaient possibles pour moi à ce moment précis. En tant que soprano 2, je ne pouvais commencer tout de suite à chanter face à des orchestres lourds. Avec Suzanne, Zerline, Dorabella, Chérubin, et plus récemment Idamante, Mozart m’a permis une transition tout en douceur. A présent je laisse la porte ouverte. Je travaille ma voix en tant que mezzo, car il faut bien choisir une direction et ne pas s’éparpiller, mais j’ai conscience que ma voix n’est pas forcément classable. C’est très excitant pour l’avenir : si elle se développe dans le médium, c’est très bien, et si mon aigu s’étoffe, ce sera une tout autre direction. Je me laisse guider par ma voix, et je connais maintenant mes limites et mes envies.

On vous a entendu du baroque au contemporain, en passant par Rossini, Massenet, et l’opérette, vous sentez-vous aussi à l’aise dans tous les répertoires ?

Depuis quatre ans, je n’ai pratiquement fait que des prises de rôle, ce qui m’a permis d’aller de Monteverdi à Philippe Hurel. Je sais maintenant ce qui me plaît, je me connais mieux. Ce qui me plaît, c’est Mozart, Rameau et d’autres que je commence à explorer dans le baroque français, des compositeurs qui me parlent instinctivement, avec des rôles de tragédienne passionnants. Pourtant, au-delà d’un penchant esthétique ou musical particulier, je n’ose plus rien dire ! Il y a quelque temps, j’aurais dit non au baroque, donc il faut être prudent. Même chose pour la musique contemporaine, alors que la création de l’opéra Les Pigeons d’argile a aussi été une claque extraordinaire. Philippe Hurel a écrit sa partition en fonction de ma voix. L’expérience fut un peu violente, vertigineuse : pendant des mois j’ai eu l’impression de tâtonner dans le noir, et tout à coup, les représentations sont arrivées, il s’est passé quelque chose. J’ai ressenti une liberté que je n’avais jamais eue. Lorsque l’on crée un rôle, le public n’a ni point de comparaison ni attente spécifique, on peut proposer quelque chose de personnel. Pour Rossini aussi, j’avais des aprioris, je voyais ça comme un patchwork de virtuosité, un feu d’artifice un peu vain. Mais maintenant que j’ai étudié la partition du Barbier de Séville, que j’ai interprété Rosine en scène, je découvre que j’adore Rossini. Et pour mes débuts, j’ai été gâtée, puisque j’ai chanté sous la direction d’Alberto Zedda, et que j’ai reçu l’aval du maestro ! Par ailleurs, moi qui ai des origines espagnoles, qui suis française et mezzo, j’avoue que dans quelques années j’aimerais aborder Carmen, avec une équipe, un chef, un metteur en scène qui me « nourrissent » aussi, pour que je puisse m’exprimer pleinement dans ce rôle. Je suis aussi très attirée par Charlotte dans Werther, et par le répertoire français en général. Berlioz viendra plus tard. Je le dis sans aucune prétention, je prends plaisir à représenter la French touch. En tant que jeunes musiciens, nous avons cette responsabilité là, de défendre notre musique. Nous avons un patrimoine richissime qui a besoin d’être soutenu, et ça me convient bien, d’avoir ce rôle-là à l’étranger. Je suis ravie qu’on m’ait demandé d’aller chanter Rameau en Allemagne, où le public n’a pas forcément cette esthétique-là dans l’oreille. J’espère pouvoir au moins apporter un certain rapport au texte. Et je fais en février mes débuts à Munich dans Falstaff. Meg n’est certes pas un grand rôle, mais c’est très bien pour m’imprégner de l’atmosphère d’une grande maison comme le Bayerische Oper. Alice sera interprétée par Véronique Gens, que je suis ravie de retrouver après avoir été Zerline à Bastille où elle était Elvire…

Vous avez été Drusilla à Paris, puis Néron à Francfort. A quand Poppée ?

Figurez-vous que c’était prévu. A Bruxelles (où je n’ai jusqu’ici chanté que le tout petit rôle d’une servante dans Médée), La Monnaie avait programmé un Couronnement de Poppée dirigé par René Jacobs, où je devais faire Poppea. Le triptyque Monteverdi devait être donné en 2015-16, mais le projet a été annulé suite aux coupes budgétaires, hélas. J’ai fait Idomeneo à Vienne avec René Jacobs, nous nous sommes très bien entendus, et ce n’est que partie remise.

Dans la production montée par Bob Wilson au Palais Garnier en juin dernier, tout le monde a remarqué l’aisance avec laquelle vous vous êtes intégrée à cet univers très particulier.

J’ai adoré le travail avec Bob Wilson ! Ce monsieur déborde de charisme, c’est très impressionnant. Je suis fan de son esthétisme, de ses lumières. Dans son théâtre, il y a un rapport au corps bien spécifique, et tous les artistes ne sont pas égaux sur ce plan, c’est vrai. Comme j’ai fait beaucoup de danse, cela m’a énormément aidée pour maîtriser cette gestuelle très codée. Il faut accepter d’exprimer des choses par la simple cassure d’un poignet . Je ne rêve que d’une chose : qu’un chorégraphe me mette en scène. J’adorerais cette expérience, pour investir un rôle pleinement, corps et âme. Le cadre wilsonien peut être très contraignant, et si on le vit comme une prison, on est très malheureux. Pourtant, comme le prouve l’exemple de la danse classique, on peut toujours s’exprimer dans un cadre qui paraît très figé. En tant que chanteur, les exigences de Bob Wilson nous apprennent une écoute très différente. On n’a aucun contact avec ses partenaires, ni physique ni visuel. C’est très déstabilisant, comme ces maquillages, très blafards, sévères, mais il faut jouer avec. Il faut prendre conscience de tout ce qui nous entoure, envisager chaque scène comme un tableau. C’est un univers en soi ;  au départ on est paumé, mais c’est stimulant. Ce qu’il demande peut paraître impossible au départ, mais finalement ça donne du sens. En fait, j’aime être surprise. A croire que je ne fonctionne qu’à coups de claques artistiques !

Le public parisien vous retrouvera bientôt dans une Belle Hélène montée au Châtelet par Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin, l’équipe d’une mémorable Pietra del Paragone.

Je ne peux encore rien vous dire à ce sujet, car je n’en sais pas plus. J’aime arriver sans aucune idée visuelle préconçue, je préfère être comme une éponge, tout découvrir avec le reste de l’équipe. Si je voyais en vidéo un spectacle dont je dois participer à la reprise, je pense que ça me conditionnerait. J’aime la surprise des premiers jours d’une production, où l’on ne se connaît pas. Le metteur en scène doit nous emmener sur sa planète dont on ignore tout,  et l’on a quatre ou cinq semaines pour donner sens et vie à son projet.

Vous avez participé à plusieurs intégrales (Dardanus, Phaéton, Orlando furioso), mais à quand un récital au disque ?

Je suis en pourparlers pour mon premier album, mais il est trop tôt pour vous en dire plus. Je prends ça comme un très très beau cadeau : un premier disque permet de présenter son travail, de montrer qui l’on est. Mais que choisir ? Comment faire découvrir ma voix ? Et pour les gens qui me connaissent déjà, dans quoi voudraient-ils m’entendre ? J’aimerais aussi surprendre. Je suis donc dans une période de réflexion qui me plaît beaucoup. Moi qui adore la scène, j’aime aussi beaucoup le récital, composer un programme et avoir un tout autre rapport au public. Le festival de Beaune me laisse carte blanche. J’ai fait beaucoup de lieder et de mélodies, je n’en fait plus en ce moment, mais quand l’occasion se représentera, ce sera avec grand plaisir : le rapport au texte, là encore. Avant d’être une comédienne-chanteuse, j’aime raconter des histoires, incarner un personnage ; au-delà du chant, de la beauté de la voix, il y a le travail technique bien sûr, mais mon réel plaisir, c’est de raconter, de transporter les gens dans un autre univers. Au disque, je vais participer à un enregistrement de Radamisto cet été. Haendel est un compositeur que j’aimerais explorer ; jusqu’ici j’ai seulement chanté Médée dans Teseo à Francfort et à Beaune.

Vous êtes une chanteuse heureuse ?

J’aime être modelée comme une pâte. Le rôle de Nerone, à l’opposé de ce que je suis, m’a appris beaucoup de choses sur moi. En interprétant un homme pervers, on découvre toutes sortes de choses qu’on ne soupçonnait pas. Si je fais un premier bilan, j’ai incarné un petit garçon, des jeunes premières, des jeunes hommes, des méchantes torturées hystériques, un pervers. Des années de thérapie en perspective ?

Propos recueillis le vendredi 23 janvier

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