Contrairement à Ruggero Raimondi ou à Placido Domingo qui multiplient les expériences dans le 7e Art, José van Dam n’est apparu que deux fois au cinéma : la première dans « le » film opéra par excellence, Don Giovanni de Joseph Losey en 1979, où il incarne un Leporello parfait, et la seconde dans Le Maître de musique, une fiction réalisée par Gérard Corbiau en 1988. À cela peut encore s’ajouter une rareté : Babel opéra, ou la Répétition de Don Juan de Wolfgang Amadeus Mozart, un film du grand réalisateur belge André Delvaux tourné en 1985 où José van Dam est Don Giovanni.
José van Dam (Leporello)
Don Giovanni, un film de Joseph Losey, 1979
© DR
Don Giovanni a fait date dans le genre du film opéra. Admiré sans réserve par les cinéphiles (Joseph Losey est avant tout un cinéaste et ce Don Giovanni est un film, pas une captation d’opéra), il l’est peut-être un peu moins par les puristes mozartiens. Qu’importe : il est esthétiquement somptueux et le choix de la villa Rotonda de Palladio près de Vicence comme décor principal est visuellement jouissif. Sur une musique préenregistrée à Paris que les chanteurs écoutaient en play-back, un soin tout particulier a été apporté au jeu des chanteurs devenus tous acteurs à part entière et tout à fait convaincants. Un valet noir muet qui incarne la mort de Don Giovanni [ou encore son fils illégitime selon Joseph Losey] est l’une des trouvailles les plus géniales du scénario. Le film est une succession de scènes d’anthologie et en ce qui concerne José van Dam, on peut mentionner son « Non voglio più servir » superbe dans le cadre splendide de la Basilique de Palladio à Vicence, l’air du catalogue inoubliable où le rouleau interminable dévale les escaliers de la Rotonda et pour finir, la scène du festin où Leporello se cache sous la table alors que le spectateur est collé à son siège de saisissement. Joseph Losey était impressionné par la prestation vocale de van Dam et désirait pour sa part insister sur le rapport de Leporello avec la caméra : le valet la prend sans cesse à témoin, donc également le spectateur avec lequel il entretient ainsi une complicité tangible.
Ruggero Raimondi (Don Giovannni), José van Dam (Leporello)
Don Giovanni, un film de Joseph Losey, 1979
© DR
Babel opéra, ou la Répétition de Don Juan de Wolfgang Amadeus Mozart d’André Delvaux est une rareté que nous n’avons jamais vue mais qui doit être tout à fait intéressante, connaissant le cinéaste, auteur d’œuvres remarquables telles que Un soir un train ou L’Homme au crane rasé qui comptent parmi les classiques du cinéma belge. Il s’agirait d’une « rêverie sous forme de comédie musicale autour d’une mise en scène de Don Giovanni à la Monnaie »1. À découvrir, donc.
José van Dam (Joachim Dallayrac), Anne Roussel (Sophie Maurier)
Le Maître de musique, un film de Gérard Corbiau, 1988
© DR
José van Dam avait été le sujet d’un documentaire, pour la télévision belge, réalisé par Gérard Corbiau en 1981. Ce documentaire de près d’une heure, qu’on peut trouver en bonus sur le DVD du Maître de musique paru chez RTBFVidéo/K2, est exemplaire. On suit José van Dam dans son quotidien de chanteur, chez lui ou en répétitions à la Monnaie pour Don Carlo, par exemple. Portrait pudique et juste, ce documentaire est un modèle du genre et inspire le respect. José van Dam y explique notamment qu’il compte s’arrêter de chanter vers la cinquantaine pour se consacrer à l’enseignement du chant. Gérard Corbiau s’était alors emparé de ce postulat pour en tirer une fiction, l’histoire d’un baryton-basse célèbre, Joachim Dallayrac, qui s’arrêtait en pleine gloire, vers 1910, pour se retirer dans son château et se consacrer à une seule élève, bientôt suivi d’un second étudiant, un jeune voyou rencontré dans les rues. Il transmet son art à ses élèves qui triomphent lors d’un concours pendant qu’il s’éteint dans sa propriété. Gérard Corbiau voulait José van Dam pour le rôle, bien sûr, mais n’a, pendant des années, trouvé personne pour produire une telle histoire. Peut-être aura-t-il fallu le succès d’Amadeus pour convaincre les producteurs. Toujours est-il que van Dam est resté fidèle au projet et s’est libéré pour le tournage d’un film qui ne verra finalement le jour qu’en 1988, sept ans plus tard ! Le succès du film a été immense. José van Dam y est superbe de retenue et de mystère et les airs interprétés collent justement au propos : un superbe « Là ci darem la mano » qu’il chante en duo avec son élève (interprétée par la charmante Anne Roussel), des lieder de Mahler ou de Schumann magnifiés par une image à l’esthétique qui rappelle fort celle de Don Giovanni de Losey. Une très belle réussite où les comédiens, remarquablement dirigés (dont Sylvie Fennec et le regretté Philippe Volter), sont formidables de justesse et d’émotion. Le film repose cependant sur la personnalité de José van Dam, dont on se prend à déplorer qu’il n’ait pas accordé plus de place au cinéma dans sa carrière. Mais tout est encore possible…
Catherine Jordy
Dernière minute : dans une interview accordée au Figaro (édition du 13 mai 2010), José van Dam évoquait un projet d’opéra, composé pour le cinéma d’après Le Diable au corps de Radiguet, que Gérard Corbiau mettrait en scène.
1 Théodore Louis, Hommage. André Delvaux, un artiste complet et raffiné, http://www.lalibre.be/culture/cinema/article/83334/andre-delvaux-un-artiste-complet-et-raffine.html