Sept ans déjà depuis que cette production de Manon voyait le jour à Marseille, dans une mise en scène de Renée Auphan avec la complicité d’Yves Coudray. Elle évoquait alors sa fidélité à Louis Ducreux, qu’elle assista au sortir de l’adolescence dans une Manon, et définissait son inspiration, écrivions-nous, par la tradition dans toute sa noblesse. Pour cette reprise, elle justifie son refus de la transposition par le respect dû à une œuvre qui n’a pas été conçue pour « les mœurs d’aujourd’hui » et par la conviction que le metteur en scène devrait moins se soucier du public que de la direction d’acteurs. Qui ne l’approuverait ? C’est pourquoi il est un peu fâcheux que çà et là au cours de la représentation ce que l’on voit soit en porte à faux avec ce précepte, par exemple quand, pour faire un sort à une page célèbre comme l’adieu à « la petite table », l’air soit chanté sans que l’interprète regarde le meuble en question. Et l’on regrettera la coupure, même si elle est fréquente, de la dernière scène du premier acte car elle a son rôle dans la cohérence dramatique en annonçant la volonté de vengeance de Guillot. Reste donc cette grande lisibilité, intacte, et une vie d’ensemble qui nous a semblé encore meilleure, qu’il s’agisse du Cours-la-Reine ou de l’Hôtel de Transylvanie. Dans leur simplicité essentielle les décors de Jacques Gabel conservent leur efficacité et les costumes XVIIIe de Katia Duflot, peut-être révisés pour Manon (?) sont toujours plaisants, voire élégants, bien mis en valeur par les lumières soigneusement étudiées de Roberto Venturi, sauf peut-être au deuxième acte, où elles ne soutiennent pas le prétexte avancé par Lescaut pour attirer des Grieux vers la fenêtre et laisser ainsi Brétigny s’approcher de Manon. La nouvelle chorégraphie de Julien Lestel, sans être inoubliable, est bien exécutée.
La distribution, entièrement nouvelle, aligne des seconds rôles entièrement satisfaisants. L’hôtelier de Patrick Delcour est sonore, le Brétigny de Christophe Gay élégant. Rodolphe Briand fait de son Guillot autosatisfait et vindicatif un véritable protagoniste, tandis que Nicolas Cavallier, dans la voix duquel il nous a semblé percevoir un vibrato légèrement importun, confère au comte des Grieux la prestance souhaitable et sauve du ridicule les conseils donnés à Saint-Sulpice. Le trio des courtisanes, composé de Jennifer Michel, Antoinette Dennefeld et Jeanne-Marie Lévy, n’a rien de vulgaire ou de glauque : on comprend que Manon ait désiré leur ressembler. Quant à Lescaut, il trouve en Etienne Dupuis un interprète excellent en ce qu’il a la voix du rôle mais il réussit, selon le souhait de Renée Auphan, à rester sympathique et même à devenir, à la fin, presque touchant.
Du rôle de Des Grieux, Sébastien Guèze a sans nul doute le physique juvénile, mais la séduction s’arrête là, car vocalement il semble si souvent à la peine qu’on finit par souffrir pour lui. Qu’on ne se méprenne pas : ce n’est pas le jeu de l’acteur qui est en cause mais les efforts visiblement pénibles qu’accomplit le chanteur. Il a pourtant des qualités, une longueur de souffle considérable qu’il semble gérer convenablement, mais il quand aborde la zone aigüe, en falsetto ou en voix pleine, il semble souvent au supplice et l’émission s’en ressent. La facilité qui semblait la sienne en 2008, qu’est-elle devenue ? On ne se posera pas la même question à propos de sa partenaire, Patrizia Ciofi, car sa maîtrise technique et sa connaissance de sa voix sont telles qu’elles lui permettent de tirer brillamment son épingle du jeu. Sans doute les couleurs ne sont pas des plus riches, sans doute le métier affleure-t-il et altère çà et là l’illusion de la spontanéité du personnage, mais on ne peut qu’admirer l’artiste ! Aux saluts, elle s’agenouille devant le chef, qui faits ses débuts à Marseille. On la comprend, car Alexander Joel, dont la carrière internationale brille d’un vif éclat, semble un chef d’opéra de tout premier ordre : il indique inlassablement toutes leurs entrées aux chanteurs et doit avoir donné des consignes assez claires et assez précises aux musiciens pour pouvoir apporter ce soutien constant à la scène. Et la fosse semble avoir bien compris ce qu’il veut car l’exécution est impeccable, tout semble aller de soi ! Jusqu’au public, d’une réserve si constante (seul l’adieu à la petite table fut applaudi) qu’elle en devenait polaire, qui se dégèle brusquement au rideau final, les quelques contestations adressées au ténor vite englouties dans la bruyante approbation générale. A Marseille, la tradition a du bon !
Opéra-comique en cinq actes (1884)
Livret de Henri Meilhac et Philippe Gille
d'après L'Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut de l'Abbé Prévost
Coproduction Opéra de Marseille / Angers-Nantes Opéra
Mise en scène
Renée Auphan et Yves Coudray
Assistant
Jean-François Kessler
Décors
Jacques Gabel
Costumes
Katia Duflot
Lumières
Roberto Venturi
Chorégraphie
Julien Lestel
Manon Lescaut
Patrizia Ciofi
Poussette
Jennifer Michel
Javotte
Antoinette Dennenfeld
Rosette
Jeanne-Marie Lévy
Le Chevalier Des Grieux
Sébastien Guèze
Lescaut
Etienne Dupuis
Le comte Des Grieux
Nicolas Cavallier
De Brétigny
Christophe Gay
Guillot de Morfontaine
Rodolphe Briand
L'hôtelier
Patrick Delcour
Choeur de l'Opéra de Marseille
Chef de choeur
Emmanuel Trenque
Orchestre de l'Opéra de Marseille
Direction musicale
Alexander Joel
Marseille, Opéra municipal, dimanche 4 octobre 2015 à 14h30
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Après Maria Stuarda à Genève, les prochains projets de Mariame Clément la conduiront entre autres à Madrid, Glyndebourne et Vienne.
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé