Le Festival de printemps des Arts Florissants, dédié cette année à Haendel, se déroule sur trois journées et permet d’entendre cinq concerts au total ; il a pour cadre de ravissantes églises du Sud-Vendée, pour une ambiance, ainsi qu’une acoustique, optimales. Après La Résurrection, mémorable concert d’ouverture donné le vendredi soir dans la cathédrale de Luçon déjà chroniqué précédemment, le festival se poursuit le jour suivant, en fin de matinée, dans l’église de Saint-Juire-Champgillon, pour un Concert & Café dédié à l’utilisation de la flûte chez Haendel et son inspirateur Arcangelo Corelli. Le concept correspond parfaitement bien à l’esprit de transmission qui anime les membres des Arts Florissants : après un court concert présenté par celui qui en a choisi le contenu, le public est invité à se déplacer dans une salle non loin de l’église pour y rencontrer les artistes, autour d’un café et d’une brioche vendéenne. C’est le flûtiste Sébastien Marq qui a la charge du programme, intitulé « Haendel chez soi ». Les qualités de pédagogue du talentueux soliste et membre régulier des Arts Florissants sont indéniables. Entouré de Camille Sors au violoncelle et Rafaela Salgado au clavecin, deux jeunes artistes très prometteuses qu’il a repérées en résidence au Quartier des Artistes, ce campus international créé par les Arts Florissants au cœur du village de Thiré, le flûtiste, manifestement heureux de jouer en si bonne compagnie, transmet aisément son enthousiasme, que partagent ses complices. Cette courte mise en bouche s’est avérée de très haute qualité ; et Sébastien Marq nous a raconté avec beaucoup d’esprit l’engouement pour cet instrument, Haendel utilisant notamment ses sonates pour flûte à bec comme exercices de basse continue pour son élève la princesse Anne, fille de George II.

Le soir même, on retrouve les Arts Florissants dirigés et accompagnés au clavecin et à l’orgue par William Christie dans l’église de Saint-Jean d’Hermine. Intitulé « Airs allemands », le programme est en fait constitué non seulement de rares pièces rédigées dans la langue natale du compositeur, mais également de courtes pièces comme la cantate « Cecilia, volgi un sguardo » ou encore le délicieux « Happy we » d’Acis and Galatea. Ces œuvres conçues à des périodes différentes ont permis aux deux solistes de déployer tout leur art de l’ornementation et de l’interprétation. Est-ce le froid et l’humidité ? Toujours est-il que la soprano Rowan Pierce semble à la peine pendant la première partie. Mais la fin du récital nous permet de découvrir ses véritables moyens, correspondant à l’excellence à laquelle on est habitué dans l’entourage du perfectionniste William Christie. La jeune britannique donne à entendre un timbre velouté et ample, une personnalité affirmée et une belle technique. À ses côtés, le ténor britannique James Wray, très apprécié du public, affiche une belle connaissance du répertoire baroque, avec un phrasé très aristocratique (qu’on nous pardonnera de trouver un rien artificiel) et une science de l’ornementation qui lui permet des vocalises ébouriffantes.
Dimanche matin, on retrouve avec plaisir un nouveau Concert & Café dédié à des Cantates sacrées de Haendel. C’est l’occasion de se délecter de l’art délicat et subtil de la soprano Paulina Francisco. La jeune femme, lauréate de l’académie biennale du Jardin des Voix en 2022, a participé à la formidable production de The Fairy Queen à Thiré l’année suivante, où elle était épatante. Elle confirme ici ses qualités dans un registre différent, celui de l’introspection et de la dévotion privée, dans des œuvres de jeunesse de Haendel, écrites en Italie pour le cardinal Ruspoli et sans doute chantées par la remarquable soprano Margherita Durastanti, l’une des toutes premières chanteuses d’Italie. Un héritage lourd à porter, mais qui ne semble pas embarrasser notre jeune américaine, très à l’aise dans ses deux cantates sacrées où l’on est saisi par la beauté du timbre, l’apparence de facilité de ses vocalises et la délicatesse de ses ornements.

L’après-midi est l’occasion rêvée de visiter les jardins de William Christie à Thiré, ouverts au moment du festival, comme un évident contrepoint. C’est celui qui confectionne les somptueux bouquets offerts aux solistes à l’issue de chaque concert qui nous sert de guide. Marc Barbaud a été le jardinier de l’Élysée ou encore des Serres d’Auteuil. Il est aujourd’hui retraité mais toujours passionné de jardins, cultive évidemment le sien et a su avoir l’oreille de William Christie, à qui il donne ses conseils pour les soins d’un jardin en pleine forme, buis compris. La visite est un enchantement, l’aspect au printemps des lieux étant sensiblement différent de ce que l’on découvre en été, au cours du festival « Dans les jardins de William Christie ».
Pour finir le festival, c’est dans la très belle église Saint-Pierre de Chantonnay qu’on se délecte de Concerti grossi de Haendel choisis et dirigés par Emmanuel Resche-Caserta, premier violon des Arts Florissants. Très vite, on sent l’assistance transportée par l’époustouflante virtuosité de l’ensemble des interprètes, très en phase, menés par un Emmanuel Resche-Caserta qui fait ses débuts à la tête des Arts Florissants et donne la sensation d’avoir fait cela depuis une éternité (il avait déjà été à la tête de la formation au cours de mini-concerts dans les jardins de Thiré, mais ce n’est tout de même pas la même chose !). Les difficultés techniques semblent ne poser de problèmes à personne. C’est un véritable moment de grâce auquel on assiste, salué par William Christie, installé au premier rang, avec un immense sourire de contentement. En trois jours, ce sont plus de 1500 spectateurs qui ont assisté à des spectacles de qualité exceptionnelle. Un spectateur a demandé à Paul Agnew, directeur artistique du Festival de Printemps, pourquoi une formation de renommée internationale comme les Arts Florissants se produisait apparemment si volontiers dans le tout petit village de Thiré, perdu en Vendée et vraiment loin de tout… Le bras droit de William Christie a répondu que justement, ces lieux privilégiés permettaient de rester en contact avec le public, de garder une taille humaine et une convivialité impossibles ailleurs. Interrogé sur ses craintes éventuelles face à l’intelligence artificielle, il a, très naturellement, rappelé que jamais une machine ne pourrait remplacer l’humain. « En cas d’affrontement musical entre une IA et un humain, pauvre ordinateur ! », a-t-il susurré avec confiance. On se pique de croire qu’il a raison : rien ne vaut les émotions vécues dans le type de festivals auquel nous venons de participer. On attend avec impatience et avec confiance les prochaines éditions…
