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Opéra et cerveau : faits pour s’entendre

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Actualité
3 avril 2023
Un art qui défie nos neurones

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Tout lyricomane normalement constitué en a pleinement conscience : l’opéra représente une intarissable source de bonheurs et bienfaits. Il sait que son approvisionnement en extases et en émotions multiples dépend de manière addictive de la fréquentation régulière de cette sublime forme artistique, elle-même gorgée de tant de sources différentes.

Les bases scientifiques qui soutiennent une telle conviction restent pourtant trop peu connues et rares sont ceux qui soupçonnent l’étendue des bénéfices que peut apporter la fréquentation – voire la pratique – de la musique, et à fortiori de l’art lyrique.

La musique, les oreilles et les neurones : comment ça fonctionne ?

Voilà plus d’un siècle que la science cherche à comprendre les mécanismes par lesquels le phénomène acoustique que l’on nomme « musique » est perçu par notre cerveau. Les récents et importants progrès de l’imagerie médicale ont permis aux neuroscientifiques de tracer une cartographie des 86 milliards de neurones de notre cervelle lorsqu’ils sont touchés par les différents éléments constitutifs de la musique : la mélodie, le rythme, l’harmonie et le timbre. Sans rentrer dans les détails, retenons que chacun de ces éléments est stocké dans des endroits séparés des deux hémisphères contenus dans notre boîte crânienne. Plus fort encore, une même note sera enregistrée par des neurones distincts selon qu’elle sera perçue par l’oreille gauche ou la droite. C’est en en reliant les neurones concernés par ce qu’on appelle des synapses et en compilant toutes ces informations que notre cerveau reconstitue la musique, dans une zone proche de celle qui gère le langage. Cela ne manque pas de logique, car la musique peut s’apparenter à une forme de langage. Pratiquer ou écouter la musique entraîne donc notre matière grise dans une formidable activité de connexions qui mobilise pratiquement tout notre cerveau. Comme pour le reste de notre corps, il est vital d’exercer, de faire régulièrement et intensément tourner notre matière grise pour l’entretenir, d’autant plus qu’elle dispose d’une formidable capacité à créer constamment de nouvelles connexions. La musique excelle dans ce rôle, tout en prodiguant de nombreux bénéfices.

Tant de bienfaits

On retrouve dans toutes les civilisations l’usage des berceuses, ces chants qui accompagnent l’endormissement les nourrissons en les apaisant. Il est avéré que la pratique du chant choral pendant la scolarité contribue à un heureux équilibre et favorise l’apprentissage d’autres matières. Écouter une musique que l’on aime augmente significativement notre taux de dopamine, cette « hormone du bonheur », qui joue un rôle positif dans l’apprentissage, la qualité de notre sommeil, notre productivité, notre motricité et notre mémoire. La musique a aussi démontré sa capacité à soulager la douleur.

Depuis les grands prématurés, jusqu’aux pertes dues à une lésion ou un accident, en passant par les troubles d’aphasie ou de  dyslexie, mais également l’autisme, les maladies dégénératives comme Alzheimer et Parkinson, la musique a prouvé qu’elle peut, non pas prévenir ni guérir, mais aider très concrètement notre cerveau à recréer des connexions qui se substituent à celles endommagées ou détruites. La toile regorge de vidéos aussi instructives qu’impressionnantes. Et puis il faut lire les ouvrages d’Isabelle Peretz, Oliver Sacks ou Emmanuel Bigand. Ce dernier propose d’ailleurs une amusante et instructive conférence-concert avec son quatuor à cordes. Quant à Oliver Sacks, son livre L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau a même inspiré à Michael Nyman la composition de son opéra éponyme.

Et l’opéra ?

Si à notre connaissance aucune étude scientifique ne s’est encore intéressée aux influences spécifiques de l’opéra sur notre cerveau, il ne faut pas être grand clerc pour deviner que ses effets bénéfiques dépassent de loin les performances de la seule musique instrumentale dans notre boîte crânienne, telles que décrites ci-dessus.

Déjà l’opéra s’adresse autant à la vue qu’à l’ouïe. L’oreille et l’œil constituent nos deux principales portes d’accès à la connaissance et à la communication, et nourrissent l’essentiel de notre activité cérébrale.

En outre, l’art lyrique comporte un texte, chanté, récité ou déclamé : il sollicite donc les mécanismes de compréhension du langage. Et on trouve dans le répertoire pléthore d’ouvrages en langue étrangère, ce qui nous force à naviguer dans plusieurs idiomes différents, assistés en cela par le surtitrage – quadrilingue à l’opéra de Liège ! Et même s’il s’agit de Carmen, il arrive que le français du ténor turkmène qui tient le rôle de Don José mobilise intensément nos facultés pour comprendre ce qu’il chante. Il en va d’ailleurs de même avec la soprano française qui chante le rôle-titre de La Petite Renarde rusée et dont l’accent méridional perturbe fortement notre bonne compréhension du délicieux livret de Janáček.

Un art qui défie nos neurones

On le pressent déjà, l’opéra représente la forme artistique la plus complète, celle qui pose le plus de défis à notre intelligence et constitue le plus tempétueux des bouillonnements neuronaux.

Le répertoire regorge de livrets qui dépassent l’entendement, depuis le baroque où  des contre-ténors tiennent des rôles féminins, mais de surcroît, ils se déguisent en homme pour mener à bien leurs desseins amoureux ! Verdi n’est pas en reste avec le Trouvère ou les Vêpres siciliennes aux intrigues aussi abracadabrantesques qu’impossibles à suivre.

On l’aura compris, saisir le sens de l’opéra n’est pas à la portée d’un quotient intellectuel trop modeste. Pour rajouter une ultime couche de complexité à une matière pas toujours accessible, on peut compter sur les metteurs en scène adeptes du Regietheater, ceux qui sont persuadés que si c’est compréhensible, il faut s’empresser de rajouter plusieurs strates de métatexte et sous-couches d’intentions cryptées. C’est ainsi qu’au début du deuxième acte de Zauberflöte Romeo Castellucci place sur scène 3 jeunes mères en train de tirer leur lait, nectar qu’elles répandront sur le sol à la fin de la pièce. Pourquoi ?  Et pourquoi le même Castellucci, à l’acte II de Parsifal, suspend-il au-dessus de la scène un python blanc, surplombant des jeunes filles fort peu vêtues mais très soigneusement ligotées ? De tels exemples abondent dans nos colonnes, illustrant à satiété le pouvoir que détient l’art lyrique de titiller nos neurones et leurs synapses, et de défier notre entendement. Oubliez les Sudokus et autres mots fléchés de votre revue favorite de sport cérébral, abonnez-vous aux mises en scène de Krzysztof Warlikowski, Calixto Bieito, Peter Sellars et tant d’autres. Même si le sens de leur démarche peut vous échapper – vous avez quand même toujours le choix de fermer les yeux – au moins vous réaliserez que tous ces chefs-d’œuvre du répertoire lyrique ont la capacité de nous interroger, nous faire réfléchir, nous pousser à argumenter, bref à déployer toutes les immenses ressources de notre cerveau.

Des conclusions qui s’imposent

De tout ceci il ressort clairement que l’opéra, c’est bien plus qu’un formidable patrimoine qu’il convient d’entretenir et de faire vivre encore et toujours, car c’est art bien vivant, qui se réinvente à chaque représentation.

Certes l’opéra relève de la culture, des arts de la scène dans le sens le plus large, mais il s’apparente également à l’éducation et à la santé, et ses bénéfices s’adressent aussi bien aux adolescents qu’aux plus âgées de la population. Il est donc urgent que les pouvoirs publics concernés prennent pleinement conscience de ces constats scientifiquement démontrés et agissent en conséquence, plutôt que de réduire les budgets indispensables.

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