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Sarroca, ou l’artisanat lyrique

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Actualité
19 septembre 2023
Suzanne Sarroca s’est éteinte le 15 septembre 2023 dans la bonne ville de Carcassonne, où elle était née le 21 avril 1927.

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Après avoir partagé pendant des années sa vie entre Paris et sa ville natale, elle avait décidé de prendre sa retraite définitive dans ce Sud bien-aimé. Elle y était née fille d’épiciers dans ce quartier de La Trivalle, aux pieds des remparts, où vivait le petit peuple des artisans. C’était le temps où des communes de cette taille disposaient d’un orchestre municipal, d’un Chœur, d’un théâtre – on y savait ce que chanter veut dire, et la voix de mezzo de Suzanne Sarocca n’échappa pas à ses professeurs. A dix-neuf ans, elle partait pour Toulouse et son Conservatoire. Mezzo ? Oui, mezzo. Pendant quelques années, c’est dans ce répertoire qu’elle évolua, débutant en 1950 dans Charlotte – à Carcassonne, naturellement. On la retrouva ensuite à La Monnaie en Carmen. L’assise de la voix dans le grave ne disparut jamais, mais il s’enrichit avec le temps d’un aigu lumineux, au métal solide. Comme son aînée Mödl, comme sa contemporaine Crespin (de deux mois plus âgée), elle pourra dès lors rendre justice à des emplois reposant sur ce socle vocal mais exigeant la quinte aiguë. Pour Sarroca, ce fut typiquement Elisabeth de Valois dans Don Carlos, une falcon, ou les grands lyriques wagnériens – Senta, Sieglinde, Elisabeth dans Tannhäuser.

Débutant en 1952 à l’Opéra de Paris, elle y chantera tous ces grands rôles, devenant sous l’ère Lieberman un pilier de la maison. Elle fut de la génération des Bacquier, Crespin, Dens, Mesplé, Guiot, Mars, Massard, Vanzo, Py, Blanc, Luccioni, c’est-à-dire de ce temps où des Wagner et des Verdi entiers pouvaient être distribués à des chanteurs français. Cela lui permit une étourdissante ampleur de répertoire, ajoutant à ses emplois dramatiques des purs lyriques (Marguerite) ou des emplois de spinto (Aida, Tosca, Santuzza), qu’elle chanta – et enregistra – en français. Qu’on y songe : Deutsche Grammophon lui confia en 1964 une Senta en français aux côtés d’Ernest Blanc et de Paul Finel, avec les BambergerSymphoniker. Ce fut le temps où Gorr, Blanc, Crespin chantaient à Bayreuth. Le temps où les grands chanteurs français n’étaient pas cantonnés, sur les scènes internationales, aux opéras français. Ce temps devait bientôt s’achever sous l’influence d’une concurrence internationale écrasante, avant de renaître (pour notre bonheur) dans les temps plus récents.

Elle fut à La Scala, à Rome, à Salzbourg (une Rappresentazione dell’ anima et del corpo en 1970 avec le jeune José Van Dam), à Vienne, au Teatro Colon (Don Carlos, 1965), à New York (en 1964 pour une Juive avec Richard Tucker dont il reste un enregistrement). Dans le même temps, elle n’hésita pas, en 1962, à transporter à Carcassonne ses camarades de l’Opéra de Paris pour un Faust in loco. Elle retrouva ses origines de mezzo pour être le Quinquin de Schwarzkopf (1966) mais aussi celui de Crespin (à l’Opéra de Paris, en 1958 ; le duo a été capté en 1962).

Ses trente années de carrière la menèrent jusqu’au terme des années 80. Elle n’eut rien à envier aux plus grands parcours, sinon ceci : la consécration par le disque. Comme d’autres grandes divas de la scène occultées par Callas, Schwarzkopf ou Scotto, elle eut une destinée internationale dont il manque une trace sonore construite. Certes, les archives demeurent, mais fragmentaires, incomplètes ou frustrantes. Les traits dardés de son duo avec Carlo dans un Don Carlo romain dirigé par Carlo Maria Giulini (Rome, 1965) nous font déplorer l’absence d’intégrale (qui doit bien dormir dans quelque archive) : la clarté, la force, la hauteur y sont admirables. Tout reliquat surnageant en surface (Aida, Marguerite, Blanche de la Force) nous fait regretter le reste, mais nous le fait deviner aussi, malgré souvent un français quelque peu passé de mode et des comparses pas tout à fait dignes d’attention.

Elle-même fut trop humble sans doute, et peut-être bien assez comblée aussi, pour se faire l’archiviste d’elle-même. Elle prit encore quelques rôles sur scène dans les années 80, comme la Comtesse de Coigny d’Andrea Chénier en 1989 à Strasbourg et Lyon. Ou encore en Larina d’Eugen Onegin en 1990 à Anvers.

Depuis 1982, cependant, elle avait pris la direction de l’Atelier lyrique de l’Opéra National du Rhin, Strasbourg ayant si souvent été pour elle une destination aimée, avec son complice Alain Lombard. Lorsque ce mandat prit fin, elle décida d’enseigner encore, au Conservatoire du IXe arrondissement de Paris. Elle le fit avec constance jusqu’à l’heure de la retraite, en 1992, sans les préjugés ni le snobisme de ceux qui je jurent que par les « masterclasses », spectacle pédagogique dont il ne reste si souvent rien. De sa génération, elle ne fut du reste pas la seule à voir dans ce retour aux sources la suite naturelle d’une carrière active, eût-elle été hors-format. Signe que la part de rêve lyrique offerte lors de tant de soirées sut ne jamais se départir du sentiment profond d’être avant tout des artisans. C’est cette humilité qui, avec elle, s’efface aussi un peu plus.

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