A Vézelay, le petit matin est l’opportunité de séances de Qi Gong en musique face à la vallée embrumée, avant un petit déjeuner au son du fado dans les jardins de la maison de Jules Roy. On y participe également à des masterclasses de chant occitan ou bolivien, à un carnaval et un bal créoles, à des concerts en plein air ou dans les églises de la région. Il s’agit donc de célébrer la musique et la voix sous toutes ses occurrences et pas seulement dans sa version occidentalo-centrée. C’était déjà le cas il y a deux ans lors de la 4e édition de la biennale « Elles chantent, composent, dirigent… » centrée sur le Nouveau-Monde.
En accueillant Viva la Gracia!, le festival confirme son ouverture sur les musiques classiques du monde, son souci d’un “d’un pont entre culture et musique, d’un lien entre musique et patrimoine qui se transmet et se partage” comme le précise le directeur François Delagoutte.
Voilà onze ans que Mariana Delgadillo Espinoza dirige l’ensemble de musique baroque et contemporaine Alkymia. Lors de ses recherches dans la ville de Sucre en Bolivie, elle a exhumé un riche fonds d’archives baroques dont l’origine espagnole est mâtinée de musique locale. Un premier album, Sucrerie paru cet hiver chez Oktav Records a permis d’explorer une partie de ce superbe répertoire ibéroamericain. Avec Viva la Grazia!, Sucre 2, c’est cette fois à la tradition afro-bolivienne que s’intéresse l’ensemble, proposant un délicieux moment musical où se croisent les traditions baroques et les résonances traditionnelles africaines ou boliviennes. Le public ne se trompe pas sur la générosité de ce partage et achève l’après-midi, debout, tapant dans les mains au rythme de la “Batucada” qui quitte l’église. Les dix chanteurs et cinq musiciens proposent une interprétation historiquement informée de grande qualité, précise, nuancée, à la joie communicative comme dans la « Fiesta de San Benito ». Le répertoire est accessible, entraînant, plein d’humour. Il convoque une foi familière en un « Jésus Christ, cousin » ; le plaisir de la narration avec l’histoire des rois mages dans le superbe negritos « Los coflades de la Estleya ». Il s’attache à des récits populaires peuplés d’hommes qui doivent quitter les leurs pour survivre comme dans le puissant « Wayoea » ; de mères forcées de délaisser leur petit pour s’occuper de l’enfant du maître, douleur ordinaire dont rend compte l’émouvant fado, « Barco Negro ». Les effectifs varient au sein d’une même pièce . Dans « Esa noche yo bailá », solistes et tutti alternent avec une belle énergie. Le beau « Mientras estás ausente » du compositeur contemporain César Junaro Durón débute par un solo qui se fait un quatuor avant un tutti prenant. A cette occasion, comme tout au long de la représentation, les musiciens régalent d’inventivité sous la direction dansante et joyeuse de la cheffe de choeur. Les rires des interprètes ponctuent la séance. Certains morceaux résonnent comme des comptines avec des onomatopées dans « ¿Quienes han de ser los Negros? » ou encore « Los coflades de la Estleya ». « les paroles, écrites par des Espagnols ou des Créoles, sont en negliyo, un langage inventé dans un but parodique, jouant sur les clichés liés aux Noirs et sur des onomatopées. » précise Anne Cachau-Herreillat dans le programme de salle. En filigrane, sous son apparente légèreté, le concert souligne effectivement une problématique toujours d’actualité, celle de l’image de la communauté afro-descendante dans les pays d’Amérique du Sud.©RMV-V.Arbelet