Opéra de chambre d’Oliver Leith et Ted Huffman d’après Billy Budd de Benjamin Britten dans sa version en deux actes de 1964 sur un livret d’Edward Morgan Foster et Eric Crozier adapté de la nouvelle d’Herman Melville Billy Budd, Sailor (An Inside Narrative), 1924 (posthume), créé au Festival d’Aix-en Provence le 5 juillet 2025 au Théâtre du jeu de Paume.
Détails
Mise en scène, adaptation, costumes et accessoires Ted Huffman
Adaptation musicale Oliver Leith
Billy Budd Ian Rucker
John Claggart, Dansker Joshua Bloom
Edward Fairfax Verte, Squeak Christopher Sokolowski
A Novice, Maintop Hugo Brady
Mr. Redburn, First Mate Noam Heinz
Mr. Flint, Second Mate Thomas Chenhall
Musiciens de scène Finnegan Downie Dear
Richard Gowers
Siwan Rhys (claviers)
George Barton (percussion)
Direction musicale Finnegan Downie Dear
Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en Provence, le 5 juillet 2025 17h.
Créé triomphalement à Covent Garden 1er décembre 1951, puis au Théâtre du Châtelet avec la même distribution dès 1952 et à l’Indiana University Opera Company la même année, Billy Budd s’est progressivement installé au répertoire des grandes maisons, lentement mais sûrement, et avec un succès constant : Chicago (1970), Florence (1965), Barcelone (1975), le Met (1978), Bastille (1996), Vienne (2001), Munich (2006), Madrid (2017)… Il reste néanmoins quelques retardataires étonnants comme la Scala ou le Festival de Salzbourg. Œuvre magistrale, l’une des plus fortes de Benjamin Britten, Billy Budd utilise à la fois le registre de l’intime, et celui de la foule au travers de chœurs vibrants, revisitant d’une certaine manière le grand opéra à la française. Le rapprochement peut également être fait au niveau du livret, d’une construction impalpable, ce que l’on qualifiait au XIXe siècle de « pièce bien faite ». Dans ces conditions, on pouvait se demander l’intérêt d’une adaptation en opéra de chambre d’un tel ouvrage et prendre le risque de travestir un chef-d’œuvre. Le résultat balaie les éventuelles réticences.
À l’origine du projet, Ted Huffman voit dans l’homosexualité le thème principal de l’ouvrage, et le reste comme un rideau de fumée. Huffman est en effet très sensible à cette problématique : il a notamment écrit le livret de The Faggots & Their Friends Between Revolutions (Les Pédales et leurs ami•es entre les révolutions )(sic), d’après un roman de Larry Mitchell paru en 1977), sur une musique de Philip Venables, compositeur britannique « connu pour ses œuvres lyriques et théâtrales sur les thèmes de la sexualité, du queer, de la violence et de la politique », créé à Aix en 2023. Huffman avance également qu’Herman Melville aurait eu une relation sexuelle avec l’écrivain Nathaniel Hawthorne, avec lequel il entretenait un lien épistolaire passionné (on songe à Montaigne et La Boétie : à mon époque, tout lycéen qui aurait émis des hypothèses sur leur relation aurait été puni et contraint à écrire 100 fois « Je ne ferai plus de parallèles anachroniques »). L’auteur de la nouvelle qui inspira Britten était par ailleurs marié et père de famille : comme on dit, cela ne prouve rien (mais quand même).
Les documents d’époque établissent toutefois clairement au XVIIIe siècle l’existence de relations homosexuelles (pas toujours consenties du reste) qui pouvaient advenir entre marins (ce incluant à l’occasion officier ou matelots mineurs) : on le sait en raison des pendaisons qui pouvaient s’en suivre… Ceci pour dire qu’à fond de cale, ce n’était pas vraiment la joyeuse liberté de la Gay Pride. Dans cette perspective historique, la scène où nous voyons le novice mettre une main sur les hanches de Billy, et les deux jeunes gens s’embrasser ardemment aussitôt, relève plutôt de la romance à l’eau de rose, de la Gay Fantasy moderne. Par ailleurs, l’adaptation reste nuancée : ainsi, le possible désir du Capitaine Vere envers Billy n’est pas souligné.
À notre sens, cette vision par le petit bout de la lorgnette tend toutefois à réduire l’universalité de l’œuvre. Claggart qui voit ses avances envers Budd repoussées (scène fugitive dans cette production) et qui s’en venge, c’est du domaine du fait-divers ; Claggart qui détruit le jeune marin au seul motif de sa beauté et de sa bonté, c’est le mal dans ce qu’il a de plus noir. Mais ce choix est totalement assumé par Huffman qui rejette explicitement cette vision universaliste : « Pour un grand nombre de spectateurs, le sens véritable de l’œuvre se dérobe. Elle est écrite en langage codé, destiné à ceux qui savent le déchiffrer. La majorité de ceux qui l’ont découverte depuis sa création, doivent penser qu’elle parle de l’opposition entre le bien et le mal ou de quelque chose de ce genre. Mais l’interprétation large et générale me semble moins intéressante que les questions réellement en jeu chez Melville ». Outre l’argumentation circulaire (quelles sont les questions réellement en jeu chez Melville, abstraction faite justement de celles que lui prête Huffman ?), on se rappellera que, pour celui qui ne possède qu’un marteau, tous les problèmes sont des clous, et on lira avec profit l’analyse passionnante et plus nuancée de notre confrère Bernard Schreuders.
Oliver Leith est l’autre maître d’œuvre de cette adaptation. Sa composition n’est pas une simple réduction de la partition à un effectif de chambre : c’est la rencontre de deux univers musicaux totalement différents, et leur interpénétration pour produire un objet musical différent. Bien sûr, on reconnait (ou on croit reconnaitre) sans problème la musique de Billy Budd. On regrette les coupures, qui représentent pas moins d’une heure de musique (on fera ainsi son deuil du splendide prélude orchestral à la pendaison de Billy). Les modifications de la partitions sont plus discrètes : changement de hauteur de notes, reprises de mesures rappelant la technique moderne des samples…Elle est agrémentée d’effets divers : cornes de brumes, chants de baleine, sifflets… Parfois les motifs musicaux sont moins visibles et dans quelques scènes ont a davantage l’impression d’un récitatif que de véritables dialogues chantés. L’instrumentarium est très éloigné de celui de Britten. Basée principalement sur des claviers et des percussions, l’orchestration sonne toutefois remarquablement, sans véritable originalité cependant, rappelant d’ailleurs un peu la musique psychédélique et ses avatars, genre d’ailleurs contemporain de la révision de Britten ! Rien de révolutionnaire, mais rien non plus qui puisse choquer l’auditeur lambda.
Au delà de ces considérations, l’essentiel reste que le résultat soit convaincant : cette Story of Billy Budd, Sailor est d’une grande force, et remporte un triomphe mérité aux saluts. La scénographie de Ted Huffman est simple et efficace. Les instrumentistes (amplifiés) sont intégrés à la mise en scène, habillés en marin et positionnés en fond de plateau. Les lieux sont figurés par une simple voile. La direction d’acteur est intense et d’une grande subtilité (il faudrait voir le spectacle plusieurs fois pour en apprécier toutes les nuances). Plusieurs rôles sont attribués à divers chanteurs : une simple fausse barbe suffit parfois à changer de personnage. La distribution est globalement jeune, et les chanteurs souvent d’une grande beauté, complément indispensable à cette approche homo-érotique (qui du reste peut laisser indifférente une partie du public). Mais le spectacle ne serait pas une réussite si ces chanteurs n’étaient pas aussi d’excellents artistes lyriques. Certes, la salle du Jeu de Paume n’est pas très grande et son acoustique est exceptionnelle, mais les chanteurs n’en sonnent que plus brillamment. Peut-être trop du reste, car ils se donnent à fond comme dans une grande salle : après 9 mois de saison bastillaise, on ne va pas se plaindre quand on peut profiter des voix !
Ian Rucker n’est pas seulement un ange blond de haute stature. Au delà d’un physique michelangélien, le baryton américain dispose d’une voix puissante et riche, à l’ambitus idéal pour cette tessiture tendue. Sa technique est remarquable (surtout pour un chanteur de 27-28 ans) mais passe inaperçue tant elle est au service de l’expressivité. La voix sait s’éclairer de soleil ou s’assombrir, se teinter de miel dans un mixte délicat. Sa composition est bouleversante, recherchée sous une apparente simplicité, cohérente d’un bout à l’autre de l’ouvrage et culminant avec une bouleversante scène finale où s’entremêlent colère, espoir et résignation. Un Billy d’exception. Le plus expérimenté Joshua Bloom est un Claggart tout en finesse, d’une noirceur dépourvue d’histrionisme. Il sait aussi complètement renouveler son chant pour exprimer la compassion de Dansker qui violera la consigne pour apporter un peu de réconfort à son ami Billy. Le choix de Christopher Sokolowski (34 ans) en Capitaine Vere est plus déroutant mais se justifie historiquement (on pouvait être nommé capitaine à moins de trente ans en temps de guerre) et surtout dramatiquement, tant les personnages se retrouvent ici en miroir l’un de l’autre. La technique du ténor américain repose essentiellement sur un placement mixte, mais comme chez Stuart Burrows récemment disparu, cette technique ne se fait pas au détriment de la projection qui reste puissante, avec des aigus clairs et vaillants, et lui permet une musicalité quasi mozartienne tout à fait adéquate pour cette vision chambriste. Lui aussi sait parfaitement adapter son chant en interprétant également Squeak, la créature de Claggart. Hugo Brady est parfaitement convaincant en Novice, avec une voix claire et juvénile, mais suffisamment puissante et un chant nuancé. Il sait parfaitement rendre la faiblesse de cet autre personnage manipulé par Claggart. Noam Heinz est remarquable en Mr Redburn et en Premier maître, avec un beau timbre de baryton et une voix solide. Nous lui formulons tous nos vœux de succès pour la finale de la Paris Opera Competition (en French in ze text) à laquelle il participera en novembre prochain. Thomas Chenhall complète efficacement la distribution dans le double rôle de second maître et de Mr Flint. Finnegan Downie Dear dirige avec efficacité depuis son clavier une formation d’une parfaite unité, et sait maintenir la tension dramatique tout au long de l’ouvrage donné sans entracte.
Après un long silence, la salle éclatera en applaudissements et accueillera triomphalement ce spectacle hors du commun.
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Billy Budd Ian Rucker
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