Après une création remarquée cet été, en plein air, au Théâtre de l’Archevêché dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence, La Calisto entame à l’Opéra de Rennes – producteur délégué – une longue tournée en salle qui la mènera aux quatre coins de l’hexagone jusque fin 2027.
Le rideau se lève sur un Prologue détourné : Les funérailles auxquelles nous assistons sont-elles celles de Calisto qui se voit promettre l’éternité comme semble l’indiquer le texte ? Que nenni, découvrirons-nous trois heures plus tard, il s’agit de celles de Jupiter – décidément rien moins que divin puisque Calisto vient de l’assassiner. Voilà qui tord assez brutalement le mythe et confirme les turpitudes fort humaines auxquelles sont confrontés les Dieux de l’Olympe.
Ce choix dramaturgique questionne un peu inutilement le spectateur, alors que tout au long de la soirée, le cadre de l’action respecte scrupuleusement la reconstitution historique : les lambris cérusés de Julia Katharina Berndt dévoilent alternativement toutes les pièces d’une demeure aristocratique grâce à une tournette centrale du meilleur effet. Plus élégants encore, les costumes crées par Hannah Clark sont tout simplement éblouissants, déclinant des soies pastel d’un suprême raffinement.
Ceci dit, là encore, choix incongru, nous ne sommes pas en 1651 mais plus d’un siècle plus tard dans un contexte totalement XVIIIe. Celui-ci convoque immédiatement les univers d’un Mozart ou d’un Choderlos de Laclos.
Il faut dire que les tribulations de Calisto ou d’Endymion résonnent nettement des thèmes des Liaisons Dangereuses : les Grands s’ennuient et se distraient entre cruauté et égoïsme, au détriment d’êtres naïfs ou purs qu’ils broient négligemment. Poignardant son subordonneur, Calisto, refuse de n’être qu’une Volanges ou une Tourvel avant l’heure.
Cette modernité projetée sur le mythe irrigue tous les choix de Jetske Mijnssen qui insuffle au livret une grande contemporanéité dans les thèmes abordés – harcèlement, consentement, fluidité des genres et des pratiques sexuelles … -.
Une fois acceptées, ces distorsions ne nuisent en rien au bonheur du spectateur. Car Si l’œil est charmé, l’oreille l’est plus encore par la remarquable qualité du plateau vocal. De Dominic Sedgwick, Mercure à la voix pleine à Théo Imart au timbre tout aussi séduisant en passant par le Pan si convaincant de Bastien Rimondi, le touchant Endymion de Paul-Antoine Bénos-Djian ou la délicieuse Lymphée travestie de Zachary Wilder, sans oublier la Diane de haut vol de Giuseppina Bridelli, tous les rôles sont à la fête.
Excellents comédiens, nourris par une direction d’acteurs acérée, particulièrement variée, les chanteurs font montre d’autant d’élégance que de naturel, d’une réjouissante intelligence dans le style comme dans l’interprétation.
Dominant les autres artistes de son imposante stature, Milan Siljanov n’a pas à forcer son naturel et l’autorité naturelle de sa voix pour incarner Jupiter. Il est d’autant plus à contre-emploi en Diane travestie, cabotinant avec une jubilation communicative en voix de fausset.
Jouisseur cynique, comme Valmont, il rend d’autant plus touchante la merveilleuse Calisto de Lauranne Oliva qui profite de la somptuosité du timbre, de la richesse de la voix de poitrine, de l’aisance des vocalises et d’une incarnation sensible pour des extases sensuelles pleines de fraîcheur et des Lamenti bouleversants. La scène où les esprits sylvestres, aux ordres de Junon, lui imposent l’humiliation d’une tonsure est proprement saisissante.
Anna Bonitatibus y foudroie tout autant en épouse bafouée dans un air somptueux qui murmure sans jamais détimbrer, éructe sans jamais se départir d’un art idéalement maîtrisé.
Soutien sans faille de cette équipe de choc depuis la fosse, Sébastien Daucé retrouve avec une joie manifeste l’Ensemble Correspondances. La complicité des musiciens est évidente dès l’ouverture avec ce son rond qui se nuance d’infinies couleurs tout au long de la soirée. La belle énergie de l’orchestre souligne l’acuité du travail rythmique et l’art des atmosphères.
Faussement classique, superbement interprétée, la Calisto ne saurait dévier de son orbite glorieuse : à Angers-Nantes Opera les 22, 23 et 30 novembre prochains, au Théâtre des Champs Elysées du 4 au 6 mai 2026, au Théâtre de Caen les 20 et 21 mai 2026, aux Théâtres de la Ville de Luxembourg en octobre 2027 avant d’achever sa course à l’Opéra Grand Avignon les 13 et 14 novembre 2027.