Les plus anciens se souviennent, non sans tristesse aujourd’hui, de Guillaume Tell en 1995 au Rossini Opera Festival (ROF). Aux côtés de Daniela Dessi, prématurément disparue il y a quelques jours, Monica Bacelli chantait Hedwige. Depuis, la mezzo-soprano, originaire de Chieti, au sud de l’Italie dans la région des Abruzzes, a poursuivi une carrière d’abord mozartienne mais n’avait jamais remis les pieds à Pesaro. Pourquoi ? Nous ne saurions le dire, pas plus que nous ne sommes en mesure d’expliquer la raison de son retour sur la plus rossinienne des plages de l’Adriatique vingt-et-un ans après son dernier passage. Le choix du programme, partagé entre Schubert et Rossini, s’il parait dans un premier temps obscur, s’avère en revanche d’une logique imparable.
En 1823, Vienne accueille pour la première fois cette Donna del lago qui occupe avec Ciro in Babilonia et Il turco in Italia l’édition 2016 du ROF. Faut-il rappeler l’admiration que Schubert portait à Rossini, lui qui n’hésitait à affirmer son Figaro « cent fois meilleur » que celui de Mozart ? Du texte de Walter Scott utilisé par l’Italien pour composer son opéra, le Viennois tire un cycle de sept mélodies, publié en 1826, dont trois – les chants d’Ellen – sont destinés à une voix de femme. Le troisième d’entre eux, une prière de l’héroïne à la Vierge pour implorer sa protection, a depuis fait le tour de la terre. Son nom : Ave Maria.
Auparavant, en début de concert, « Vedi quanto t’adoro » – les récitatif et aria pour la Didone abbandonata, composé en 1816 sous l’influence d’Antonio Salieri – et deux des Vier Canzonen rappellent l’intérêt que portait Schubert à la musique italienne. Si la première pièce lorgne du côté de l’opéra, ne serait-ce que par sa structure, les deux autres dédiées à Franziska Roner von Ehrenwerth – Fanny pour ses amis –, explorent un registre plus intime et n’exigent pas de prouesses vocales exceptionnelles, la dédicataire du cycle n’étant pas une voix virtuose.
© Amati Bacciardi
Pris en sandwich entre ces deux tranches de schubertiade, des miettes de Péchés de vieillesse clignent malicieusement de l’œil. L’orpheline du Tyrol et La chanson de Zora, la petite bohémienne, tirés de l’Album français, illustrent le goût de l’époque pour un exotisme situé quelque part entre Séville et Bagdad. Il resentimento et Sorzico sont deux des innombrables mélodies que Rossini a composées sur le poème de Metastase « Mi lagnero tacendo ».
Ce programme sans grande exigence vocale, Monica Bacelli, souriante, – on a presqu’envie d’écrire amicale – l’interprète mieux en italien qu’en français, d’un timbre neutre avec une sincérité, une réserve confortable de souffle et quelques aigus filés appréciables tandis que son accompagnateur, Pietro de Maria aide à comprendre dans la pièce pour piano seul Klavierstücke, pourquoi l’on dit parfois que Schubert est le compositeur des divines longueurs.