Le lecteur sera sans doute surpris, mais il faut commencer le compte rendu du nouveau Don Pasquale de Liège par le chef d’orchestre. Ce que Dayner Tafur-Diaz fait surgir de la fosse tient en effet du prodige. Dès les premières mesures de l’ouverture, c’est un concentré d’énergie haletante, de beauté sonore et de cohésion instrumentale qui envahit la salle. Et le niveau ne baissera pas d’un millimètre au cours des trois actes. Jamais l’orchestre de Donizetti n’a sonné aussi plein, aussi cossu, aussi bondissant. Il reste toujours dans son rôle d’accompagnement, comme de juste dans les années 1840 en Italie, mais offre une sorte de trampoline aux chanteurs, qui peuvent sans cesse y puiser un nouvel élan. Tafur-Diaz ne se contente pas de faire rutiler un orchestre de l’opéra de Liège galvanisé, il est aussi à l’écoute de son plateau et instaure un aller-retour permanent entre le tissu orchestral et les performances individuelles des chanteurs. Les différents pupitres de l’orchestre lui mangent dans la main, et on distinguera particulièrement des timbales qui ont mangé du lion et qui rythment le spectacle avec jubilation. La lecture du programme nous apprend que le jeune prodige originaire du Pérou est non seulement lauréat du concours des chefs d’opéra organisé à Liège en 2022, mais qu’il est aussi depuis peu l’assistant de Kirill Petrenko à la Philharmonie de Berlin. On espère que ses engagements lui permettront malgré tout de revenir en Belgique le plus souvent possible.
Il y a moins de bien à dire de la mise en scène de Mirabelle Ordinaire. L’idée de transposer l’intrigue dans le Little Italy de New York des années 50 et de transformer Don Pasquale en parrain de la mafia n’est pas réellement bénéfique à la pièce, elle ne gêne pas non plus. Sauf dans un suicide final qui reste une énigme (une leçon mal tirée de Tchekov?). Les décors de Philippine Ordinaire sont ingénieux, mais ils enferment souvent les chanteurs dans des espaces couverts qui ont tendance à absorber le son. La direction d’acteurs est la meilleure partie du travail scénique : la force comique de l’œuvre est rendue avec beaucoup de vigueur, chaque geste est pesé et pensé en fonction de l’esprit du texte. Résultat : la pièce n’a pas pris une ride, et la salle rit de bon coeur à tous les moments prévus par le tandem librettiste/compositeur.
Surtout que la production peut compter sur quatre chanteurs de tout premier plan, dignes héritiers des légendes qui assurèrent la création de l’œuvre à Paris en 1843. Le Malatesta de Marcello Rosiello alterne un jeu scénique particulièrement délié et une vocalité strictement disciplinée. Il a compris que l’humour de Donizetti s’enracine dans une conception très classique du bel canto. Il faut faire rire par la musique, et non pas en la détruisant. « Bella siccome un angelo » émeut presque aux larmes, et ses deux duos sont des modèles de style et de tenue. Dans la même veine, Maxim Mironov campe un Ernesto au lyrisme éperdu. Jusque dans la moindre de ses postures, il est le jeune amoureux transi et incompris. La voix est exquise, et menée avec un goût consommé. Les sérénades sont des moments de grâce. Certains pourront déplorer un léger manque de volume ; d’autres verront dans cette fragilité un trait encore plus touchant.
Ambrogio Maestri semble connaître le rôle comme sa poche. Son aisance en scène, son charisme et son aisance vocale comblent le public. On reconnait un grand chanteur lyrique à l’autorité qu’il met même dans ses répliques les plus courtes, et ses interjections (nombreuses dans la partition de Donizetti) ne manquent jamais de produire leur effet. La voix n’a plus tout à fait le mordant qu’elle avait en 2001, lorsque le monde émerveillé découvrait un Falstaff d’anthologie. L’artiste compense par un legato généreux. Le public apprécie. Cependant, celle qui bat tout le monde à l’applaudimètre est Maria Laura Iacobellis. Sa Norina est tout simplement irrésistible. Pile électrique constamment en mouvement, elle se dépense sans compter dans ses divers avatars : soubrette, intrigante, mégère ou amoureuse, elle croque tout avec voracité. La voix n’est pas toujours séduisante, mais la soprano la dose à merveille, et parvient à la plier à toutes les acrobaties du rôle. C’est idéal de piquant, de précision, de pure exultation, dans tous les registres. Qui pourrait encore dire que l’opéra est difficile à chanter devant cette pépillante tourterelle, qui court, rit, séduit et mène son petit monde à la baguette ? Ce mercredi soir, l’esprit de la Commedia del’arte a soufflé sur Liège, et tout emporté sur son passage.