Pour son ouverture de saison, l’Opéra national de Nancy-Lorraine propose Orlando de Haendel, adapté de l’Orlando furioso de l’Arioste, et reprend une production créée en janvier dernier au théâtre du Châtelet (chroniquée par Yannick Boussaert). Merveilleusement chanté, le spectacle laisse toutefois quelque peu perplexe quant à la mise en scène, pas toujours très claire. Mais la beauté de l’œuvre, l’élégance de la scénographie et des décors ainsi que le charme de l’interprétation, appuyée par les performances des jeunes interprètes et placée sous le patronage de Christophe Rousset font que l’ensemble finit par emporter l’adhésion.
Orlando est l’un des chefs-d’œuvre de Haendel, sans conteste, dont le livret est émaillé de didascalies où la magie est omniprésente. On imagine les jeux de scène extravagants et féeriques de l’époque du compositeur sans peine (changements à vue, deus ex machina…). Tous ceux qui ont vu les adaptations modernes de Robert Carsen pour Semele, par exemple, ou de Max Emanuel Cencic pour Serse, pour ne citer que celles-là, savent à quel point les œuvres de Haendel peuvent être drôles, passionnantes, dynamiques et ultra contemporaines. La démarche de Jeanne Desoubeaux se veut elle aussi un « équilibre entre le passé et la modernité d’Orlando ». Ainsi, c’est dans un musée que se situe l’intrigue, où des enfants se laissent enfermer de nuit plutôt que de rejoindre leur classe lors d’une sortie scolaire. C’est devant les yeux émerveillés des enfants que vont s’animer les personnages du récit, sortant de leur tableau ou s’émancipant de leur torpeur de statues. Mais si certaines saynètes sont épatantes de fraîcheur et d’efficacité, le rythme faiblit rapidement et les correspondances peinent à faire sens, ce qui nuit à un opéra où le manque d’action généré par l’exploration des sentiments des protagonistes et une subtile introspection gagnerait à être compensé par les effets visuels idoines. Heureusement, le décor élaboré par Cécile Trémolières est pur enchantement que les lumières de Thomas Coux dit Castille subliment, le tout s’imprimant durablement dans les mémoires, tout comme les costumes où le rose, même s’il s’agit d’un hasard du calendrier, n’est pas sans faire judicieusement écho aux dossards fuchsia des participants de l’Octobre rose croisés partout dans la ville à l’occasion de la marche-course du jour. Reste la sensation de voir la fureur noire du héros transposée en colère rose pour un spectacle en décalage avec l’original, donc, mais sans perdre totalement son pouvoir de séduction, loin s’en faut.

L’idée d’introduire dans le spectacle le regard des enfants est excellente ; le procédé séduit manifestement un public d’ailleurs très jeune pour partie. Les artistes en herbe de la Maîtrise citoyenne itinérante de l’Opéra national de Nancy-Lorraine et les Élèves du Conservatoire régional du Grand Nancy font merveille. Ils donnent une autre dimension aux péripéties vécues par les adultes qui s’aiment, se déchirent, deviennent fous d’amour puis reviennent à la raison sous leur regard avide et innocent. Les failles, faiblesses et fêlures des différents protagonistes n’en apparaissent que plus profondes, émouvantes et sincères. Dans le rôle écartelé d’un Orlando déchiré par sa passion amoureuse ourlé d’une insoutenable jalousie, la soprano Noa Beinart met son bel instrument ambré et voluptueusement moiré au service des affres amoureux du guerrier tourmenté jusqu’à la folie. La noblesse de sa prestation est toutefois tempérée par une retenue qui annonce le retour à la raison du personnage. Annoncée souffrante, la contralto Rose Naggar-Tremblay ne semble absolument pas à la peine, s’appuyant sur une technique solide et rayonnante. Son Medoro est mieux que convaincant. Mais ce sont les deux rôles féminins qui s’avèrent les plus remarquables, par la richesse de leurs vocalises et la brillance de leurs aigus passionnés ou déchirants. La soprano Melissa Petit (qui nous a également ravis récemment à Strasbourg dans le Triomphe du Temps et de la Désillusion) est décidément fort à son aise avec Haendel et, si elle est largement reconnue Outre-Rhin, sa notoriété ne devrait pas tarder à s’amplifier de ce côté de la frontière. Son Angelica est de toute beauté. Elle trouve cependant une rivale de choix en la personne de la soprano Michèle Bréant, épatante Dorinda au timbre clair, délicieusement frais et fruité, dotée de mille charmes. Le quatuor est superbement épaulé par la basse Olivier Gourdy, dont on apprécie les qualités de comédien presque autant que la beauté des graves et l’ampleur d’une voix équilibrée et délicatement sonore.
Délaissant provisoirement ses Talens lyriques au profit de l’Orchestre de l’Opéra national de Nancy-Lorraine toutefois largement rompu aux exigences baroques, Christophe Rousset parvient à les aider à magnifier la partition, dont on peut à loisir goûter la richesse et les exquises sonorités, y compris sur instruments modernes. On se laisse volontiers emporter dans ces tourments amoureux si passionnément servis.