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Jean-Louis Grinda : « Il faut envisager la reprise théâtrale publique avec une politique de prix revue à la baisse » —

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Spectacle
7 avril 2020
Jean-Louis Grinda : « Il faut envisager la reprise théâtrale publique avec une politique de prix revue à la baisse »

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Homme de scène, directeur de théâtre, Jean-Louis Grinda livre ici, dans son verbe habituel sans circonvolutions, sa vision globale et à long terme de la crise. Le regard d’un artiste et aussi d’un expert du management réaliste mais tourné vers les artistes et le public. Selon lui, la sortie de crise sera un choc auquel il faut d’ores et déjà se préparer.


Comment avez-vous vécu l’annonce gouvernementale de fermeture des théâtres en tant que directeur et metteur en scène ?

Cette annonce était attendue mais, sans doute avec un excès d’optimisme teinté d’irréalisme, j’espérais secrètement qu’elle arrive plus tard, nous laissant le temps de faire nos représentations du Comte Ory à Monte-Carlo. Depuis cet arrêt, quinze jours, qui paraissent comme un mois, se sont écoulés. Et l’on mesure pleinement l’impossibilité totale de poursuivre notre activité, comme beaucoup d’autres d’ailleurs que l’on qualifie de « non vitales ». Implicitement, notre art sort du champ de l’indispensable… Les maisons d’opéra ont toutefois tenu à poursuivre le lien avec leur public en offrant des retransmissions de représentations récentes ou plus anciennes. Même si rien ne remplacera jamais l’émotion en direct, les nouvelles technologies apparaissent désormais comme le vecteur indispensable de la promotion de nos artistes et des chefs-d’œuvre qu’ils interprètent. Certes, le fait n’est pas totalement nouveau, mais d’un point de vue juridique et financier, on se rend compte de deux choses en cette crise, avec plus d’acuité encore : les théâtres doivent impérativement conserver de manière extrêmement professionnelle la trace de leurs créations et d’autre part, les artistes (solistes, chœurs, musiciens, danseurs et figurants) doivent abandonner leurs droits aux théâtres qui font cet effort coûteux dont on voit bien aujourd’hui toute l’importance en cette crise pour la continuité de l’art.

Vos premières pensées et réflexions sont allées comme toujours aux artistes. Etes-vous satisfait des premières mesures annoncées conjointement par le Ministère de la culture et le Ministère du travail ? Appellent-elles selon vous d’autres suggestions ?

Mes pensées et préoccupations vont bien entendu vers les artistes et techniciens liés aux spectacles. Et plus précisément encore, vers les plus faibles, les plus modestes, ceux dont les fins de mois sont difficiles même lorsque tout va bien. Ceux-là doivent impérativement être protégés. Des premières mesures ont été annoncées. Elles vont dans le bon sens mais, comme tout ce qui est pensé dans l’urgence, elles devront être améliorées. Je ne doute pas que la volonté politique soit là. Outre le gel de situations individuelles dans le cadre des ASSEDIC, il me semble tout aussi indispensable de penser à ceux qui étaient sortis du système par manque de travail dans les dix derniers mois (les fameuses 507 heures) mais dont les contrats des mois de mars, avril, mai (je n’ose aller au-delà), allaient leur permettre de retrouver leur statut d’intermittents. Pour ceux-là, je demande que toutes les heures prévues par des contrats signés mais non effectuées pour cause de Covid 19, soient en totalité intégrées dans leur dossier. Ainsi, on leur évitera la double peine de la perte de revenu et de la non-accession au statut qui leur revient. De la même manière, il me semble opportun que la réponse à la crise soit commune et non pas laissée à l’appréciation plus ou moins généreuse de tel ou tel théâtre. Il faudra distinguer les spectacles répétés mais non joués de ceux annulés sans répétition. Le Ministère de la Culture doit jouer tout son rôle et donner des directives claires par la voix des préfets qui pourront apprécier les particularismes locaux même pour les théâtres ne bénéficiant pas de subventions d’Etat. Enfin, il faudrait avoir une attention toute particulière envers les agents artistiques qui sont des partenaires indispensables pour la bonne marche de nos théâtres mais aussi dans l’accompagnement des artistes. Une indemnisation partielle me paraitrait juste. Là aussi, une réponse commune est impérative.

La crise du Covid 19 que vous avez qualifiée de black swan (reprenant ainsi le terme consacré par les économistes) induit selon vous, au-delà des mesures de gestion de crise, une réflexion sur l’avenir à long terme. Comment envisagez-vous la sortie de crise pour l’art lyrique et comment selon vous se préparer au mieux à une reprise d’activité et dans quelles nouvelles conditions ?

La gestion de sortie de crise sera délicate car il faudra composer avec des personnels sans doute impatients de reprendre mais néanmoins un peu déboussolés par une longue période de confinement et avec un public dont la première envie ne sera pas forcément de s’enfermer dans une salle de spectacle. D’où l’importance du maintien du lien artistique évoqué plus haut. En outre, il faudra que le public ait encore les moyens financiers d’aller au théâtre. C’est pourquoi, pour éviter un effondrement généralisé, il est important que le pouvoir d’achat soit préservé « quoi qu’il en coûte ». Il ne me semble pas exclu d’envisager la reprise théâtrale publique avec une politique de prix revue à la baisse. Là aussi, les pouvoirs publics doivent indiquer le chemin à suivre. Enfin, concernant le monde de l’opéra, il me semble incontournable de ne plus éviter la question de la parfaite inutilité de productions qui ne sont jouées qu’une seule fois pour peu de représentations dans un seul théâtre. L’Opéra de Paris, que je n’hésite pas à citer, devrait aussi se poser la question de ce qu’est un théâtre de répertoire. Multiplier les versions de telle ou telle œuvre en moins de dix ans est peut-être satisfaisant pour l’ego et pour la curiosité de certains critiques mais ne correspond certainement pas à l’idée que l’on se fait du répertoire à Vienne, Londres ou New York…

Quelles conséquences financières la crise aura-t-elle à plus ou moins long terme pour les opéras?

C’est une question dont la réponse dépend du mode de gestion et d’administration des théâtres. N’oublions pas que l’opéra est, par nature, un genre déficitaire. Tous les théâtres européens ont donc des subventions d’équilibre votées après acceptation d’un programme et d’un budget. Les recettes de billetterie ne représentent, dans la majorité des cas, que 18 à 25 % du budget total de fonctionnement. Pour être parfaitement honnête, il va falloir déduire l’ensemble des recettes non réalisées (billets et mécénat) et voir ce que l’on fait du reste qui n’aura pas été utilisé alors qu’il aura été budgété. Ce solde sera, en général, positif. Il devrait permettre de faire face aux difficultés rencontrées par les artistes, danseurs et techniciens n’ayant pas de CDI. Je rappelle avec ironie, pour illustrer mon propos, qu’un théâtre bien géré est un théâtre en travaux. A nous de trouver la motivation politique et somme toute professionnelle de faire mentir cet adage ! 

Vous vivez la crise du Covid 19 également d’un point de vue monégasque. Vous avez évoqué la création d’un fond public d’urgence pour la continuité économique lors du dernier point presse du Conseil National de Monaco. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les virus ne connaissent pas de frontières et c’est bien là une découverte glaçante pour beaucoup d’entre nous. Outre gérer le présent, il faut dès maintenant préparer le « coup d’après », c’est à dire gérer la sortie du confinement qui sera certainement moins joyeuse que l’on imagine, tant le choc aura été traumatisant, mais aussi s’assurer d’un redémarrage rapide à tous les niveaux de production et de consommation. Il faut donc dès maintenant préparer ce choc en montrant notre détermination mais aussi en ne refusant pas certaines remises en question. En Principauté, l’art a toujours été pensé comme une priorité. Le pays est petit et les enjeux de la reprise se seront pas les mêmes que chez nos voisins européens. Mais les moyens d’y parvenir seront à peu près identiques. Tout dépendra de la durée de cette crise mais je ne crois pas, en l’état, à une quelconque remise en cause des institutions culturelles que sont l’Opéra, les Ballets, l’Orchestre Philharmonique ou le Festival du Printemps des Arts. Une des particularités de la Principauté est de n’avoir, depuis plus de 150 ans, ni impôt sur le revenu (les autres existent : TVA, impôts sur les bénéfices, droits de mutation,…) ni dette publique. L’avenir est préservé par l’existence d’un Fonds de Réserve Constitutionnel dont j’assure la présidence de la commission dédiée au Conseil National (équivalent du Parlement). Cet outil va jouer tout son rôle dans les mois qui viennent.

Pour revenir en nos terres, parvenez-vous à mesurer l’éventuel impact de la crise sur les Chorégies d’Orange dont on connait déjà les difficultés récurrentes ? Quel visage aura le festival cette année ?

Les Chorégies ont connu un démarrage de location absolument exceptionnel. Nous étions en avance de plus de 50% sur tous nos tableaux de marche et au 15 mars 15000 billets avaient été vendus. Nous allions donc vers une année record qui validait les choix artistiques pris depuis trois ans. Cet élan a bien évidemment été freiné par la crise sanitaire. Seule la durée de celle-ci et la faculté de résilience des populations permettra de savoir si notre élan brisé pourra être repris. Toutes les équipes artistiques et techniques, les orchestres de Radio France, sont désormais mobilisés vers la réussite de cette édition. Je crois en ce lieu que les artistes et le public aiment. S’il est un endroit où le sentiment d’avoir vaincu ces épreuves pourra s’exprimer dans toute sa force, c’est bien le Théâtre Antique !

Comment se présente le reste de la saison pour vous ?

La saison de l’Opéra de Monte-Carlo est interrompue et très probablement finie, même si j’explore toutes les pistes pour entretenir la possibilité de jouer encore. La tournée européenne des Musiciens du Prince avec Cecilia Bartoli est elle aussi suspendue et, à l’heure où je vous parle, le maintien même du Festival de Pentecôte à Salzbourg n’est pas assuré (les Musiciens du Prince devaient y donner un concert et Don Pasquale). En tant que metteur en scène, Traviata à Monte-Carlo et Carmen à Marseille n’auront pas lieu. Je ne sais pas encore ce qu’il adviendra de Traviata à Saint-Étienne, Falstaff à Antibes et Mefistofele à Toulouse…

Propos recueillis le 29 mars 2020

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