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LULLY, Atys – Avignon

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Spectacle
13 mars 2024
Atys transfiguré

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Tragédie en cinq actes avec prologue

Musique de Jean-Baptiste Lully
Livret de Philippe Quinault

Création à Saint-Germain en Laye, le 10 janvier 1676

Détails

Chorégraphie
Victor Duclos

Lumières
Pierre Daubigny

 

Atys
Mathias Vidal

Cybèle
Véronique Gens

Sangaride
Sandrine Piau

Célénus
Tassis Christoyannis

Doris
Hasnaa Bennani

Flore, une divinité de fontaine
Virginie Thomas

Melpomène, Mélisse
Eléonore Pancrazi

Le Temps, un songe funeste, le Fleuve Sangar
David Witczak

Idas, Phobétor
Adrien Fournaison

Un Zéphyr, Morphée, un grand dieu de fleuve
Antonin Rondepierre

Le Sommeil, un grand dieu de pierre
Carlos Porto

Iris, une divinité de fontaine
Marine Lafdal-Franc

Phantase
François-Olivier Jean

Deux petits dieux de ruisseau
Henri de Montalembert
Marie Baron

Deux divinités de fontaine
Maryna Plumet
Madeleine Prunel

 

Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie

Les Pages et des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles

Direction artistique
Fabien Armengaud

Ballet de l’Opéra Grand Avignon

Direction musicale
Alexis Kossenko

Avignon, Opéra, le 10 mars 2024, 14h 30

Coproduction du Centre de Musique Baroque de Versailles. Production programmée en version de concert avec danse à Tourcoing le 17 mars, puis à Paris, Théâtre des Champs-Elysées, en version de concert le 26 mars

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La résurrection d’Atys avait ébloui durablement le monde musical, en 1986, conduite par William Christie. Depuis, quelques rares spécialistes de la musique baroque ont osé remonter l’ouvrage, chacun avec sa propre approche (1), ayant pour dénominateur commun la volonté d’en traduire la force et l’émotion. L’intrigue en est connue : Atys, secrètement épris de la nymphe Sangaride, est aimé de Cybèle, la déesse. Après que les premiers se soient avoué leur amour, bien que la nymphe ait été promise au roi Célénus, la seconde va se venger en usant de sa magie, pour les faire périr, après quoi elle pleurera Atys qu’elle métamorphosera en un arbre sacré, le pin. Pour la première fois, une tragédie lyrique invite une divinité dans un rôle central. Le livret de Quinault, à lui seul, est un chef-d’œuvre. A-t-on auparavant mieux peint les mouvements du cœur ? Quant à la musique, sa popularité fut sans égale, la quantité de parodies l’attestera, durant des décennies.

La réalisation que conduit Alexis Kossenko marque en quelque sorte une rupture radicale avec les propositions antérieures, à plusieurs titres. Certes, le livret et les notes sont bien les mêmes, pour l’essentiel (c’est ici le manuscrit de Versailles qui a été retenu), mais tout change. Le projet, initié par Benoît Dratwicki il y a cinq ans, a fédéré les compétences musicologiques les plus pointues autour de l’ouvrage, à propos des sources, des interprètes, de l’orchestre, du chœur, du placement de chacun, et de l’ornementation. Les hautbois et cromornes, reconstruits pour la circonstance, qui sonnent d’une manière nouvelle, leur présence en scène, dès la première gavotte, sont un exemple de ce renouveau. Le lecteur curieux comme le spécialiste feront leur miel de l’impressionnant document regroupant les études (2).

Seules quelques rares œuvres, le plus souvent emblématiques, ont donné lieu à des travaux, aussi nombreux que documentés, permettant d’en connaître toutes les modalités de création, de l’établissement des sources aux conditions de leur exécution, couvrant des domaines aussi larges que l’organologie et la paléographie musicale. Atys figure maintenant parmi elles, et ce n’est que justice.

© Studio Delestrade - Avignon

La réalisation scénique outrepasse largement la version de concert (3). Certes, aucun décor, aucun accessoire, une discrète estrade linéaire et incurvée permettant au second rang des chanteurs du chœur de dominer le premier. Pages et Chantres du CMBV, comme les solistes hommes, sont vêtus de costumes sombres, quasi uniformes, dans un cadre anthracite, du sol au fond de scène. Ceux-ci chantent, immobiles, alignés, ou en petits groupes, ou encore en fer à cheval (comme attesté en 1676), à ceci près que la gestique des solistes traduit évidemment leur sentiment. Les solistes femmes revêtent des tenues colorées et élégantes, en relation avec leur rang et leur fonction. Avec des moyens aussi limités qu’efficaces, les lumières magistrales de Pierre Daubigny explicitent et magnifient chaque moment, renouvelant et animant la scène. La danse, au cœur du spectacle, n’est plus ici un aimable divertissement convoqué pour satisfaire l’esprit du temps :  point de simulacre de reconstitutions de danses baroques, dont l’esprit est pourtant bien là, mais d’admirables évolutions chorégraphiques, aussi inventives que colorées, conférant une incroyable vie scénique, éblouissante. Il revient aux danseurs du ballet de l’Opéra d’Avignon, dirigés par Victor Duclos, de traduire l’action comme les états psychologiques de chaque scène. Tous les apports de la danse contemporaine depuis Béjart ont été assimilés, mûris, transcendés, pour une réalisation superlative, où la performance de chacun s’harmonise à celle du groupe. La qualité des costumes, des coiffures recherchées mérite d’être soulignée. Certaines scènes – l’attente impatiente de l’arrivée de Cybèle, le sommeil d’Atys, la déploration de sa mort, sa métamorphose finale – sont fascinantes.

Ce qui frappe d’emblée est le son, proprement inouï. Avant d’énumérer les solistes, l’accent doit être mis sur cette approche radicalement neuve. Ici, sans jamais sentir la naphtaline, toutes les découvertes de la recherche la plus pointue sont mises à profit pour restituer le son originel. Comme signalé, les hautbois et cromornes ont été reconstruits à cet effet, générant un son inimitable. D’autre part, ils jouent toujours sur scène (comme la recherche le légitime…). Outre ceux-ci, (qui passent naturellement à la flûte à bec), l’orchestre réunit un continuo de sept instruments et le tutti, dont le dosage des interventions est un bonheur. La prononciation ancienne a été délibérément écartée, à juste titre. Aucune figure hiératique convenue : le naturel, la simplicité qui vont droit au cœur.

Le chœur est un ensemble vocal dont la composition et l’effectif fluctuent au fil des scènes. Les chœurs, petits et grands, préparés par Fabien Armengaud, sont réglés sur la pratique et les effectifs du temps. Point de voix de femmes : les dessus sont confiés à des enfants, dont il faut souligner les qualités d’émission, projection comprise, et qui assument ponctuellement de petits rôles.

Même si, au cas par cas, on peut préférer tel ou tel artiste dans tel ou tel emploi, on aura rarement trouvé une distribution si homogène, cohérente, s’appuyant sur des valeurs sûres, dont l’adéquation aux rôles n‘appelle que l’admiration : chacun est à la fois renommé dans le répertoire baroque, d’une maîtrise exemplaire de la déclamation , doté d’extraordinaires qualités vocales et dramatiques.  La simplicité, le naturel sont convoqués : les ornements (documentés) sont rigoureusement limités, y compris dans les reprises. Mathias Vidal est Atys. Le choix s’est porté sur un authentique ténor (une haute-taille, et non un haute-contre). Ses qualités d’émission, de timbre, son énergie sont connus. Dès son « allons, allons, accourez tous », jusque son ultime propos (« je suis assez vengé, vous m’aimez, et je meurs »), il nous tient en haleine, nous partageons ses émotions, ses doutes, sa passion comme sa résolution. Un immense Atys. Figure féminine attendrissante, Sangaride est confiée à Sandrine Piau, sur laquelle les ans n’ont pas prise : la fraîcheur d’émission, sa clarté comme son expression font merveille. Après « Quand le péril est agréable », le languissant « Atys est trop heureux » sur basse de chaconne, où sa tendresse malheureuse s’exhale, est un moment attendu, et récompensé, ô combien ! Cybèle, la reine des dieux, qui est descendue retrouver Atys, au prétexte de l’union de Sangaride à Célénius, appelle l’autorité d’une grande tragédienne : Véronique Gens trouve là un emploi rêvé. La sincérité de son amour ne fait aucun doute. Malgré sa jalousie, sa cruauté, on ne saurait la détester. Ses plaintes pathétiques et nobles du dernier acte (« Atys n’est plus coupable »), avec le chœur funèbre, nous émeuvent par leur vérité. Célénus, le souverain épris de Sangaride, dont il se voit privé par son ami, est Tassis Christoyannis. Il n’apparaît qu’au deuxième acte. Si, passagèrement, une certaine instabilité marque sa première intervention, la bonté chaleureuse, noble, du personnage, puis sa révolte à la découverte de sa trahison sont fort bien traduits. David Witczak chante le père de Sangaride (le fleuve Sangar). Lorsqu’il apparaît avec les autres divinités aquatiques, on ne sait que préférer de son chant et de celui de l’orchestre, d’un figuralisme juste. Les suivantes sont opportunément caractérisées, magnifiques Doris (Hasnaa Bennani) et Mélisse (Eléonore Pancrazi). Idas (Adrien Fournaison), associé à Doris, n’est pas un simple faire-valoir. Merveilleuse est la scène du sommeil, ordonnée par Cybèle, chantée par Morphée (Carlos Porto), Phobétor (de nouveau Adrien Fournaison) et Phantase (François-Olivier Jean), où, aux songes agréables succèdent les funestes. La plénitude, l’homogénéité participent à notre émotion. Il faudrait citer chacun et chacune, même si leurs interventions sont limitées. Ainsi la délicieuse Flore que campe Virginie Thomas, au Prologue, comme l’Iris confiée à Marine Lafdal-Franc (qui participait à l’Atys de Christophe Rousset, avec Antonin Rondepierre).

L’orchestre, Les Ambassadeurs et La Grande Ecurie, souple, subtil, réactif, est dépourvu de l’éclat martial (pas de trompettes) propre à la plupart des autres tragédies, comme de tout maniérisme. La force, l’énergie comme la délicatesse n’en sont pas moins illustrées avec maestria. Il n’intervient pour l’essentiel que dans les préludes et divertissements. Le continuo, rigoureusement semblable dans sa composition (un « petit chœur » de sept instruments) comme dans son jeu à celui de la création, n’a plus de rapport à celui de William Christie (4 luths, une guitare, 2 clavecins, des basses de violon et des basses de viole, aux associations renouvelées). A sa décharge, il se défendait de réaliser une version « historique ». La subtilité des évolutions psychologiques et dramatiques de chacun est magistralement traduite par l’énergie qu’Alexis Kossenko communique à tous. La souplesse, les phrasés, les équilibres n’appellent que des éloges, toujours, ça respire, ça chante comme ça gronde, au service d’une émotion partagée. La mélancolie du premier acte ne laisse personne insensible, l’implacable progression dramatique qui culmine au dernier acte nous emporte, nous prend à la gorge, puissante, poignante.

Nul doute que l’enregistrement promis rencontrera le plus nombreux public, et fera l’objet de bien des débats. Il y aura bientôt cinquante ans, le regretté Philippe Beaussant appelait de ses vœux un Atys « total », déplorant qu’il soit « gravement trahi par le concert comme par le disque ». Jamais nous n’en avons été aussi proches (4), le bonheur et l’émotion en partage, et il aurait été certainement fort heureux de cette admirable production. Reste à souhaiter qu’une grande scène lui restitue son absolue plénitude, sa somptuosité scénique, ses décors grandioses, ses costumes flamboyants et ses machineries.

(1) Hugo Reyne, Leonardo Garcia Alarcon, Christophe Rousset, en version scénique ou de concert. 
(2) Les 103 pages du document (Cahiers PHILIDOR, 44) sont consultables sur le site  du CMBV. Un compte-rendu spécifique lui sera prochainement consacré dans la rubrique « Livres ». A signaler que la Médée de Charpentier, qu’enregistrait récemment Hervé Niquet, conseillé par Benoît Dratwicki, prenait déjà en compte une part des recherches du CMBV. 
(3) Elle sera reproduite à Tourcoing, mais, hélas, irréalisable au TCE, raison supplémentaire pour justifier tel déplacement. 
(4) Sans pour autant oublier l’extraordinaire production genevoise que Leonardo Garcia Alarcon conduisit dans la mise en scène d’Angelin Preljocaj. La proposition, esthétiquement admirable, ne répondait pas aux mêmes critères.

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Tragédie en cinq actes avec prologue

Musique de Jean-Baptiste Lully
Livret de Philippe Quinault

Création à Saint-Germain en Laye, le 10 janvier 1676

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Chorégraphie
Victor Duclos

Lumières
Pierre Daubigny

 

Atys
Mathias Vidal

Cybèle
Véronique Gens

Sangaride
Sandrine Piau

Célénus
Tassis Christoyannis

Doris
Hasnaa Bennani

Flore, une divinité de fontaine
Virginie Thomas

Melpomène, Mélisse
Eléonore Pancrazi

Le Temps, un songe funeste, le Fleuve Sangar
David Witczak

Idas, Phobétor
Adrien Fournaison

Un Zéphyr, Morphée, un grand dieu de fleuve
Antonin Rondepierre

Le Sommeil, un grand dieu de pierre
Carlos Porto

Iris, une divinité de fontaine
Marine Lafdal-Franc

Phantase
François-Olivier Jean

Deux petits dieux de ruisseau
Henri de Montalembert
Marie Baron

Deux divinités de fontaine
Maryna Plumet
Madeleine Prunel

 

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Fabien Armengaud

Ballet de l’Opéra Grand Avignon

Direction musicale
Alexis Kossenko

Avignon, Opéra, le 10 mars 2024, 14h 30

Coproduction du Centre de Musique Baroque de Versailles. Production programmée en version de concert avec danse à Tourcoing le 17 mars, puis à Paris, Théâtre des Champs-Elysées, en version de concert le 26 mars

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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