Les aléas font partie de la vie lyrique. Si souvent la défection de telle ou tel chanteur donne des sueurs froides, il arrive que le chef lui-même se retrouve contraint au repos. Ainsi, Gianandrea Noseda a dû renoncer, après deux représentations, à diriger Macbeth au Teatro Regio de Turin dont il est le directeur musical. Giulio Laguzzi, le répétiteur (« directore musicale di paloscenico ») assure la relève et bénéficie d’un orchestre parfaitement préparé, capable de virtuosité et de vélocité dans la première scène des sorcières, comme de belles élancées romantiques notamment lors du solo de violoncelle qui sous-tend l’aria « ah, la paterna mano ». Pourtant l’on ne saurait se satisfaire uniquement de beaux sons ou de maitrise technique. La narration s’en ressent et l’énergie, le sens du drame qu’un Noseda sait insuffler s’évapore plus souvent qu’il ne faudrait.
Cela influe certainement sur la prestation des chanteurs. De retour de maternité depuis quelques mois, Anna Pirozzi retrouve son rôle emblématique. A l’exception du premier couplet du brindisi pris trop bas, sans trille, le rôle est parfaitement maîtrisé et la soprano ne manque pas de puissance pour asséner ses imprécations. Le métal tranchant de la voix sied à cette femme ivre de pouvoir, d’autant qu’Anna Pirozzi sait moirer ses couleurs et cherche la laideur à de nombreuses occasions. Toutefois le portrait s’en tient à un premier niveau évident. « Una macchia » confirme cette impression. La reine reste maîtresse d’elle-même sans que l’on sente la folie ou l’abandon prendre le dessus, comme le confirme un contre-ré émis à pleine puissance. Demeure, à défaut de grand frisson, la satisfaction de la voir venir à bout de ce rôle meurtrier. Le Macbeth de Dalibor Jenis possède la puissance et l’autorité qui compensent un timbre plutôt clair, peu propice à l’introspection fébrile du le roi d’Ecosse. La palette des couleurs et des nuances n’est guère plus étoffée. La proposition en reste à cette solide esquisse. La puissance en moins, Piero Pretti (Macduff) se contente de teintes pastel quand on les voudrait vives et chaleureuses. La noblesse et la gravité de Banco trouvent en Vitalij Kowaljow le bon interprète.
Dans les rôles de soutien, Nicolò Ceriani (le médecin) et surtout Alexandra Zabala (suivante de Lady Macbteh) sortent du lot. Cette dernière s’impose dans les ensembles, déploie une belle ligne et des graves charnus dans l’avant-scène de la folie. Ténor lyrique léger, Cullen Gandy (Malcom) semble égaré face à un orchestre verdien. Ce n’est pas rendre service à un timbre beau au demeurant même si cela ne peut que faire progresser un italien encore bien trop américanisé. Enfin, le chœur précis et homogène tout du long de la soirée – mention à la vélocité des sorcières – fait regretter que Gianandrea Noseda ait décidé de réintroduire le final de la version 1847 (monologue de Macbeth) en lieu et place du tutti triomphal de celle de 1865.
La scénographie d’Emma Dante marie costumes traditionnels avec des références plus contemporaines. On pense à la série américaine Game of Thrones et à son fameux trône lorsque des ferronneries en demi-lune descendent des cintres. Elle oppose également le christianisme des protagonistes au paganisme du couple maléfique. Duncan est purement et simplement descendu d’une croix dans le final du premier acte. Les trouvailles scéniques ne manquent pas, notamment grâce aux acteurs de la troupe de la metteure en scène qui accompagnent les sorcières ou les scènes de banquet, au risque parfois d’en faire trop. Cette grandiloquence, qui siérait surement plus à la cours du duc de Mantoue, offre néanmoins des images saisissantes.