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MOZART, La Clemenza di Tito – Anvers

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Spectacle
21 septembre 2023
Faire image, écrire l’histoire

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Dramma serio per musica en deux actes

Musique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

Livret de Caterino Mazzolà (1745-1806), d’après le livret de Pietro Metastasio (1698-1782)

 

Création le 6 septembre 1791 à Prague

Détails

Mise en scène
Milo Rau

Reprise
Giacomo Bisordi

Scénographie
Anton Lukas

Costumes
Ottavia Castellotti

Lumières
Jürgen Kolb

Conception vidéo
Moritz von Dungern

Live vidéo
Laurent Fontaine-Czaczkes

Rituel de peinture
Lisa Kränzler

Photographie
Annemie Augustijns

Dramaturgie
Clara Pons
Giacomo Bisordi

 

Chef des chœurs
Jef Smits

Pianoforte
Pedro Beriso

 

Tito
Jeremy Ovenden

Vitellia
Anna Malesza-Kutny

Sesto
Anna Goryachova

Annio
Maria Warenberg

Servilia
Sarah Yang

Publio
Eugene Richard III

 

Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen

Koor Opera Ballet Vlanderen

Direction musicale

Alejo Pérez

 

Anvers, Opera Antwerpen

17 septembre 2023, 15h

 

L’opéra nous parle de nous. C’est une évidence, peut-être même une banalité. La Clémence de Titus ne déroge pas à la règle : amour, pouvoir, amitié, trahison, concorde et réconciliation, mort. Les thèmes abordés sont universels et les interprétations, dès lors, infinies. Mais La Clémence de Titus est aussi un opéra éminemment situé : composé à l’occasion des fêtes du couronnement de Léopold II, roi de Bohême, en septembre 1791 à Prague, l’œuvre condense à la fois les ambitions politiques de ses commanditaires et les thématiques chères au compositeur. Ce n’est assurément pas par goût que le couple impérial et Antonio Salieri, compositeur officiel de la cour, ont demandé à Mozart de composer un opéra fondé sur le livret que Métastase avait écrit en 1734 pour Caldara. On connaît en effet l’aversion déclarée de l’Empereur pour l’œuvre de Mozart et le célèbre mot de l’Impératrice Marie-Louise d’Espagne qui ne vit dans La Clémence de Titus qu’une porcheria tedesca (une cochonnerie allemande). Les Praguois, en revanche, vouaient un amour fervent à la musique de Mozart. La commande de cette œuvre était, en réalité, une manière de raffermir les liens entre les souverains et le peuple dans un contexte politiquement très instable. Le livret de 1734 avait en effet été écrit dans le cadre de la crise de la succession polonaise qui déboucha sur quatre ans de guerre. Dans le contexte révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle, il était nécessaire que les souverains offrent au peuple une œuvre qui ravive leur attachement à un monarque d’une droiture exemplaire, tout entier dévoué à ses sujets. La Clemenza semble offrir l’image d’un État idéal au fondement duquel se trouvent l’amour du souverain pour les sujets et des sujets pour le souverain, la clémence et l’art qui, dans le contexte précis de l’avant-dernier opéra de Mozart, opère comme lien entre le peuple et les élites.

C’est précisément la nature de l’art et de son utilisation par les élites dans un contexte révolutionnaire que Milo Rau entend interroger. Titus n’est plus seulement un empereur romain, il est aussi artiste. Manière de montrer que la perpétuation du pouvoir des élites passe toujours par une certaine esthétisation du réel, esthétisation nécessaire à une certaine écriture de l’Histoire et de ses mythes. L’image – image organisée et contrôlée, en d’autres termes, l’image du pouvoir – est partout : camera-live, photographies, tableaux vivants… On reconnaît aisément Le Radeau de la méduse, La Liberté guidant le peuple ou encore La Mort de Marat, autant de tableaux indissociables du mythe révolutionnaire. Autant de tableaux inscrits dans un récit collectif où l’Histoire est faite de flux orientés, d’hommes providentiels, d’événements apparemment cohérents. Autant de tableaux qui semblent aller dans « le sens de l’Histoire ». Mais, on le sait, rien n’est pur. L’histoire de l’humanité, c’est en réalité celle des femmes et des hommes. Celle de milliers de singularités.

© Annemie Augustijns

La démarche du metteur en scène – documentaire et biographique – vise précisément à rendre à ces singularités une voix propre au sein de ce qu’on appelle souvent une « œuvre d’art totale ». À l’occasion des longs moments d’introspection auxquels se livrent les personnages – soit des moments consacrés à l’exaltation d’une individualité –, les interprètes racontent leur histoire, leur vraie histoire. Milo Rau évite ainsi de rejouer dans le processus de mise en scène l’instrumentalisation de l’art et des personnes qu’il entend dénoncer. Plus fondamentalement, il souligne très sensiblement la tension art-réel qui est au fondement de l’opéra ou encore la tension unité (toujours artificielle)-diversité (constituant la vie réelle) constitutive de toute histoire figée. Dina Al Jamal interprète une chamane. Elle a étudié le chant et le violon, a vécu à Alep et est arrivée en Belgique en 2019 pour vivre dans un monde normal. Un monde sans guerre. Alireza Sadrnejad incarne un soldat. Il a étudié le cinéma en Iran. En Belgique, il est libre mais seul. Sarah Yang, qui chante Servilia, vient de Corée du Sud. Elle a vécu et étudié en Allemagne. Maria Warenberg est russo-néerlandaise. Ses parents ont quitté Leningrad pour les Pays-Bas dans les années 1970. Elle se reconnaît dans le rôle d’Annio qu’elle interprète. Etc.

L’opéra s’achève par une évocation de La Chute d’Icare, de Brueghel l’Ancien. Dans ce tableau, l’attention est spontanément portée vers un paysan qui laboure, alors que l’élément qui devrait être central est relégué à un coin, flou, presqu’invisible. Manière de montrer que l’important est souvent ailleurs. Manière de s’interroger sur la glorification du peuple – sur son esthétisation – par les fascismes modernes.

© Annemie Augustijns

Après avoir sacrifié le dernier Anversois (volonté de rompre avec une certaine tradition lyrique ou de couper les racines ?), après avoir glorifié une première fois la clémence de l’empereur (manière de montrer que la glorification des puissants est inéluctable ?), l’ouverture retentit. Alejo Pérez offre une interprétation vive, le tempo est allant, parfois nerveux, la lecture est claire, voire analytique. Dans la suite, l’orchestre ne lâchera jamais cette tension, sans toutefois hystériser l’œuvre. Les moments doux ou plus dramatiques sont interprétés comme tels. Pérez parvient à conférer à une formation large le son et l’énergie qu’offrent généralement des ensembles plus restreints.

Jeremy Ovenden campe un Tito au timbre clair mais à la projection limitée. Si la mise en scène peut sembler laisser de côté la question de la sincérité du personnage, l’acteur dépeint à merveille les doutes, tourments et colères par lesquels il passe. Le Sesto d’Anna Goryachova est remarquable. Le voix est ample, le timbre chaud. La projection est large et puissante. Elle impose une présence pleine et offre des vocalises où l’articulation précise ne sacrifie pas la rondeur du son. La Vitellia d’Anna Malesza-Kutny offre un premier air très touchant. Elle parvient à rendre la musique directement signifiante, alors que les surtitres sont remplacés par un premier récit biographique ajouté. Son duo avec Sesto, en ouverture du premier acte, révèle deux musiciennes attentives et met en évidence de très beaux contrastes de timbres (Sesto a la rondeur et l’épaisseur du velours, alors que Vitellia a la douceur et la fluidité de la soie). Maria Warenberg offre une largeur vocale qui confère à Annio une personnalité d’emblée affirmée, à certains égards presque virile. Sarah Yang est une Servilia aux aigus éclatants et lumineux. Le couple Servilia-Annio s’avère ainsi particulièrement intéressant sur le plan vocal. Enfin, le Publio d’Eugene Richards III allie rondeur et puissance, en gardant à tout moment la mesure imposée par une partition qui place la virtuosité du côté de l’agilité vocale et non de la force d’émission.

Proposition philosophique musicalement exemplaire, la production de Milo Rau n’est peut-être pas idéale pour aborder une première fois l’œuvre de Mozart. Elle l’est en revanche pour transformer nos rapports au monde. N’est-ce pas le rôle premier de l’opéra ?

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Musique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

Livret de Caterino Mazzolà (1745-1806), d’après le livret de Pietro Metastasio (1698-1782)

 

Création le 6 septembre 1791 à Prague

Détails

Mise en scène
Milo Rau

Reprise
Giacomo Bisordi

Scénographie
Anton Lukas

Costumes
Ottavia Castellotti

Lumières
Jürgen Kolb

Conception vidéo
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Live vidéo
Laurent Fontaine-Czaczkes

Rituel de peinture
Lisa Kränzler

Photographie
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Pianoforte
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Tito
Jeremy Ovenden

Vitellia
Anna Malesza-Kutny

Sesto
Anna Goryachova

Annio
Maria Warenberg

Servilia
Sarah Yang

Publio
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Anvers, Opera Antwerpen

17 septembre 2023, 15h

 

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