Présentée à Salzbourg dans une version semi-scénique, avec pour tout décor le trône doré du roi, l’œuvre a remporté hier un véritable triomphe, récompensant tant l’orchestre et son excellent chef Adam Fischer que les solistes, une distribution de premier choix pour des rôles excessivement difficiles.
Sur la genèse de l’œuvre, je ne peux que vous renvoyer à l’excellent article de mon confrère Cédric Manuel qui explique si bien dans quelles circonstances le jeune Mozart de 14 ans a composé un opéra entièrement italien.
Et pour ce qui est de la représentation d’hier, commençons par la performance d’Adam Fischer, chef hongrois qui entrera le mois prochain dans sa 77e année, et qui montre, à la tête de l’orchestre du Mozarteum de Salzbourg, une verdeur de jeune athlète. Cette incroyable vitalité, son sens de l’humour et de la dérision (il prend part à la demi-mise en scène avec semble-t-il un grand plaisir), son assurance, son goût de la précision, ils les partage avec l’orchestre sans doute le mieux placé pour défendre la musique du jeune Mozart, à la réserve près qu’il joue sur des instruments modernes, ce qui est petit à petit abandonné, sauf ici, pour ce répertoire. La complicité entre le chef et ses troupes est totale, pour le plus grand bénéfice de la représentation.
Pour servir cette musique difficile, complètement inspirée des opéras italiens de l’époque, avec tout ce que cela comprend d’airs à vocalises, plus redoutables les uns que les autres, mais aussi de rôles travestis dans une convention qui rebute parfois certains auditeurs, le Festival a réuni une distribution réellement exceptionnelle.
Commençons par le rôle-titre, confié au ténor venu des îles Samoa Pene Pati. Déjà présent ici il y a quelques mois à Pâques dans l’Elias de Mendelssohn, l’homme est un géant à la personnalité débordante et au sourire désarmant, un physique hors norme, idéal pour interpréter un tyran, faire peur aux uns et en imposer à tous les autres. Au premier contact, la voix m’a paru un peu artificielle, mais dès le premier tour de chauffe passé, on doit se rendre à l’évidence : elle est parfaite pour le rôle. Il montre une dynamique exceptionnelle, entre des aigus pianissimo, filés, délicieusement subtils, et des fortissimos tonitruants à faire trembler les cintres, il se joue des vocalises, faisant preuve d’une flexibilité étonnante pour une voix de ce calibre, il maîtrise les écarts les plus impressionnants – dont la partition regorge – comme Der Wilde Mann (l’homme sauvage des Alpes autrichiennes) enjamberait un torrent de montagne, et vous envoie des contre ré avec une régularité déconcertante et sans effort apparent. Pene Pati est aussi une bête de scène, sa présence sur le plateau est étonnante ; après avoir un instant usurpé la place du chef sur le podium, lorsqu’il s’apprête à partir pour le front, il prend celle du pianiste et enchaîne lui-même le continuo pour le plus grand étonnement des spectateurs.
Il faut beaucoup d’abattage à Sara Blanch, soprano catalane qui interprète Aspasia, la fiancée pas très fidèle du roi, et une technique vocale redoutablement solide pour lui donner la réplique. Présente dans le métier depuis une dizaine d’années environ, elle possède tout cela et bien plus, une silhouette de mannequin, un port altier, ce que tous les metteurs en scène affectionnent.
Sifare, fils préféré du roi est interprété par Elsa Dreisig, d’origine danoise mais bien connue en France, voix sans doute un peu moins démonstrative, plus modeste si l’on veut mais non moins sure : tout y est, la technique est remarquablement maîtrisée avec l’émotion musicale en plus. Elle fait rugir la salle de plaisir dans son duo avec cor obligé « Lungi da te, mio bene », d’une virtuosité d’exécution inégalée sur cet instrument, un cor d’harmonie moderne en la circonstance (Rob van de Laar). Le duo entre les deux chanteuses à la fin de l’acte II « Se viver non degg’io si te mori pur dèi », lorsque Sifare et Aspasia songent ensemble à se donner la mort, fut lui aussi un très grand moment d’émotion musicale pure de la soirée.
© Maro Borrelli
C’est le contre-ténor français Paul-Antoine Bénos-Djian qui endosse le costume de Farnace, l’autre fils du roi, avec une belle virtuosité, mais une voix un peu moins homogène que celle de ses partenaires. Il fait preuve néanmoins de beaucoup de caractère dans le jeu de scène et d’une belle interaction avec le reste de la distribution. La complicité de tous ces chanteurs entre eux est d’ailleurs bien perceptible et participe du succès de l’aventure.
Ismène, le seul personnage pur de la distribution, est interprété de façon très touchante par la jeune Julie Roset, lauréate d’Operalia en 2023, le prix de chant lyrique créé et soutenu par Plácido Domingo. Elle parait effectivement remarquablement solide sous des dehors modeste. Encore très jeune cette chanteuse promet beaucoup, et l’incarnation de la vertu qu’on lui avait confiée ici lui convient très bien.
Iurii Iushkevitch, jeune contre-ténor petersbourgeois chante le plus petit rôle d’Arbate, voix bien en place mais avec peu de charisme face à des camarades plus chevronnés. Enfin Marzio, l’émissaire romain est chanté par Seungwoo Simon Yang, ténor sud-coréen qui dans ses rares interventions montre du volume mais parait moins à l’aise avec les vocalises.
La salle de la Haus für Mozart, après avoir déjà copieusement applaudi les airs les plus remarquables ou les plus difficiles de la partition au fil de la représentation, gratifia l’ensemble de la distribution d’un long standing ovation bien mérité à l’issue de la soirée, auquel nous souscrivons avec enthousiasme.