Un an après son précédent récital consacré à Rossini, Olga Peretyatko revient au Festspielhaus de Baden-Baden, cette fois accompagnée de Lawrence Brownlee, pour un programme intitulé « Belcanto spectacular » particulièrement jouissif. En effet, les amoureux de belcanto ont été à la fête, plus de deux heures durant, avec des airs aussi mélodieux que périlleux pour leurs interprètes. Et pourtant, les deux artistes sont venus à bout de toutes les difficultés avec une apparente facilité confondante, laissant une impression de légèreté et d’évidence, comme si le feu d’artifice était tout ce qu’il y avait de plus normal.
Le concert commence avec une Ouverture de Norma menée tambour battant, trop rapide sans doute, mais pourtant majestueuse, élégiaque, chatoyante et aux superbes sonorités. L’énergie, la vivacité et la formidable expressivité de la direction d’orchestre de Speranza Scappucci font merveille pour les trois ouvertures (Don Pasquale et La Fille du Régiment) émaillant la soirée, tout en soutenant efficacement les solistes par ailleurs. C’est Olga Peretyatko qui officie la première, s’attaquant, sans le préambule, directement au « Casta Diva », ce qui lui permet de faire une entrée remarquée, accompagnée par le solo de flûte. La soprano russe y apparaît sublime, diva assoluta, dans une robe bleu égyptien au dos nu jusqu’à la taille que la belle nous fait voir en se tournant, puis exposant ses différents profils, tous exquis. Le port de reine et le chignon impeccable achèvent de conférer autorité et glamour à la chanteuse. La voix est tout aussi séduisante, même si un peu trop mince pour le rôle de Norma. Qu’à cela ne tienne… L’air, entonné sotto voce, se déploie avec aisance et précision et instille une émotion de plus en plus intense. Un peu plus tard, pour son « Regnava nel silenzio », Olga Peretyatko campe une Lucia qui se distingue sans doute moins par des effets de colorature qu’on a entendus ailleurs plus éthérés que par les accents sombres où la fragilité et la folie se font perceptibles et angoissantes. Quant au duo des Puritains, il est proprement sublime de pureté et de soulagement extatique. Avant de nous intéresser à son partenaire, restons avec la diva qui, après la pause, nous revient encore plus belle dans sa robe rouge cramoisi au plissé aussi parfait dans le tombé que ses descentes chromatiques. Elle est une Leila attachante, une fille du régiment vaillante, une Linda de Chamounix épatante avant que de conclure en beauté avec une Adina délicieuse.
La belle surprise de la soirée vient de Lawrence Brownlee. Tout d’abord, le ténor semble en assez petite forme, avec une voix très peu puissante et vaguement nasillarde. Dans le Pirate, son Gualtiero manque d’éclat avant de montrer une bravoure et une endurance où le chanteur s’affirme de mieux en mieux. On oublie rapidement les nasalités et la voix se déploie à l’aune de ses remarquables moyens. On ne retient plus que le rayonnement radieux et la belle énergie déployée. Certes, son Arturo ne possède pas le caractère solaire de Pavarotti, mais comment résister à un « A te, o cara » aussi suave et délicat ? Dans le duo et le sublime « Vieni fra queste braccia », inutile de préciser que Lawrence Brownlee atteint sans problème le contre-ré qui nous fera tomber sans hésiter dans ses bras sans qu’il ait à se répéter. Après la pause (où l’on remarque la pochette écarlate assortie à la sublime robe de la cantatrice), on se délecte du « Je crois entendre encore » des pêcheurs de perles, avec ou sans le contre-ut (pourtant bien là) et dans un français impeccable, s’il-vous-plaît. Mais c’est là que tout commence, puisque suivent les neufs contre-ut de « Pour mon âme ». Et au moment des rappels, lorsqu’arrive son tour, le ténor américain glisse quelques mots à la chef d’orchestre qui se met à fouiller dans ses partitions, avant de se diriger vers le premier violon (une femme d’une rare distinction) elle-même ressortant une partition enfouie avant que d’être suivie par tout l’orchestre. Au lieu de chanter comme prévu l’air de la Favorite, Lawrence Brownlee, très en forme et galvanisé sans doute par l’ambiance assez unique du Festspielhaus, réédite le tour de force de Juan Diego Flórez à Bastille. Le voilà qui repart dans un « Pour mon âme » exalté, alignant sans sourciller neuf contre-ut supplémentaires… On commence à se perdre dans les comptes, entre Bellini et Donizetti et leurs notes accrochées dans les étoiles. Mais quel bonheur et quel jour prospère ! Ainsi, les quelques critiques que l’on aurait pu avancer ici ou là s’évanouissent devant tant de brio : un ténor en surchauffe et en suraigus percutants doublé d’une soprano digne de Hollywood à la prononciation pas toujours impeccable mais à la séduction vocale indéniable, une direction d’ orchestre enthousiaste… Bref, si tout n’était pas parfait, l’impression, elle, est évidente : voici une soirée d’exception que l’on n’est pas près d’oublier. Ne serait-il pas possible de la bisser ?