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OSTRČIL, La Légende d’Erin – Prague

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Spectacle
22 octobre 2025
Un opéra romantique irlando-pragois redécouvert

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Otakar Ostrčil (1879–1935)

La Légende d’Erin (Legenda z Erinu)
Livret de Julius Zeyer

Création à Brno (Divadlo Na hradbách) le 16 juin 1921 et à Prague (Národní Divadlo) le 14 mars 1923

Détails

Mise en scène
Jiří Heřman
Décors
Dragan Stojčevski
Costumes
Kateřina Štefková
Vidéo
Natálie PortíkováJakub Žanony
Lumières
Daniel Tesař
Chorégraphie
Jan Kodet
Dramaturgie
Patricie Částková, Beno Blachut

Kormak
František Zahradníček
Grania
Alžběta Poláčková
Finn
Seth Carico
Ossian
Svatopluk Sem
Dermat O´Dyna
Peter Berger
Midak
Jiří Brückler
Dara
Lukáš Bařák
Un héraut à la cour de Kormak
Radek Martinec

Orchestre du Théâtre National

Direction musicale
Robert Jindra

Prague, (Národní Divadlo)
16 octobre 2025, 19h00

Ville d’opéra formidable que Prague, où en trois jours on peut passer, dans trois maisons magnifiquement restaurées, trois soirées de premier ordre : une délicieuse Flûte enchantée au Théâtre des États (idéalement mise en scène par Vladimir Morávek pour cette salle-joyau qui vit la création de Don Giovanni en 1787), une solide Manon Lescaut à l’Opéra d’État (avec une très belle Ghiulnara Raileanu), enfin la re-création d’une œuvre oubliée, la Légende d’Erin (Legenda Z Erinu) d’Otakar Ostrčil au Théâtre National, la grande scène des bords de la Vlatva.

Chacun de ces spectacles mériterait qu’on lui consacre une chronique, mais en l’occurrence c’est de l’opéra d’Ostrčil qu’il s’agit, qui est bien davantage qu’une curiosité.

Peter Berger (Dermat) © D.R.

Celui qu’on a oublié

Otakar Ostrčil (1879-1935) n’est certes pas le compositeur tchèque le mieux connu de ce côté-ci de l’Europe. Il fut pourtant, disciple de Zdenēk Fibich, l’un des personnages essentiels de la vie musicale en Bohème-Moravie à l’époque de Janáček, dont il fut le presque contemporain et le zélateur. Durant son mandat de directeur du Národní Divadlo, la première scène pragoise, il monta Jenůfa et De la maison des morts, après avoir dirigé à Brno la première des Voyages de Monsieur Brouček en 1920.

Mais il était lui-même avant tout un musicien.
D’abord pianiste et chef d’orchestre, grand admirateur de Smetana dès sa jeunesse (dont il dirigea la première intégrale enregistrée de la Fiancée vendue en 1933), puis des Viennois (Mahler et Richard Strauss), mais aussi de Debussy, de Berg, de Szymanowski (il monta Pelléas, Wozzeck ou le Roi Roger), on le critiqua pour son modernisme, et d’ailleurs sa musique reflète bien ses intérêts multiples.
Outre d’œuvres symphoniques, il est le compositeur de quatre opéras, dont cette Légende d’Erin, créée à Brno en 1921, puis à Prague en 1923 et jamais reprise avant la présente re-création actuelle.

Alžběta Poláčková, Peter Berger, Seth Carico, Svatopluk Sem © D.R.

Les images montrent un personnage tiré à quatre épingles, lunettes rondes et moustaches bien taillées, et tous les témoignages évoquent un homme d’une grande probité intellectuelle, un de ces intellectuels d’Europe centrale, nourris de philosophie, de littérature, de culture universelle.

D’où sans doute ce choix qui peut sembler exotique et incongru pour un Pragois d’une histoire se déroulant en Irlande aux temps légendaires, sur un livret issu d’une pièce de théâtre créée au Théâtre National en 1886, et due à Julius Zayer, autre esprit cosmopolite (dont la pièce Šárka inspira à Janáček, son premier opéra).

Game of Thrones ou comment ne pas y penser

Un vieux roi, doté de pouvoirs miraculeux (sa main peut redonner vie à un mort), un druide, un jeune prince qui demande justice pour son père (le roi mort d’un royaume voisin), une jeune fille qu’on promet en mariage au vieux roi, mais qui tombe amoureuse d’un émissaire venu demander sa main, une histoire de passions, de vengeance, de trahison…. Un scénario qui fait immanquablement penser le spectateur d’aujourd’hui à Game of Thrones, mais dont on voit bien en quoi il a pu intéresser Otakar Ostrčil, lui qui à douze ans avait vu Tannhäuser à Dresde.

Si on voulait être caricatural, on dirait que cette Légende d’Erin propose en somme un monde de passions à la Verdi, situées dans un décor évoquant les mythes nordiques aimés de Wagner, dans un langage musical qui se souvient (entre autres) de Richard Strauss.

On ajoutera que le spectateur d’aujourd’hui, un peu moqueur au départ, se laissera vite prendre par la puissance d’une œuvre servie par une distribution presque entièrement tchèque. Et par un magnifique Orchestre du Théâtre National.

Jiří Brückler (Midak) © D.R.

Guerriers musclés et vestales celtiques

La mise en scène de Jiří Heřman entremêle les signes modernistes (un cercle de néon descendant des cintres, pour éclairer une vasque emplie d’eau, l’eau miraculeuse, des parois entourant la scène puis se relevant pour des vidéos de paysages irlandais, falaises, landes vert cru, cascades) et des évocations rugueuses et celtiques : sept guerriers au torse musclé en jupettes et sept vestales joueuses de harpe, qui évoluent en fond de scène dans des poses évoquant une peinture symboliste à la Hodler.

Si le druide Dara porte un costume rouge vif vaguement hindou et une coiffure de sādhu, les deux envoyés du roi Finn, Dermat et Ossian seront en kilt ; quant à Midak, celui qui demande vengeance, le fils de feu le roi Colgan of Lochlainn, il porte par-dessus sa jupe une redingote noire, qui n’est pas sans évoquer Tywin Lannister dans Game of Thrones… De même que le manteau de fourrure dont se réchauffe le vieux roi Finn, aux longs cheveux blancs (l’américain Seth Carico, à la stature athlétique plutôt juvénile pour le rôle). Tout cela d’allure assez héroic fantasy, gentiment kitsch.

© D.R.

Quelques danses rugueuses de guerriers, des défilés de vestales illustreront une intrigue, et une partition, faites surtout de scènes dialoguées, de confrontations de personnages, de plus en plus dramatiques, le décor celtique servant somme toute surtout de prétexte à leurs affrontements.
Même si tous les personnages viennent du corpus de légende de la verte Erin : Finn, c’est Fionn mac Cumhall, Cormac c’est Cormac mac Airt, et Grania sa fille Gráinne, dermat étant Diarmait ua Duibne, etc. Julius Zayer avait travaillé la question, mais c’est bien un drame romantique qu’il écrit finalement.

L’orchestre entraîne tout

On l’a dit, Otakar Ostrčil a composé pour orchestre et dirigé le répertoire symphonique presque autant que le lyrique. Jeune étudiant de Fibich, il avait même collaboré à l’orchestration de certaines partitions de son maître. De là sans doute le rôle capital de l’orchestre dans cette Legenda z Erinu : un tapis orchestral continu, un paysage sonore coloré, très changeant, riche en cuivres, une manière de poème symphonique, que Robert Jindra, par ailleurs directeur musical du Théâtre National, fait respirer. Il en souligne les envols héroïques, mais aussi les superpositions de textures.

Seth Carico (Finn) © D.R.

Un arioso continu

Si certains épisodes purement orchestraux donnent matière à des envols d’une violence expressive très cuivrée, le plus souvent la trame sonore revêt l’aspect d’un tissu symphonique ininterrompu, dont le côté insaisissable n’est pas sans faire parfois penser à Pelléas, notamment pour évoquer les paysages océaniques du dernier acte, une matière sonore qui parfois souligne une ligne vocale, mais le plus souvent insinue dans l’esprit un climat, un état d’âme. Musique plus suggestive que descriptive, librement tonale, penchant parfois vers une certaine atonalité. Tout cela très changeant, jamais pâteux, un hautbois, ou un cor venant ici ou là symboliser un personnage, mais rien de systématique.
Sur cet arrière-plan obsédant, envoûtant même, vient s’inscrire une écriture vocale singulière, une manière d’arioso continu. On l’a dit, il s’agit d’abord d’un drame théâtral de Julius Zayer. Le texte est assez prolixe, et l’écriture vocale d’Ostrčil a le talent de lui donner vie.

Alžběta Poláčková (Grania) © D.R.

Un festival de voix graves

La distribution vocale est très étonnante : six voix d’hommes graves, barytons ou basses, une seule voix de ténor, celle de Dermat, le « gentil » de l’histoire, celui dont Grania tombe amoureuse, celui qui mourra à la fin, parce que Finn n’aura pas voulu le ramener à la vie de sa main miraculeuse.

On citera d’abord la Grania d’Alžběta Poláčková, qui assume une ligne vocale très tendue dans les longues scènes de la fin du deuxième acte, d’abord avec le druide Dara (Lukáš Bařák) et avec l’éclatant Dermat de Peter Berger, très lyrique, à la solide présence (il a à son répertoire aussi bien Laca (Jenůfa) et Boris (Katya Kabanova) que Werther ou Lensky. Le crescendo final de cet acte, la fuite des deux amants, la trahison de leur ami Midak (qui révèle à Finn le lieu de leur cachette), tout cela est d’une grande puissance dramatique. Jiří Brückler incarne avec gravité ce personnage tourmenté dans ses échanges ardents avec le Finn de l’Américain Seth Carico, viril et puissant, qui sera acclamé pour ses débuts sur cette scène.

Seth Carico et Alžběta Poláčková © D.R.

Une scène du Théâtre national dont tous les autres interprètes sont des piliers, notamment Svatopluk Sem (Ossian) ou le baryton-basse František Zahradníček, interprète du rôle du roi Cormac, auquel échoit un interminable monologue d’exposition, véritable tunnel à l’entrée de l’opéra. Il s’en tire avec vaillance.

Passé ce cap, la découverte en vaut la peine. La presse tchèque fait un peu la fine bouche. Susurrant qu’Ostrčil ne détrônera pas Janáček… Cela allait sans dire. Il n’empêche : exaltée par le chef Robert Jindra, maître d’œuvre de l’entreprise, l’œuvre est belle. Saisissante même.

Et le spectateur de passage ne peut qu’être admiratif du réservoir de voix dont dispose la Bohème et de la qualité de ses orchestres d’opéra.

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Création à Brno (Divadlo Na hradbách) le 16 juin 1921 et à Prague (Národní Divadlo) le 14 mars 1923

Détails

Mise en scène
Jiří Heřman
Décors
Dragan Stojčevski
Costumes
Kateřina Štefková
Vidéo
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Daniel Tesař
Chorégraphie
Jan Kodet
Dramaturgie
Patricie Částková, Beno Blachut

Kormak
František Zahradníček
Grania
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Finn
Seth Carico
Ossian
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Dermat O´Dyna
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Midak
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Lukáš Bařák
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Radek Martinec

Orchestre du Théâtre National

Direction musicale
Robert Jindra

Prague, (Národní Divadlo)
16 octobre 2025, 19h00

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