La programmation d’un opéra moins connu de Lully est toujours une bonne nouvelle, et témoigne de la belle vitalité retrouvée du répertoire baroque depuis de nombreuses années déjà. L’opéra de Nice franchit un nouveau cap car, fait rarissime, c’est à un orchestre « classique », c’est-à-dire non baroque, qu’est confiée la partition. Alors certes, ils ont pour chef l’excellentissime Jérôme Correas qui est venu avec ses Paladins, mais globalement le défi restait entier ; il est relevé. L’orchestre philharmonique de Nice propose un son d’une qualité très proche de celle d’un orchestre baroque et nous gratifie d’un Phaéton d’un excellent calibre. Il en va de même pour le chœur de l’Opéra de Nice qui relève avec autant de talent ce périlleux défi. Le chef Correas, qui nous offre l’œuvre in extenso, déploie toutes les facettes et nuances de la partition avec l’aisance habituelle. La chaconne centrale est extrêmement dynamique tandis que la scène finale sait dilater le temps de la catastrophe en gestation.
Sur la scène, c’est à Eric Oberdorff et Olivier Lexa qu’est confiée une mise en scène très réussie. Nous sommes plongés dans une temporalité indéterminée, ce qui permet d’approfondir la dimension symbolique de l’œuvre. Le résultat est très esthétique : le décor, conçu par Bruno de Lavenère, s’axe autour d’un immense disque tournant et inclinable, entouré d’un néon jaune, lequel rappelle bien sûr l’astre solaire, au centre de toutes les attentions de cet opéra. La danse est bien sûr très présente, y compris en dehors des séquences consacrées au ballet et les artistes de La Compagnie humaine livrent une performance à la fois emprunte de sensibilité mais aussi très impressionnante par des chorégraphies signées Oberdorff lui-même. Les chanteurs dansent eux-mêmes de façon très convaincante lors de la chaconne dans une chorégraphie qui résume toute l’intrigue. C’est bien vu ! Impressionnantes, les acrobaties circassiennes à la corde et au cerceau géant s’imbriquent à la perfection au reste de la mise en scène. Les costumes de Bruno de Lavenère poursuivent ce geste esthétique : tandis que ceux de Mérops ou du Soleil sont proprement somptueux, on apprécie aussi ceux qui sont d’une beauté toute élégante et discrète, comme ceux de Théone ou de la Terre. Enfin, la lumière joue un rôle prépondérant dans cet opéra qui tourne autour du soleil : Jean-Pierre Michel prend un contrepied très intéressant, plongeant la scène dans une forme d’obscurité diffuse et permanente, avant, bien sûr l’explosion finale.
© Eric Oberdorff
Côté plateau vocal, Mark Van Arsdale incarne à très juste titre un Phaéton pétri de prétention et d’orgueil, aveuglé par son hubris. Proposant un héros content de lui-même et débordant d’ambition, le ténor déploie une voix puissante servie par de beaux aigus. La Théone de Deborah Cachet est vraiment l’étoile de la soirée : bouleversante, elle déploie une grâce sidérante, au soutien d’une voix lumineuse et cristalline. La Libye de Chantal Santon Jeffery est du même acabit : très émouvante, elle incarne à la perfection la victime lésée par la fatalité d’un hubris hors de contrôle. Son partenaire Epaphus est magistralement interprété par Gilen Goicoechea : la voix de baryton a tout simplement cloué les spectateurs à leur siège. La puissance, la beauté et la densité du timbre en font l’atout considérable de cette production. L’alchimie entre Goicoechea et Santon Jeffery est évidente et le couple offre parmi les plus beaux moments de la soirée. Aurélia Legay dépeint très judicieusement une Clymène en mère toxique et castratrice.
Les personnages secondaires sont tous de luxe. Le Mérops (et Saturne) de Frédéric Caton a toute la stature du roi égyptien majestueux, tandis qu’Arnaud Richard propose une version de Protée (et Jupiter) emprunte d’étrangeté, pouvant s’appuyer sur une voix extrêmement solide. Enfin, mention spéciale au bijou de la soirée : Jean-François Lombard, dont la voix et les aigus sont vraiment des diamants rares, d’une beauté et d’une délicatesse incroyables. Son Soleil est doté d’une sublime stature et en même temps d’une infinie douceur qui rappelle le lever du soleil d’une matinée d’automne. Sa Terre est peut-être encore plus belle : vulnérable, elle ne tient qu’à un filet de voix bouleversant.
© Eric Oberdorff
Pour terminer, disons que tout trouve particulièrement sa place dans la scène finale : l’approche contrastée en fosse permet d’allier la terreur de la destruction totale mais aussi l’émotion désespérée des personnages. La Terre de Jean-François Lombard, parée d’un superbe costume, est proche du sublime lorsqu’elle se retire sous le disque tournant et fumant, tandis que la Clymène d’Aurélia Legay est bouleversante, éplorée et étendue de ton son long, main tendue vers son défunt fils. La chute de Phaéton, roulant au ralenti le long du disque incliné avec une boule de feu en son sommet et sous une pluie de confetti d’or, constitue l’un de ces tableaux qui restent assurément en mémoire de spectateur.