Privilège d’une grande maison ; réunir, le temps d’une soirée entre amis (de la musique) deux des plus belles voix françaises autour d’un piano et se jeter dans les bras de Rossini. Karine Deshayes et Florian Sempey nagent dans les flots, les vagues et les soubresauts rossiniens comme poissons dans l’eau. Rosina, Elena (La donna del lago) ou Angelina sont, on le sait, dans l’ADN de Karine Deshayes ; quant à Florian Sempey, il connaît son Taddeo (L’Italiena in Algeri) sur le bout des doigts ; et il reviendra prochainement interpréter Dandini (Cenerentola) à Toulouse, où il a déjà fait fureur dans un Figaro ébouriffant.
Programme bien construit autour des Péchés de vieillesse, d’autres mélodies ainsi que des arias et duos d’opéra. Karine Deshayes et Florian Sempey apparaissent en maître et maitresse de maison de cette soirée. Leurs tenues, assorties, sont du plus beau noir et carmin, soigné et décontracté. Tout comme l’impression qu’ils donneront tout au long de ce programme en deux parties : soignés, c’est-à-dire appliqués (le recours à la partition est fréquent), et décontractés, voire plus dans les duos parfois désopilants de la seconde partie ou des bis.
Karine Deshayes donne à entendre qu’elle est une de nos voix de mezzo les plus habitées. Elle débute par La Légende de Marguerite, où ses piani, dans la seconde partie de la pièce, pétrifient l’auditoire. Le « Naqui all’affano » de Cenerentola est emballé avec toute la minutie que requiert, non pas la furie de l’orchestre, mais le simple accompagnement de piano. L’ariette espagnole « A Grenade » ou la « Canzonetta spagnuola » qui commence pp et se termine en un terrible accelerando, sont une démonstration d’intelligence dans la conduite du chant.
© Patrice Nin
Notre baryton quant à lui est fidèle à lui-même. Sous le masque grave (« L’ultimo ricordo » chanté les yeux fermés), l’homme de théâtre n’est jamais loin ; saluons les « Adieux à la vie, Élégie sur une seule note » où Sempey pénètre le personnage et s’empare de sa douleur qu’il nous fait vivre comme s’il décrivait une tempête – et tout cela tenant donc sur une seule note (ut). Le buffo n’est jamais loin non plus et Florian l’espiègle fait encore merveille dans les arias qui font aujourd’hui son succès (dont son fameux « Largo al factotum »).
Mais le plus grand plaisir est de les entendre – et de les voir – ensemble. Malheureusement il n’y a que deux duos dans le programme officiel, deux moments de complicité et de complémentarité.
Tous deux nous proposent toutefois deux autres duos en bis. Un « Dunque io son » revigorant et, pour terminer un… « Duo des chats » un peu particulier. C’est donc l’ultime rappel et lorsque nos deux complices reviennent une dernière fois saluer, Sempey se précipite sur la banquette du piano et s’empare de la partition : il ne reste à Daniela Pellegrino, l’accompagnatrice de cette soirée, qu’à prendre la place de Florian aux côtés de Karine et de commencer ce « Duo des chats », accompagné au piano par le baryton ; jusqu’à ce que, quand la partition de piano se corse, chacun retrouve sa place.
Ainsi se termine un programme que Daniela Pellegrino a fortement contribué à embellir, grâce à un accompagnement aussi attentif que techniquement impeccable.