Clap de fin réussi à Toulouse sur une saison lyrique qui aura marqué le quasi-retour à la normale après une année 2020-21 cauchemardesque, on sait pourquoi. Et terminer sur les notes enfiévrées du Barbier de Séville se révèlera au final une riche idée ; difficile de ne pas voir dans la mise en scène confiée à Josef Ernst Köpplinger avec son lot d’exubérances, de foisonnement des idées, de multiplicité des trouvailles et des inventions, la mise en avant, certes parfois invasive, de tout ce qui nous avait manqué pendant les mois de disette et que nous retrouvons progressivement ; la vie tout simplement avec ses outrances, ses lâchetés, ses ratés, ses rires qui peuvent si vite devenir des larmes, et à la fin cette morale qui nous dit qu’après avoir frôlé la catastrophe, tout sera bien qui finira bien. Il y a tout cela dans Le Barbier dont on rappellera (joli clin d’œil) qu’il fut d’abord et l’espace d’un jour un four mémorable avant de devenir le succès que l’on sait.
Alors disons-le, dans cette nouvelle production (en partenariat avec le Staatstheater am Gärtnerplatz de Munich et le Liceu), la proposition de Köpplinger nous a parfois agacé par un fouillis inextricable et quasiment illisible de micro-saynètes se jouant simultanément dans les ensembles, alors qu’à bien d’autres moments (tout le premier tableau), la conduite d’acteurs a paru bien maigrelette. Il faut dire que les décors (signés Johannes Leiacker) très colorés avec un côté vintage (on pourra dire la même chose des costumes de Alfred Mayerhofer), d’une maison bourgeoise des années 60 ou, quand tourne le plateau, d’une place interlope sur laquelle des dames de petite vertu déambulent en toute tranquillité, accostant le premier venu (fût-il un prêtre en soutane !) se sont avérés parfois envahissants et laissant peu de place aux protagonistes. Mais la vision « buffa » de Köpplinger a finalement emporté l’adhésion par sa fraicheur, sa spontanéité, sa volonté si évidente aussi de ne pas s’encombrer de « messages » à délivrer, et le soin de se contenter de plaire au public. La mécanique rossinienne il faut le dire est si remarquablement huilée que la mettre en scène ne nécessite que de légères touches de vie ici et là ; elle est aussi tellement enthousiasmante que la tentation doit être terrible pour un metteur en scène de l’habiller avec gourmandise de toutes les inventions que le génial livret suggère.
Cette compréhension fine que le Barbier est un opéra-bouffe est magistralement mise en musique par un Orchestre national du Capitole à nouveau irréprochable. C’est que Attilio Cremonesi, déjà remarqué à Toulouse en 2018 et que l’on entend surtout Outre-Rhin, nous propose tout ce qui fait Rossini. Le cantabile, la légèreté, l’humour. Un orchestre rossinien réduit, comme on les aime (ce qui nous donne au II un orage particulièrement minimaliste), avec juste ce qu’il faut d’instruments pour équilibrer le dialogue avec la scène. Et permettre d’apprécier chaque pupitre, réduisant même pour tel trait de violon le nombre d’instruments afin de mettre en valeur une virgule, un rallentendo. De la dentelle !
Le plateau vocal est dominé par un Florian Sempey de gala, qui livre une copie digne de tous les éloges qu’il reçut abondamment du public au baisser de rideau ; qu’admirer le plus dans son Figaro ? La vista, la légèreté, la capacité à tonner puis à susurrer ? Ou son aisance confondante et un jeu d’acteur déjà entièrement rôdé un soir de première ? Tout cela sans doute à la fois qui fait de lui aujourd’hui un des titulaires les plus convaincants d’un rôle auquel il s’est déjà totalement identifié.
© Mirco Magliocca
Cette capacité de Sempey à se couler dans le moule rossinien qui, ce soir-là, on l’a compris, était d’un matériau les plus légers, nous l’aurons retrouvée chez les autres protagonistes, à l’exception peut-être du Bartolo de Paolo Bordogna à qui l’ironie rossinienne (par exemple dans l’air de la Calomnie, dénué de légèreté) manque passablement. Eva Zaïcik (Rosina), que nous entendons pour la première fois, est pour nous la révélation de la soirée. Son timbre d’abord, gourmand et fruité, l’intelligence de la phrase musicale aussi (malgré quelques passages, furtifs vraiment, où le cantabile est pris en défaut) et peut-être ce qu’il y a de plus admirable, cette parfaite connaissance des limites (provisoires on n’en doute pas) de son instrument ; connaissance et contrôle de soi qui conduisent Eva Zaïcik à se lancer dans les seules acrobaties vocales dont elle sait qu’elle les mènera à bien. On a déjà hâte de la réentendre dans quelque temps, lorsque la voix aura été encore travaillée et, n’en doutons pas, perfectionnée.
Nous serons moins enthousiaste sur la prestation globale de Kévin Amiel en Almaviva ; ou plutôt sur son premier acte qu’il met quelque temps à apprivoiser. Kévin Amiel a pour lui la clarté du timbre et l’amplitude ; manquent ce soir-là l’agilité, la souplesse, deux qualités incontournables pour un grand rôle rossinien. Son second acte aura été plus convaincant. Roberto Scandiuzzi en Basilio montre de belles qualités de souplesse justement, mais aussi de finesse dans la vocalisation et le jeu d’acteur, son second acte est aussi une vraie réussite. Rien à redire sur les autres seconds rôles si ce n’est une mention toute particulière à la Berta de Andrea Soare, actrice subtile, irrésistible dans son « Il vecchiotto cerca moglie » et tenant toute sa place dans le sextuor conclusif du premier acte.