L’Opéra Royal de Wallonie-Liège accueille en ce début d’année un Falstaff produit par la Fondazione Teatro Regio di Parma et offre ainsi aux Liégeois un spectacle enthousiasmant, rythmé, pétri d’intelligence.
« Le monde entier est une farce, et l’homme est né bouffon », mais comme toujours avec ce type de répertoire, c’est d’une précision millimétrique que naissent la légèreté et une impression de grande liberté. Jacopo Spirei, remarquable metteur en scène, ne s’y est pas trompé.
Le sol se dérobe sous les pieds de Falstaff dès l’ouverture. Dès lors, s’imposent les perspectives saoules du fantastique décor de Nikolaus Webern qui évoquent les paysages de Chaïm Soutine, le drame en moins. Ici, alcool et pulsions suffisent à biaiser notre vision du monde. Cette plongée dans l’inconscient est superbement rendue dans la scène du parc où les façades s’envolent dans une image délicieusement surréaliste pour dévoiler les bosquets sauvages : sous le vernis social, l’animalité mène le monde.
La pénible prise de conscience que fait Falstaff, Pietro Spagnoli la porte avec une gouaille enthousiasmante et une lucidité désabusée particulièrement touchantes. Si le timbre est clair, l’autorité vocale n’en n’est pas moins impérieuse ; le legato suave, le jeu des couleurs, des nuances, d’une liberté qui régale l’oreille. Face à lui, pour sa première incursion dans le répertoire comique, Carolina López Moreno fait merveille. Les graves poitrinés sont sensuels et sonores, les registres unifiés et la projection altière : son lyrico-spinto, corsé, bellement maîtrisé, chatoie autant que son abattage en impose. Son mari n’a rien a lui envier : la prestance de Simone Piazzola, sa justesse de comédien comme son excellente technique en font un Ford distingué.
Aux époux répondent le couple grunge de Nannetta et Fenton qui pétille de jeunesse et d’allant. Tous deux colorent leurs incarnations d’une notable poésie quand ils en ont l’occasion : c’est le cas de Giulio Pelligra – bien qu’un peu court de souffle – dans son chant d’extase « Dal labbro il canto ». Francesca Benitez, propose pour sa part une partition mutine aux aigus glorieux et aux graves bien campés avec un beau sens de la ligne mélodique dans « Sul fil d’un soffio ». Dès ses premières interventions, ses contre-notes pianissimi donnent le frisson.
Le Caius d’Alexander Marev tient lui aussi parfaitement sa partie, sans oublier Marianna Pizzolato qui emporte tous les suffrages en Mistress Quickly et son « Reverenza » aussi équilibré vocalement que drolatique.
Il faut dire que la direction d’acteurs ne mérite que des éloges. Chaque personnage est parfaitement dessiné, prenant un relief et une humanité singulière, jusqu’au chœur et aux figurants qui donnent vie à ce Windsor de fantaisie. Certains chanteurs s’en trouvent magnifiés comme la rayonnante Meg de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur dotée d’un timbre soyeux et d’une belle conduite de la ligne mélodique. L’on aurait aimé plus l’entendre, tout comme les impayables Pistola de Patrick Bolleire et Bardolfo de Pierre Derhet. Le premier possède une émission franche et directe. le second, de brillants aigus. Tous deux, transfuges égarés de the Full Monty sont proprement hilarants.
Dans la fosse, Giampaolo Bisanti dirige l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège avec son intelligence habituelle, même si le premier acte, survitaminé, tout en couleurs chaudes et en son généreux, s’avère finalement un peu uniformément sonore, comparativement aux raffinements délicats expérimentés avec succès dans la dernière partie du spectacle, notamment par le biais d’incursions assez magiques des vents et des cuivres.
La synergie visible au sein de toute l’équipe artistique emporte l’adhésion de bout en bout pour cette très jolie version de l’ultime opéra d’un Verdi octogénaire, qui choisit si joliment de terminer sa carrière sur une note légère.
Un spectacle à l’affiche de la Maison liégeoise jusqu’au 9 mars avant une représentation à Charleroi le 16 mars prochain.