Comme Tonio, on s’écrierait volontiers : « Quel jour de fête ! » à la fin de ce Comte Ory dirigé avec une alacrité roborative par un Antonino Fogliani survolté. On sort le sourire aux lèvres de cette représentation où la vitalité musicale nous a aidé à surmonter l’agacement visuel.
Il commence avec l’ouverture, polluée par le spectacle de femmes affublée de tenues bariolées qui s’installent pour papoter jusqu’à ce que des gars hypermusclés – teeshirts « Rambo » – partent manifestement pour la guerre. Ils reviendront au premier acte en gardes du corps du faux ermite, bandana et coiffure afro confirmant l’atmosphère années 60 du siècle dernier. Les guerriers partis, les femmes déploient des panneaux porteurs de photographies d’arbres exotiques ; en fond de scène une tente est dressée, ce sera l’ermitage, façon tipi mâtiné d’hôpital de campagne, et Ory paraîtra en guru, mixte de Gandhi pour l’habit et d’un personnage de bande dessinée pour sa barbe blanche, entre Gandalf et Panoramix. Une petite table côté cour recevra les présents destinés au saint homme.
Au deuxième acte, qui a pour cadre le château de la belle comtesse, l’espace libéré par la disparition de la tente deviendra successivement le lieu de l’apparition d’Ory en fantasme tentateur, celui ou s’attablent les pseudo-pélerines, et enfin la chambre de la comtesse, où derrière un rideau tiré translucide se jouera la comédie des erreurs, la comtesse, le page et Ory apparaissant en ombres chinoises qui se livrent, au dire de quelques personnes, à des activités scabreuses dont nous n’avons heureusement rien remarqué. Le dessous de la scène sera utilisé pour la fuite d’Ory, de Raimbaud et du gouverneur.
A côté de choix pertinents, comme les manifestations d’impatience d’Isolier pendant l’interminable auto plaidoyer du gouverneur, ou la veste enlevée par la comtesse quand l’influence du guru fait monter sa tension, le traitement des scène comiques, telle la beuverie des pseudo-pélerines, ne donne pas dans la légèreté. C’est malheureusement souvent le cas, et c’est regrettable car ces ivrognes travestis en pélerines font tellement partie d’une tradition comique qu’il ne semble vraiment pas nécessaire d’appuyer.
Heureusement, la verve de l’orchestre balaie les réticences visuelles, et le chant réjouit à l’unisson. On se plait à noter que globalement la prononciation du français est bonne, y compris celle des artistes des chœurs, musicalement irréprochables. Le rôle mineur d’Alice donne à Yo Otahara la possibilité de montrer une vis comica discrète mais efficace en adepte dévouée et apparemment comblée des séances de « méditation » sous la tente. Entre parenthèses, elle sort la dernière du groupe de femmes manifestement très détendues par leur séance avec le guru, ce qui ruine quelque peu les discours qui veulent voir dans les émois d’Ory au deuxième acte l’ardeur maladroite d’un amoureux débutant.
Ragonde est ici moins sévère qu’attentive, et Camilla Carol Farias lui confère toute l’autorité nécessaire sans en faire le dragon femelle parfois représenté. Nathanaël Tavernier remporte un succès mérité dans le rôle du gouverneur, où il exploite à bon escient des graves abyssaux et montre une belle longueur de souffle. A Fabio Maria Capitanucci le rôle ambigu du compagnon des mauvais coups du jeune dévoyé et les couplets du récit de l’exploration de la cave, si évocateurs et si différents de ceux de Don Magnifico dans La Cenerentola. Il en exprime toute la verve, mais l’accélération altère un peu la clarté de la prononciation.
Diana Haller campe le page amoureux de la comtesse par là-même rival de son maître. Sa fermeté vocale, la souplesse et la vélocité, l’étendue intacte entre les graves soyeux et les aigus étincelants, doublées de son aplomb scénique, font de sa composition un régal. Il va de pair avec celui qu’offre la démonstration de virtuosité de la comtesse de Sofia Mchedlishvili, dont on constate avec bonheur qu’elle a acquis une complète maîtrise de sa voix : plus aucune trace, dans les aigus stratosphériques, des reflets métalliques d’autrefois, une homogénéité parfaite, la rapidité et la précision impeccable de l’exécution, s’allient à une présence scénique où les affèteries ont disparu, cette composition est à ranger au côté des plus notables.
Autre bonheur, dans le rôle-titre, l’alliance de l’intelligence et des moyens pour l’interpréter. Patrick Kabongo réunit les atouts nécessaires et comme toujours s’engage à fond dans la mission qu’il a reçue. Il doit faire rire, c’est à cela qu’est destiné son accoutrement de guru au premier acte, et la robe et la perruque blonde dont il est affublé au second et qui sont souvent source de gags. L’honnêteté du compte-rendu nous oblige à dire que beaucoup ont ri de bon cœur, et aussi que ses mimiques expressives n’y étaient sûrement pas pour rien. Pour le reste, on connait ses qualités de chanteur rossinien, la ductilité, la précision, la maîtrise des figures, et on les savoure intensément, en regrettant parfois que l’intensité sonore de l’orchestre le contraigne à pousser un peu. Il recueille un triomphe personnel mérité, comme la comtesse et Isolier, mais tous les artistes sont longuement fêtés par un public ravi dont on ne peut s’empêcher de noter que, plus fourni que la veille, il n’a cependant pas fait le plein.