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SCARLATTI, Il Vespro di Santa Cecilia – Ambronay

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Spectacle
15 septembre 2025
Le triomphe de la vocalité

Note ForumOpera.com

4

Pour le concert inaugural du Festival d’Ambronay, Giulio Prandi revient à l’Abbatiale, dont il est familier, avec son ensemble, son chœur, et une brochette de valeureux solistes. N’était la découverte d’un Te Deum, dont c’était la résurrection, première mondiale, (1) sur lequel il s’achevait, il était placé sous le patronage de Sainte-Cécile. En effet les deux premières œuvres – des extraits de Vêpres et une messe – étaient dédiés à la patronne des musiciens. C’est, du reste, à la Basilica Santa Cecilia in Trastevere de Rome qu’elles furent créées, en 1720 et 1721.

Scarlatti privilégie l’écriture à cinq parties, que ce soit au chœur ou qu’elles soient confiées aux solistes. A quatre chanteurs par voix, le premier trouve une plénitude, une rondeur puissante et articulée qui force l’admiration. Dans les nuances les plus ténues (les sopranes I et II, angéliques) comme dans les interjections véhémentes, la cohésion, l’équilibre, la souplesse sont au rendez-vous. Quant aux solistes, tous remarquables, dont la connivence est patente, ils se signalent par une égale virtuosité et il faudrait citer chacune et chacun : la vocalité est au cœur de la création de Scarlatti. L’orchestre, historiquement informé, réactif, ductile, toujours à l’écoute de l’autre, s’accorde idéalement à ses partenaires. A signaler, le concertino, conduit par le violon de Marco Bianchi, le violoncelle de Jorge Alberto Guerrero, l’orgue de Maria Cecilia Farina et le théorbe (Giulio Falzone). Le chœur adopte le même principe de division (coro favorito / ripieno), permettant de jouer sur les nuances, et de renforcer l’effet dramatique. Avec le Coro e Orchestra Ghislieri, Giulio Prandi a forgé un ensemble d’exception. Sa direction, toujours animée, précise et souple, sculpte les phrasés et unit les interprètes dans une même ferveur.

Antérieur d’une dizaine d’années à celui de Bach, qui relève d’une autre esthétique, le Magnificat initial est introduit par la schola gregoriana, exemplaire (2), et le chœur homophone qui succède prend tout son relief, dans une plénitude constante, en dialogue avec les solistes. La variété du traitement de chaque verset, le renouvellement permanent du matériau sonore, comme des tempi, de la dynamique et des phrasés confère une vie singulière à l’œuvre, qui mérite d’être davantage connue. L’écriture en est remarquable, où toutes les ressources vocales et instrumentales sont mises à profit. Pas de grandes arias (ni de da capo !), mais des interventions appropriées au texte. Ainsi regrette-t-on presque que le Quia fecit mihi magna, confié à la belle basse sonore et ronde d’Alessandro Ravasio soit si bref et partagé avec les autres interprètes. La strette du bref Amen final nous laisse sans voix, tant la force dramatique de l’ouvrage est grande.

Deuxième extrait des Vêpres, l’antienne, avec hautbois, solo sinon concertant, Cantatibus organi, confiée à Margherita Maria Sala, impressionne tout particulièrement. Véritable morceau de bravoure, propre à valoriser l’extraordinaire virtuosité du chant, il exige une longueur de voix exceptionnelle, une agilité des vocalises, une ductilité où se confirment les rares qualités de la soliste. L’émission, colorée, égale, ravit par l’aisance de ses aigus comme par l’assurance du medium et des graves, ces derniers peu sollicités. Un grand moment d’émotion que cette page. Le psaume 147, Lauda Jerusalem, est écrit pour le chœur avec les cordes, et l’orgue l’introduit. Nouvelle occasion de mettre en valeur un chœur souple, où chaque voix anime sa partie avec bonheur. La métrique changeante, la vocalité constante, la trame polyphonique et les mélismes occultent quelque peu le long texte, malgré l’articulation de chacun. A notre différence, les auditeurs du temps récitaient ce psaume familier. Le bonheur n’en est pas amoindri.

La messe de Sainte-Cécile atteint des proportions monumentales, notamment un des plus amples Gloria que l’on connaisse. Le Kyrie surprend par sa vigueur et son animation, où soli et chœurs s’opposent et se combinent. Le Christe confié aux deux sopranes et au ténor, accompagnés par la seule basse continue, contraste par sa retenue. Chaque section mériterait un commentaire. On retiendra la belle intervention de Maria Grazia Schiavo, au riche medium, pour sa ligne splendide, son soutien et ses couleurs comme ses subtiles nuances. L’orchestre, frémissant ou impérieux, participe à la valorisation du chant, au travers d’une écriture renouvelée, qui allie tradition polyphonique (3) et novation. Mentionnons l’Et resurrexit, homophone, puissant, la grande tendresse du Sanctus, et de ses harmonies : la beauté et l’émotion sont toujours là.

Le Te Deum est jubilatoire et les voix y sont magnifiées, les combinaisons vocales renouvelées, particulièrement celles des voix féminines, solistes et chœur (la plus belle des volières), aux complexes entrelacs des lignes. Festive, jamais martiale, l’hymne captive notre attention en permanence. La métrique ternaire du Pleni sunt, le retour au binaire du choeur (Tu Rex gloriae), avant que Margherita Maria Sala entonne le verset suivant, avec les deux hautbois, quelque peu cachés derrière les violons, il faudrait des pages pour décrire l’émotion esthétique et sensible qui nous submerge. Le chef sculpte le son avec un art consommé, impulse une dynamique constante, fait respirer chacun, anime chanteurs et instrumentistes du regard et du geste efficace. Le bonheur.

Le public ne s’y trompe pas qui réserve les plus chaleureuses et longues acclamations aux artistes. Il seront récompensés par la reprise du début du Gloria.

  • 1. Découverte récente du musicologue, spécialiste d’Alessandro Scarlatti, Luca Della Libera, qui situe sa composition vers 1720, se fondant sur le filigrane du manuscrit et les éléments stylistiques. Dans son ouvrage de janvier 2024, The Roman Sacred Music of Alessandro Scarlatti, il consacre son dernier chapitre à la musique de la Basilique Sainte-Cécile.
    2. Pourquoi n’avoir fait précéder que le seul Credo de la messe de son intonation grégorienne, propre à valoriser les riches polyphonies ?
    3. La grande fugue de la fin du Credo n’a ainsi rien à envier aux plus belles du Cantor de Leipzig.

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