En coproduction avec le Metropolitan de New York, le Nederlandse Opera a présenté le dernier opéra de Rossini, Guillaume Tell, une illustration typique du « grand opéra » français et un chef-d’œuvre absolu. Un chef-d’œuvre très exigeant aussi, tant au point de vue de la mise en scène et de la distribution vocale que de l’exécution orchestrale et, soyons honnête, la version amstellodamoise laissait énormément à désirer.
Paolo Carignani dirigeait l’orchestre avec beaucoup d’élan, mais sans mettre suffisamment en relief les subtilités de la partition. Le Nederlands Philharmonisch Orkest jouait généralement de manière parfaite, à commencer par le beau solo pour violoncelle qui introduit l’œuvre. Les chœurs, entraînés par Eberhard Friedrich, le célébrissime chef de chœur de Bayreuth, chantaient merveilleusement. Mais l’exécution ne portait pas vraiment à l’enthousiasme. Faut-il en imputer la faute à la mise en scène assez molle de Pierre Audi qui exprimait à peine les sentiments patriotiques, la résistance morale et le fanatisme du peuple helvétique opprimé ? J’ai rarement vu une scène aussi ennuyeuse que ce rassemblement des délégués des divers cantons jurant de repousser les envahisseurs autrichiens (fin du deuxième acte). Ces Autrichiens qui pouvaient, eux, se livrer joyeusement à toutes sortes de brimades et cruautés. La « chorégraphie » du Divertissement – Pas de trois : Tyrolienne du troisième acte constituait un véritable raté. Avec leurs sombres manteaux militaires, leurs costumes de dandys du XIXe siècle et leurs robes sexy, les Autrichiens contrastaient très vivement avec les Suisses, une masse uniforme en costumes beige clair (Andrea Schmidt-Futterer). Je n’attendais pas vraiment du folklore suisse mais un peu de couleur n’aurait sûrement pas fait de tort à l’ensemble. Cette remarque vaut également pour le décor majoritairement abstrait de George Tsypin qui dégage peu d’atmosphère et exige beaucoup d’imagination de la part du public. D’autant plus que la direction d’acteurs d’Audi ne contribue pas à insuffler à l’action tension et élan dramatique.
Tell devait-il vraiment être un personnage aussi passif et poussif que celui qu’incarne sur la scène Nicola Alaimo ? Ce baryton italien, dont je garde pourtant le meilleur souvenir, ne s’est hélas pas montré capable de donner, vocalement aussi, assez de relief à son personnage. La voix était terne et manquait de puissance ; on n’y perçut un peu de couleur et d’intensité que dans l’aria « Sois immobile ». John Osborn par contre est un Arnold convaincant, qui dispose des réserves vocales nécessaires pour défendre jusqu’au bout, avec pleine conviction si pas avec éclat, cette partie exigeante. Marina Rebeka a chanté Mathilde avec un soprano ferme bien que pas toujours également souple ; elle n’a manifestement pas trop l’habitude du style de l’opéra français. La prestation de Christian Van Horn (Gessler) était surtout un tour de force vocal. Eugénie Warnier était un Jemmy à la voix fraîche, qui ressemblait cependant plus à une fille qu’à un garçon. Helena Rasker a donné une chaude humanité à Hedwige, Marco Spotti était un Walter Farst à la voix puissante, Patrick Bolleire un Melchthal sonore, Vincent Ordonneau un faible Rodolphe et Mikeldi Atxalandabaso un honnête Ruodi. Représenter « Guillaume Tell » tout en rendant justice à cet opéra reste de toute évidence une tâche qu’il ne faut pas sous-estimer.
Traduction : Marie Hooghe