Le rideau se lève sur la première journée du Ring après un prologue décevant hier.
La Walkyrie s’ouvre sur un orchestre (aux cuivres un peu grinçants en cette fin d’après-midi encore chaude) censé figurer les éléments déchaînés et dont tous les pupitres semblent sous tranquillisants. Une impression qui durera jusqu’à la fin de l’acte II, même si le violoncelle solo ravit l’oreille. Simone Young ralentit à l’excès les tempi, creuse lourdement les silences et retire à l’orchestre sa carrure franche, l’efficacité de son assise grave, l’expression de l’urgence d’une situation de crise dans la demeure de Hunding. On attendra en vain le crescendo tragique. Certes nombre d’échanges muets sont notés sur la partition mais il faut raison garder. Heureusement les chanteurs sont sensationnels. Le Hunding de Vitalij Kowaljow est inquiétant à souhait. Sa présence scénique comme son médium grave connotent parfaitement la sauvagerie idoine du personnage. Au lever du rideau il a d’ailleurs déjà mis enceinte Sieglinde dans un décor sordide (où une table à repasser rivalise avec une énorme racine qui évoque un radis noir géant ou une Ipieuvre). Si nous suivons Valentin Schwarz, Siegfried serait donc le fils du barbare Hunding. L’éternel thème des pères et des frères ennemis, malades, qui contaminent toute une descendance est bien pratique à reprendre quand on n’a pas grand chose à dire. La Sieglinde de Jennifer Holloway a la puissance et la classe des vraies Dramatische Soprane mais doit recourir un peu trop au vibrato dans la deuxième partie du duo formé avec Siegmund, celui de l’amour. Elle demeure une héroïne wagnérienne de haut vol car il lui faut affronter l’extraterrestre Siegmund de Michael Spyres. Son premier récit d’une vie vouée au malheur puis ses interminables « Wälse » dans « Ein Schwert verhiess mir der Vater » sont tout simplement incroyables. Le système de respiration de ce chanteur demeure une énigme, outre sa parfaite technique, sa déclamation d’une plénitude ronde, brillante, aux couleurs admirables sur toute sa (vaste) tessiture. Outre sa projection et sa puissance de Heldentenor, il incarne superlativement ce belcanto wagnérien si rarement rendu par ses collègues – avec toutes ces nuances, ces couleurs, ces émotions. Son Siegmund fait oublier les partis pris toujours aussi surprenants (pour ne pas dire plus) de la mise en scène : l’épée Notung est ici un revolver de pacotille et une lampe en forme de pyramide (déjà présente au Prologue) encombre les chanteurs – alors qu’un autre décor bourgeois aux rideaux bleu blanc rouge (tiens donc) descend des cintres, dessinant l’avenir plan plan en tant que couple des deux jumeaux de Wotan. La photo de Siegfried (ce serait la vraie photo de Klaus Florian Vogt adolescent) les accompagne.
Le deuxième acte vérifie nos pires craintes. Wotan libidineux, incestueux (il descendra la petite culotte rose de Sieglinde à la fin de l’acte), corrupteur, fait rentrer de force dans la SARL familiale Brünnhilde la rebelle (elle arrive accoutrée en influenceuse au style disco et texan accompagnée par son assistant personnel Grane puis enfile le costume du Directoire de l’entreprise tendu par Fricka, autre âme noire dans cette vision schwarzienne). Avec les « Hoïotoho ! Heiaha ! Heïahaïa ! Hoïoho ! » (les allitérations et assonances les plus célèbres de l’art lyrique), le cri de victoire de la Walkyrie de Catherine Foster donne à entendre des vocalises certes dardées mais avec une montée prudente vers le contre-ut. Son débat et les mises au point avec le Wotan de Tomasz Konieczny (toujours sur la crête, entre incertitude de la tenue de la ligne et expressivité, quoi qu’il en soit impressionnant dans son rôle de monstre) nous semblera bien long. Idem quant au monologue de Wotan et son affrontement avec Fricka, au récitatif peu passionnant. Le retour du Siegmund de Michael Spyres face à Brünnhilde (très belle performance de Catherine Foster) dans la scène de la « Todesverkündigung » (ou annonce de la mort) enflamme enfin le plateau. Pendant que des domestiques nettoient l’argenterie dans la villa des ploutocrates (où veille toujours Fricka, une Christa Mayer quasiment déguisée en sapin de Noël, ayant ainsi révélé son tempérament avide), Sieglinde tente de s’avorter elle-même dans l’espace côté cour où les amants ont fui. Mais Siegmund est son gardien. Son refus du destin que lui a réservé son père restera lettre morte. Les musiciens de l’orchestre se révèlent brillants malgré la direction trop souvent soporifique de Simone Young. Peu de vertige ici hélas alors que cet acte des retournements et des renoncements devrait musicalement creuser le drame et emporter le spectateur.
Et soudain un miracle s’accomplit. Un sublime troisième acte enflamme les cœurs et les esprits. Si les sœurs de Brünnhilde sont des bourgeoises sorties d’une clinique de chirurgie esthétique, signe de leur corruption dans l’univers de Wotan, la rebelle a retrouvé son costume de chanteuse rock en sauvant l’enfant de Sieglinde (cet enfant étant possiblement le fils de Wotan et non de Hunding si l’on en croit l’acte II).
L’affrontement entre Wotan, soudain grand, avec sa fille, Catherine Foster extraordinaire Brünnhilde au chant d’airain et aux nuances émouvantes sur la scène nue de l’espace dévolu aux révélations, se hisse au niveau des plus beaux duos wagnériens. Tomasz Konieczny se révèle soudain immense, déchirant, réussissant à remplacer ce chant poitriné duquel il a jusqu’ici abusé pour livrer le plus beau des épanchements lyriques dans son adieu à cette fille, qui s’est libérée de son emprise malfaisante. Le baryton polonais transforme le plomb en or, fait de sa fragilité une force d’émotion rare, secondé par un orchestre idéal aussi. Tempi parfaits, superbe fondu-enchaîné des solistes (bois, cuivres, cor anglais), puis les profonds appels à Loge du feu transcendent la grossière vision de Valentin Schwarz. La grandeur tragique advient aussi dans la fosse.
Seul élément positif de la proposition scénique : la couverture indienne qui couvrait les épaules de Freia dans « Rheingold » (gardienne de la jeunesse des dieux avec ses pommes d’or), passée par Siegmund sur les épaules de Sieglinde au deuxième acte de la Première journée, est donnée à Brünnhilde dans ce finale grandiose. La malédiction sera donc abolie par les femmes.
WAGNER, Die Walküre – Bayreuth




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Infos sur l’œuvre
Der Ring des Nibelungen
Erster Tag : Die Walküre
Livret et musique de Richard Wagner (1813-1883)
Créé le 26 août 1870 à Munich
Détails
Mise en scène
Valentin Schwarz
Décors
Andrea Cozzi
Costumes
Andy Besuch
Dramaturgie
Konrad Kuhn
Lumières
Reinhard Traub, Nicol Hungsberg
Video
Luis August Krawen
Hunding
Vitalij Kowaljow
Siegmund
Michael Spyres
Sieglinde
Jennifer Holloway
Brünnhilde
Catherine Foster
Wotan
Tomasz Konieczny
Fricka
Christa Mayer
Gerhilde
Catharine Woodward
Ortlinde
Brit-Tone Müllertz
Waltraute
Margaret Plummer
Helmwige
Dorothea Herbert
Siegrune
Alexandra Ionis
Rossweisse
Noa Beinart
Grimgerde
Marie-Antoinette Reinhold
Grane
Igor Schwab
Chef des Chœurs
Thomas Eitler-De Lint
Bayreuther Festspielorchester
Direction musicale
Simone Young
Bayreuth, Festspielhaus, samedi 16 août 2025, 16h
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