L’Académie de l’Opéra de Paris présente des extraits de Street Scene à Bobigny, une décennie après avoir monté une version pour deux pianos du même ouvrage à l’Amphithéâtre Bastille. Cyrille Dubois interprétait alors Sam Kaplan. L’opéra américain de Kurt Weil formerait-il la jeunesse ?
C’est selon. La partition, écrite à l’intention de chanteurs expérimentés, touche aux limites de certains des artistes en résidence. La parodie de bel canto qu’est l’Ice-Cream Sextet voudrait plus d’agilité dans les vocalises, d’aisance dans l’aigu, et l’écriture des airs autoriserait souvent plus d’ampleur. La crédibilité scénique des personnages adultes souffre de leur jeunesse. En l’absence de maquillage et de costumes spécifiques, parents et enfants s’avèrent difficiles à différencier parmi la vingtaine de rôles que compte la pièce.
Pourtant, l’approche de Ted Huffman finit par balayer les réserves. L’espace scénique est aménagé autour de la fosse d’orchestre, de part et d’autre des gradins. Cette disposition s’accompagne d’un travail sur la lumière et sur le mouvement qui fait le spectacle immersif. La volonté de caractérisation aide à repérer les éléments clés d’une intrigue d’abord confuse. Le jeu des entrées et des sorties oblige l’œil à un travelling permanent qui maintient l’attention en éveil et projette le spectateur au cœur du drame. La salle tressaille lorsque les coups de feu libèrent la tension accumulée au fil des scènes.
Vincent Lappartient © Studio j'adore ce que vous faites
Puis il y a au centre du dispositif le moteur dramatique qu’est l’orchestre. Connue pour ses affinités avec la comédie musicale et son engagement en faveur de la création, Yshani Perinpanayagam dirige à vive allure une partition dont elle souligne les multiples influences sans les dissocier. Le récit alterne dialogue et musique avec naturel. La sonorisation discrète des chanteurs évite les problèmes d’équilibre inhérents à leurs déplacements et leur position vis-à-vis du public. La construction complexe des numéros n’est jamais prise en défaut. Cette précision horlogère est le fruit d’un travail d’équipe. Les ensembles en forment la partie la plus audible. Comment ne pas frissonner lors de la lamentation chorale qui accompagne le transport du corps de Mrs Maurrant.
Trac de première aidant, les jeunes artistes de l’Académie devraient gagner en confiance au fil des représentations. Déjà, les voix s’affermissent après l’entracte. Le soprano d’abord fluet de Teona Todua (Rose) s’étoffe. Sans se départir du vibratello qui distend sa ligne de chant, Kevin Punnackal (Sam) est un amoureux transi d’une sincérité émouvante et Ihor Mostovoi (Franck Maurrant) trouve dans le trio du 2e acte puis dans son aveu final la dimension tragique qui échappait à « It’s time we got back », son premier air. Se détache Margarita Polonskaya (Anna Maurrant), soprano au medium charnu, aux notes liées et égales, destinée aux plus grands rôles du répertoire si elle sait conserver la probité et l’intensité avec lesquelles elle conduit chacune de ses interventions, dont un « Somehow I never could believe » empli de promesses pucciniennes.