Forum Opéra

Tamara Bounazou : « Je me disais, enfin je vis ce pour quoi j’ai décidé de faire ce métier »

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Interview
2 décembre 2025
On peut parler de révélation : Tamara Bounazou fut au début du mois de novembre 2025 une extraordinaire Iphigénie dans l’Iphigénie en Tauride de Gluck, mise en scène par Wajdi Mouawad à l’Opéra Comique, sous la direction de Louis Langrée puis de Théotime Langlois de Swarte.

Une quinzaine de jours plus tard, on a voulu reparler avec elle de cette étape marquante dans son jeune parcours et la première question fut pour lui demander où elle en était, après être un peu redescendue de ce sommet d’émotion…

Tamara Bounazou : Mais je ne sais même pas si je suis redescendue ! Il ne faut peut-être pas d’ailleurs, il faut rester sur ces sommets. En fait, c’est ça : Iphigénie a tout changé pour moi. En tant que femme, en tant qu’artiste, dans ma façon d’aborder les rôles, de les concevoir. Cette expérience a vraiment re-forgé quelque chose à l’intérieur de moi. Et je crois que c’est permanent.

Forum Opera : Vous avez dit « en tant que femme, en tant qu’artiste, en tant que chanteuse ». Si on essaie d’analyser cela, j’imagine que d’abord il y a peut-être la charge, le poids, d’être pour la première fois en tête de la distribution d’un spectacle important comme celui-ci. Vous avez chanté par exemple Suzanna des Noces au TCE il y a quelque temps ou des rôles importants comme Ann Truelove dans le Rake’s Progress à Cologne avec Barbara Hannigan. Mais là tout le spectacle repose sur Iphigénie – et sur Oreste aussi quand même…

Tout à fait. En fait ça, ça a été, comment dire, non pas une problématique, mais ça a été un défi pour moi, surtout au début des répétitions, de me dire que c’était une responsabilité énorme, et que je voulais faire honneur aux personnes qui me faisaient confiance. Je pensais que là serait mon nœud principal sur cette production, alors qu’en fait il s’est situé ailleurs : la ligne s’est déplacée vers autre chose et moi-même ça m’a surprise. Dans le travail avec Wajdi Mouawad, très vite, on a glissé vers une dimension qui dépasse complètement l’idée de « je chante un premier rôle ». Pour aller vers quelque chose de beaucoup plus profond, une sensation assez vertigineuse pour moi, de quelque chose qui nous dépasse, et nous concerne en tant qu’humains.

La dimension universelle de la tragédie ?

Oui, la tragédie. Avec Wajdi, mais aussi avec Louis [Langrée], j’ai commencé à voir une dimension d’Iphigénie que dans mon travail solitaire, personnel, j’avais déjà entraperçue, mais c’est avec eux que j’ai vraiment ouvert cette porte en grand : la dimension du mythe, le fait que ces histoires de guerre, de sang, de meurtre, de sacrifice, enfin toutes ces histoires pas très joyeuses, mais qui sont le sujet d’Iphigénie en Tauride, eh bien que ces histoires qui étaient d’actualité du temps d’Euripide, elles l’étaient du temps de Gluck, elles sont encore d’actualité aujourd’hui. Très vite il y a quelque chose qui s’est installé dans mon esprit : j’ai réalisé que je chantais évidemment avec les vivants, mais aussi beaucoup avec les morts. Évidemment que ces questions de premier rôle, etc. restaient quand même dans mon esprit. Mais ce qui m’est apparu, c’est que pour la première fois je chantais quelque chose sur des sujets qui me dépassent et qui appartiennent aussi au passé et c’est dans ce sens-là que je dis que j’avais le sentiment de chanter avec les morts.

Tamara Bounazou dans Iphigénie en Tauride © S.Brion

Incarner un tel personnage tragique, vivre une telle situation, cela veut dire se dépasser…

…ça veut dire aller chercher en moi ce qui fait que je vais pouvoir donner corps à cette Iphigénie. On a tous dans nos histoires familiales des tragédies, on a tous des parents, des grands-parents qui ont vécu des guerres, qui ont été emprisonnés, qui ont vécu ou côtoyé des drames. Moi, pour mon cas, je suis franco-algérienne, et l’histoire entre la France et l’Algérie est une longue suite de drames. Je suis allée puiser dans cette histoire ce qui allait me permettre de faire en sorte que cette Iphigénie ait le poids qu’elle mérite d’avoir, parce que ce n’est pas une histoire d’amour, ce n’est pas « il m’a quitté, mon cœur est brisé », c’est bien plus que ça, c’est le poids du sang, c’est le poids de la mémoire…

… De la fatalité, du destin, de l’inéluctable, de tout ce qui dépasse les simples humains pour devenir éternel.

Oui, mais qui pourtant s’inscrit dans nos histoires d’humains pour toujours. C’est une intemporalité qui est assez vertigineuse je trouve.

Pour en revenir un instant à vos origines familiales, à l’Algérie, je crois que c’est votre père qui est venu s’installer à Montbéliard ?

En fait ce sont mes grands-parents. Et les quatre, figurez-vous ! Mes quatre grands-parents sont arrivés en France. Mes grands-parents paternels quand l’Algérie était encore française. Je sais que mon père était tout petit et qu’il vivait à Héricourt quand l’Algérie est devenue indépendante. Et puis mes grands-parents maternels sont arrivés un peu après, quand la France a eu besoin de de main-d’œuvre pour les usines. Donc mes deux parents sont nés en France et moi aussi.

Mais de cette histoire, est-ce que vos grands-parents et vos parents vous ont parlé ou est-ce que c’était un non-dit, quelque chose qu’ils voulaient oublier ?

Non, on en parle, on en parle beaucoup. En fait, ce n’est pas tant qu’on en parle dans de grandes discussions, c’est juste que ça fait partie de notre quotidien parce qu’on a une double culture. C’est quelque chose qui est là, c’est une présence. C’est la mémoire de la famille, on parle de ce qui s’est passé et puis culturellement ça passe par plein de choses, par la musique, par l’art, par ce qu’on mange, par une façon d’être aussi.

Philippe Talbot, Tamara Bounazou, Theo Hoffman dans Iphigénie en Tauride © S.Brion

Et tout cela donc a pu nourrir votre compréhension d’un personnage comme Iphigénie, qui est méditerranéenne, elle aussi, après tout.

Oui, vraiment aussi. Dans l’histoire familiale, il y a une mémoire. Moi, ce sont des choses que je n’ai pas vécues, je suis privilégiée, je ne connais pas la guerre, je ne sais pas ce que c’est de perdre des gens qu’on aime. Mais quand des personnes aussi proches, les grands-parents, les grands oncles, les grandes tantes, racontent leur histoire, partagent leur vécu, très vite on se les approprie parce qu’il y a ce fil familial, il y a quelque chose dans le sang qui se ressent très fort. Et donc c’est quelque chose que j’ai effectivement pu utiliser pour Iphigénie, qui vit l’exil, qui vit la guerre, qui apprend que sa famille a été entièrement anéantie, du moins c’est ce qu’elle pense dans un premier temps, elle ne sait pas alors qu’Oreste et Électre sont encore vivants. J’ai vu dans les yeux de ceux que j’aime des récits qui s’apparentent à l’histoire d’Iphigénie, et c’est quelque chose qui m’a effectivement aidée et qui a pu nourrir le personnage, oui.

Cela a été un processus conscient ou cela s’est fait inconsciemment ?

En fait, je n’osais pas accéder à ça. C’est Wajdi Mouawad qui par son vécu, des choses qu’il a vécues lui directement, m’a aidée à actionner ces leviers-là, à aller de ce côté-là, aller chercher ça. Mais je n’osais pas au début. Il a été fabuleux de douceur pour demander… Il ne m’a jamais poussée, ce n’est pas du tout son caractère. Il a manipulé cela avec grande précaution. Moi toute seule, je n’aurais pas osé aller chercher là. Parce que c’est intime, enfin vous voyez, c’est l’histoire de ma famille, je n’aurais pas pensé ramener ça sur scène.

Mais ensuite, ce travail, il faut parvenir à le transcender, arriver à une expression, je ne dirais pas abstraite, mais épurée. Vous dégagez en Iphigénie une espèce de noblesse et de grandeur, la grandeur du personnage, la grandeur de la situation aussi, la tragédie de ces personnages qui sont dépassés par le destin.

Je me suis inspirée aussi des personnes de mon entourage. Ce sont des gens, des personnages qui restent droits, qui craquent parfois parce que ce sont des humains. Mais qui affrontent cette fatalité les yeux dans les yeux. Je pense que quand on est dans des situations absolument tragiques de guerre où le sang coule beaucoup trop, si on s’effondre, on n’est juste plus là. Je pense qu’il y a quelque chose dans la dignité d’affronter ces choses-là, cette fatalité en restant droit, que j’ai pu ressentir et qui m’a portée.

Tamara Bounazou © S. Brion

Ils sont venus vous voir, voir le spectacle, vos parents et grands-parents ?

Mes grands-parents malheureusement non puisqu’ils ne sont plus de ce monde, mais mes parents sont venus, mes sœurs aussi sont venues et c’était très émouvant pour nous. Je ne leur avais pas encore parlé de tout le processus que j’avais traversé. C’est vraiment juste avant qu’ils viennent que je leur ai expliqué certains leviers que j’avais utilisés pour certaines scènes. Donc ils savaient ce qui se passait dans ma tête à ce moment-là. Mais pour moi c’était très touchant et très émouvant de les savoir ici, je n’ai pas pu me retenir de pleurer d’ailleurs.

Ils vous ont reconnue ou ils ont découvert quelque chose de vous qu’ils ne connaissaient pas ?

Alors ça dépend. J’ai un de mes frères par exemple qui m’a dit qu’il avait eu du mal à me reconnaître. C’est le seul, les autres m’ont reconnue, mais lui m’a dit qu’il y avait quelque chose de sculptural qui ne ressemblait pas à mon caractère… Qui est en effet assez loin de celui d’Iphigénie. Je suis quelqu’un qui sourit tout le temps, qui est tout le temps positif. Et donc effectivement un de mes frères ne m’a pas reconnue, mais c’est le seul.

C’est intéressant ce que vous racontez de votre approche du rôle, mais en même temps c’est surprenant parce qu’on a l’impression que vous ne l’abordez pas par la musique…

C’est vrai, mais parce qu’en fait pour moi c’est indissociable. Quand je parle de tout ça, je parle aussi de la musique. L’écriture de Gluck – une note, une syllabe – fait que tout est très théâtral. Évidemment il y a le vocal, il y a des lignes absolument fabuleuses… Mais ces lignes, je les ai chantées, mais je les ai surtout jouées

Le sentiment que j’avais en vous écoutant, c’était que vous dites le texte et que la musique, la musique des mots, la musique de ces récitatifs vient par surcroît. Comme quelque chose de très naturel.

Et en cela l’écriture de Gluck est parfaite. Pour comprendre cette musique, j’ai eu besoin de m’ancrer encore plus dans les mots, dans ce qu’elle dit et pourquoi elle le dit. Une fois que ça s’est incarné, la musique devient comme une évidence. C’est comme si les mots dessinaient les contours et que la musique mettait la couleur. Alors évidemment ça a été un travail. J’ai beaucoup travaillé sur la déclamation, j’ai écouté Sarah Bernhardt, j’ai écouté les grandes tragédies, je me suis imprégnée de tout ça. Le texte, je l’ai énormément déclamé. Et l’intensité, la hauteur, le rythme de la déclamation coïncident parfaitement, naturellement avec ce que Gluck a écrit musicalement. Les deux sont imbriqués l’un dans l’autre. C’est indissociable pour moi.

Jean-Fernand Setti (Thoas), Tamara Bounazou, Philippe Talbot (Pylade) © S. Brion

Est-ce que vous avez ressenti un effet de mûrissement pour la voix ? L’ambitus du rôle est long, avec des notes assez graves.

Oui et d’autant plus que le diapason était quasiment un ton en dessous du diapason 440, on était à 400. On avait commencé par travailler à 392, donc il y ait quasi exactement un ton, mais cela créait des difficultés pour les instruments, il me semble, et on a remonté le diapason à 400. Donc on était entre un demi-ton et un ton plus bas. Effectivement, vocalement, ça a été une manière pour moi d’explorer une partie de la voix où, quand on est soprano, on passe sans s’attarder. Et là pour le coup, je m’y suis attardée.

Et donc vous avez le sentiment qu’il en reste quelque chose ?

Oui vraiment. Ça me donne maintenant de l’assurance pour ces medium graves par le simple fait d’avoir travaillé et répété longuement dans cette zone de ma voix, toute la zone du passage à la voix de poitrine. C’est quelque chose qui me vient beaucoup plus naturellement maintenant, une familiarité s’est créée. Un enrichissement vers le répertoire de soprano dramatique, disons.

Tout ça se raccroche à votre passion pour la mélodie française.

Oui. À ce qu’on se disait sur le mot qu’il faut porter plus haut. C’est Louis Langrée qui me disait que Berlioz considérait Gluck comme son père spirituel. Quand je chante le Spectre de la rose, j’entends Gluck et en chantant Iphigénie, j’entends par anachronisme Berlioz, la filiation entre les deux. Moi ça me passionne, les beaux mots, les mots qui sont bien remplis de leurs sens, qui sont juteux de leurs sens, ça me passionne.

© Stefan Brion

Parlez-moi du travail avec Louis Langrée

C’est un homme extraordinaire. Le travail avec Louis, cela a été dans l’exigence, dans la bienveillance, avec le sentiment que lui et moi, musicalement, on parle la même langue. Donc, on s’est très vite compris.

Ça veut dire quoi ?

Que dans son geste musical, dans son geste de direction, je sens tout de suite ce qu’il veut me dire d’un point de vue vocal. C’est en ce sens-là que je dis qu’on parle la même langue. Je pense à certains gestes en particulier où tout de suite je comprends ce qu’il veut me dire, ce qu’il veut que je fasse vocalement. Ensuite, évidemment ça a été un travail, tout n’est pas parfait tout de suite, mais il y avait une vraie connexion musicale avec Louis, très vite on s’est compris, mais parce qu’aussi on était sur la même longueur d’onde, sur cette histoire du mot.

Vous parliez de la ligne. Il y a aussi peut-être une entente sur la manière de conduire la ligne, sur ce que vous donnez à entendre, la façon dont vous menez la ligne, dont vous allez jusqu’au bout de la ligne. Affaire de pose de voix, de souffle, de technique bien sûr. Pour accomplir ces longues lignes de Gluck..

Oui, tout à fait. Ces lignes à l’intérieur desquelles parfois les couleurs changent elles-mêmes. Et c’est justement dans ces changements de couleur, dans le geste de Louis, qu’on se trouvait sur la même fréquence, lui et moi, dans une même ligne, dans les changements de couleur, dans son geste, même de tout petits gestes ou des expressions de son visage, c’est quelqu’un de très expressif, Louis, avec son visage. Parfois quand il dirigeait, c’était même dans ses yeux que je pouvais voir ce qu’il me demandait. Pour moi, ça a été une rencontre musicale assez exceptionnelle. Et puis cette élégance, vraiment je trouve qu’il est fabuleux.

J’imagine qu’il y avait chez Wajdi Mouawad la même bienveillance, la même douceur pour vous aider ?

Oui, ils se ressemblent beaucoup tous les deux dans le travail. Avec eux, on est vraiment au service de ce qu’on fait. C’est presque comme s’il n’y avait pas de hiérarchie, ce qu’on peut trouver parfois sur certaines productions. Là, on est vraiment au service de la tragédie, au service du texte, au service de Gluck, au service de comment aller chercher le public, comment faire pour que tout le monde comprenne exactement ce qui se passe dans les cœurs des personnages, pour être au service du théâtre, de la musique.

Theo Hoffman (Oreste) © Stefan Brion

En plus vous aviez en Oreste un partenaire formidable, avec lequel vous formiez un couple, Theo Hoffman, pour qui c’était aussi une prise de rôle, donc dans la même situation que vous ?

Exactement. Avec Theo Hoffman on a créé un lien qui est très spécial. On continue de se parler quasi tous les jours depuis la fin de la production. On a vraiment tissé quelque chose qui est étonnant parce que c’est très intime et pourtant on ne se connaît pas tant que ça. C’est comme si les rôles, ce qui constitue nos rôles avait débordé sur nous-mêmes. On a cette familiarité assez exceptionnelle avec Theo. On s’admire beaucoup l’un l’autre en tant qu’artistes. Je pense qu’on est de bons partenaires sur scène. Du coup on a envie de tout chanter ensemble. Je pense que cette complicité-là est précieuse et qu’elle est rare aussi.

Cette Iphigénie, je considère que, dans cette salle de l’Opéra Comique, avec cet orchestre, avec ce chœur, avec les femmes du chœur avec lesquelles on a noué un lien profond, c’était pour moi ! J’étais très à l’aise, il me semble que c’était à ma taille. Par exemple, à la fin de l’acte 2, le défi, dans l’air « Ô malheureuse Iphigénie », c’était de ne pas pleurer parce que je ne concevais pas comment chanter « Ta famille est anéantie, je n’ai plus de parents » sans pleurer. Pour moi, ça a été tout un travail pour réussir à faire la part des choses et à investir moins de mon cœur là-dedans. Je commençais l’air allongée sur le dos, ce n’était pas facile, il a fallu que je m’entraîne, et puis il y avait l’ensemble avec les femmes du chœur, puis une marche funèbre jouée par l’orchestre. C’est un moment où on avait, on ressentait entre nous toutes une force de communion, mais sans mots. Et quand le rideau se fermait, on se prenait les unes les autres dans les bras, toutes en pleurs. Et puis ensuite on prenait notre pause pour l’entracte…

À vous entendre en parler, on a le sentiment que cette Iphigénie, pour vous, c’est un début…

Oui, parce que j’ai découvert de nouvelles choses sur moi, sur mon métier, sur ce que je veux faire aussi sur scène, sur ce que je veux exprimer. Évidemment, deux semaines après, il y a un peu de nostalgie, mais pour moi, c’est enthousiasmant d’avoir vécu cela. Pendant les répétitions, j’étais épuisée, mais je me disais, enfin je vis ce pourquoi j’ai décidé de faire ce métier. Et c’est un rêve pour moi ça.

J’ai trouvé une interview que vous disiez qu’à la maison il y avait des disques de Idir, de Rachid Taha et un disque de Callas que vous écoutiez en boucle, Callas qui est à l’origine de votre rêve d’opéra, et qui a enregistré l’air « Ô malheureuse Iphigénie », Callas qui avait cette noblesse de stature, ce côté Irène Papas, la tragédie grecque ancienne incarnée physiquement, elle retrouvait cette majesté qu’on voit dans les statues grecques, la façon de se tirer les épaules très en arrière, de grandir…

C’est ce que j’allais dire : c’est une verticalité qui a vraiment dirigé mon travail corporel pour Iphigénie. C’est quelqu’un de très vertical, c’est très rarement qu’elle s’autorise un instant d’abattement, notamment justement à la fin de l’acte 2, sinon c’est une femme qui reste droite. Ce n’est pas quelqu’un qu’on a envie de consoler. Et effectivement oui, cette noblesse, cette verticalité, je pense que c’est constitutif de qui elle est.

Tamara Bounazou et Theo Hoffman © Stefan Brion

Vous avez parlé de ce travail avec Louis Langrée, mais il y a une autre personne, un autre mentor, qui compte beaucoup pour vous, c’est Barbara Hannigan ?

Oui Barbara ! Je crois que le travail qu’on a fait ensemble sur le Rake’s Porgress continue de m’habiter. Ce qu’elle a réussi à me transmettre, c’est de m’autoriser à toujours avoir accès à ce qui est à l’intérieur de moi pour chanter. C’est-à-dire que très souvent, j’avais parfois, comment dire, une pudeur à utiliser ce qui est à l’intérieur de moi. En fait, tout ce qui nous constitue, justement c’est là-dedans, dans ces couleurs-là qu’il faut aller chercher et maintenant pour moi c’est indispensable.

Oser l’impudeur…

Oui, mais ça demande de la confiance en soi, de la force.

Pour oser se dévoiler

Oui. Et alors là, dans Iphigénie j’étais à nu, vraiment. Je ne pouvais pas plus. Mais il faut quand même se protéger aussi un petit peu. C’est ce que je racontais sur le fait de ne pas réussir à chanter sans pleurer, et ça a été un travail de réussir à re-calibrer ça. Mais après, je pense qu’on est plein d’artistes à avoir une assez grande sensibilité. Et donc, heureusement qu’il y a le travail des répétitions et ce processus-là pour justement cadrer ces émotions et tenir les rênes. Parce qu’évidemment il faut donner de soi, mais il ne faut pas non plus se brûler les ailes. Garder un espèce de prudence. J’ai cette métaphore qui pour moi revient tout le temps dans ces situations-là : je m’imagine être sur un lac dans ma barque et j’ai le droit de regarder ce que l’eau reflète de moi, j’ai le droit de regarder ce que l’eau me dit de mes sentiments, mais il ne faut pas que je plonge. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a vraiment quelque chose de cet ordre-là quand je dis que tout ça il a fallu le calibrer.

À la fois se livrer, donner de soi-même, mais tout contrôler. Garder un quant-à-soi…

Je sais que si je donne trop, je ne peux pas chanter. Parfois il y a des émotions qui nous traversent tellement fortes qu’on ne peut juste pas, dans Iphigénie, mais même dans le Rake’s Progress, quand Tom est devenu complètement fou et qu’elle vient lui chanter une berceuse : en fait si je suis trop moi, je ne peux pas chanter. Et donc effectivement il faut savoir doser.

À l’opéra, la prochaine étape pour vous, je crois que ce sera Der Zwerg, le Nain, de Zemlinsky, à Lausanne. Et ensuite ?

Ensuite… Ce n’est pas encore annoncé, mais je vais chanter ma première Mélisande, à Lausanne aussi, pendant la saison 2026-27… Quelle chance ! Je ne sais pas encore avec quel Pelléas ni quel Golaud,

Ah, c’est tout à fait raccord avec votre passion pour la mélodie française…

Oui, je suis toujours fascinée et étonnée de voir à quel point ces lignes mélodiques et ces poésies continuent de nous parler encore aujourd’hui. Pour moi ce sont vraiment des capsules temporelles actualisables. En ce moment je suis obsédée par le cycle de Debussy sur les poèmes de Baudelaire, notamment le premier, Le Balcon. C’est d’une sensualité, c’est d’une beauté, c’est merveilleux !

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Comme sorti d’une maison de luxe
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

A l’occasion du récital donné à Toulouse mardi prochain, 2 décembre 2025, la grande soprano française se prête à notre questionnaire de Proust.
Interview
[themoneytizer id="121707-28"]