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Nathalie Manfrino
Portrait
Nathalie Manfrino
© DR
Sa
voix, on le sait, est diaphane et lumineuse. Ainsi la chevelure blonde,
les yeux clairs, et même la peau laiteuse d’une Roxane
rétive au soleil. Qui dit lumière dit foyer. Ecouter Nathalie Manfrino
parler d’elle, de sa carrière, de son art, c’est
aussitôt être mis proche de ce foyer, de cette source qui
irrigue la voix et le chant. C’est entendre, derrière les
mots, le combat d’une vie, et une volonté d’aller de
l’avant. C’est capter, dans son tumulte encore presque
juvénile, une énergie dont on se dit qu’elle ne
peut ne pas sourdre aussi d’une forme d’inquiétude.
Derrière la blondeur sage des héroïnes
chantées par Nathalie Manfrino – les Roxane, les
Marguerite – se cachent les fêlures d’une
Mélisande ou d’une Manon, que l’on n’ira pas
– Dieu nous en garde – fouailler ni gratter. C’est au
détour d’une phrase quand le bleu de l’iris
s’assombrit brusquement que s’avoue une histoire plus
douloureuse peut-être qu’on ne le croit. Et qu’en
somme on ne veut pas exposer.
Nathalie Manfrino - Marguerite à l'Opéra de Nice
"...il
y a chez Nathalie Manfrino cet attachement foncier à ce que
l’opéra a d’artiste, de nocturne et de superbement saltimbanque."
Plus
intéressante pour nous est le pansement que les blessures. Dans
le cas de Nathalie Manfrino, ce pansement est le théâtre.
Formule convenue que de vanter chez les chanteuses du jour les talents
d’actrice dont étaient prétendument
dépourvues leurs illustres devancières. Echappatoire
commode de quelques cantatrices en mal de voix que de prétexter
une quête théâtrale autrement féconde que la
poursuite du contre-mi enfui. Ce n’est pas de cela, chez Nathalie
Manfrino, que nous parlons. A aucun moment elle ne nous
détaillera sa conception de la place du jeu dramatique dans le
chant lyrique, du théâtre parlé dans
l’opéra. Mais il suffit qu’elle évoque ses
expériences scéniques pour que l’on capte
immédiatement l’instinct à l’œuvre,
cette envie impérieuse de fouler les planches. Pour percevoir ce
goût physique de la vie de théâtre :
l’entente avec les partenaires, le besoin palpable des odeurs de
poussière et de pourpre qui hante les maisons
d’opéra, des quinquets qui requinquent, le jeu des
répétitions et des éclats de rire qui ponctuent
les scènes les plus tendues, goût aussi pour les coulisses
où l’on se salue et se raconte, de la sortie des artistes
où l’on s’étreint et se retrouve, des
dîners qui tard dans la nuit vous créent cette
sphère, cet univers, mieux : ce biotope, avec ses intrigues
sans doute et ses ragots, ses misères et ses grandeurs, son
dandysme et sa sensualité, ses ivresses – oui, il y a chez
Nathalie Manfrino cet attachement foncier à ce que
l’opéra a d’artiste, de nocturne et de superbement saltimbanque.
Nathalie Manfrino - Mélisande à l'Opéra de Marseille
"Il y a de la Crespin chez Manfrino"
Que
l’on n’attende pas d’elle les immolations
spectaculaires des grandes vestales qui tiennent trois saisons puis
écrivent leurs mémoires depuis des retraites
grisâtres. Elle serait plutôt de celles qui sentent et
respirent les rôles, et se mesurent à ce qu’elles
savent plus grand qu’elles non parce que cela les brûlera,
mais parce qu’elles savent qu’elles mettront, elles, le feu
aux planches. Il y a de la Crespin chez Manfrino. Aussi se jeta-t-elle
bien vite dans Mélisande,
dont les longs cheveux blonds et les fragilités secrètes
lui convenaient au-delà de ce qu’on pouvait attendre
d’une chanteuse de vingt-huit ans. Elle se jeta de même
dans Marguerite, qu’on vit jadis à Nice, et que quelque halo semblait nimber, comme dans ces films en noir et blanc. Et Manon, et Roxane,
et d’autres. Mais derrière ces héroïnes
françaises bouillonnent les petites femmes de Puccini, sources
d’enfance : Mimi et Tosca,
qu’elle devait se chanter à elle-même comme font les
adolescentes rêvant de soirs de première,
c’est-à-dire les hurlant dans sa salle de bains. Elles
viennent, elles sont déjà prêtes.
Nathalie Manfrino - Roxanne à l'Opéra de Montpellier
(avec Roberto Alagna)
C’est amusant comme souvent les chanteuses d’opéra,
offrant sur scène leurs failles et leurs faiblesses, se drapent,
dans la vie réelle, dans la franchise un rien bourrue de
tempéraments sans ambages. Cela choque les esthètes, qui
aimeraient tant prendre le thé avec Madame Butterfly. Pour nous,
cela nous réjouit. Car derrière tout
théâtre, derrière ce goût de la montre, du
jeu, du spectacle, il existe une fondamentale santé : un
plaisir d’être, et une façon crâne
d’assumer les douleurs et les manques en faisant métier de
les creuser et même de les exposer.
Nathalie Manfrino ne fait pas une carrière raisonnable. Qui ne
lui aurait déconseillé ses prises de rôle
périlleuses, si jeune. Mais, voyez-vous, nous n’avons pas
peur pour elle. Car tout ce qu’elle nous offre sur scène
et dans sa voix de fragilités s’ancre et se ressource dans
une force qui est de tempérament et qui est aussi de voix. Les
catégories vocales ne sont pas faites pour elles,
puisqu’elles ne sont que les garanties et les ceintures de
sécurité de chanteurs vivant sur le fil du rasoir.
Manfrino, saltimbanque, n’est pas funambule ni trapéziste.
Dans ce pays d’artistes et de jongleurs qu’est finalement
l’opéra, elle est notre dompteuse de lions et notre
étonnante magicienne aux mille sortilèges, dont tant
encore nous restent à découvrir.
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