C O N C E R T S
 
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BORDEAUX
22/01/2006

© Guillaume Bonnaud
Giuseppe VERDI

La Traviata

Opéra en trois actes (1853)
Livret : Francesco Maria Piave d’après la pièce d’Alexandre Dumas
La Dame aux camélias

Mise en scène : Francesca Zambello
Décors : Marina Draghici
Costumes : Opéra National de Bordeaux
Lumières : Alan Burrett
Chorégraphe : Giuseppe Della Monica

Violetta Valéry : Nicoleta Ardelean
Flora Bervoix : Liliana Mattei
Annina : Magali Damonte
Alfredo Germont : John Matz
Giorgio Germont : Victor Torres
Gastone de Letorières : Christophe Berry
Le baron Douphol : Jean-Philippe Marlière
Le marquis d’Obigny : Antoine Garcin
Le docteur Grenvil : Olivier Naveau

Orchestre National de Bordeaux
Choeur de l'Opéra National de Bordeaux
Production Opéra National de Bordeaux
(créée le 22 mars 1997 au Grand Théâtre)

Direction musicale Jonathan Darlington

Bordeaux, Grand Théâtre
le 22 janvier 2006, 15 heures

Violetta Impériale

Victime à la scène, victime à la ville aussi, La Traviata porte la croix de sa popularité. L’oeuvre, trop célèbre, est hantée par les fantômes des plus grandes, la Callas en tête évidemment. Elles habitent notre mémoire, l’encombrent presque, au point de provoquer d’inévitables comparaisons qui tournent à leur avantage et rendent souvent décevante chaque nouvelle représentation de l’opéra de Verdi. Souvent mais pas toujours…

C’est dire tout de même la crainte du spectateur qui part assister à la reprise de cette production bordelaise, datée de 1997. Pour ne rien arranger, le nom du metteur en scène, Francesca Zambello, n’est pas de ceux qui mettent en confiance. Guillaume Tell et, pire, le Trouvère présentés à l’Opéra de Paris, ont démontré son peu d’affinités avec le répertoire italien.

Mais il ne faut jurer de rien. Sa lecture de La Traviata surprend au premier et deuxième actes par son conformisme : costumes second empire, intérieurs bourgeois, pas d’idées nouvelles mais une scénographie dont l’orthodoxie constitue la seule originalité. Mise en scène esthétique au demeurant, exception faite de deux ou trois chaises curieusement suspendues dans les airs, défi aux lois élémentaires de la gravité dont la symbolique échappe. Peu de contresens, un seul à vrai dire mais plutôt intéressant : quand Violetta supplie Germont de l’embrasser (1), le père d’Alfredo au lieu de la serrer dans ses bras, ainsi que le stipule le livret, marque un mouvement de recul. Le personnage n’en parait que plus implacable mais pourquoi pas ? Mis à part ce geste, il faut attendre le dernier acte pour que souffle un frisson de modernité. La courtisane se voit privée de retrouvailles éperdues avec son amant. Alfredo, Annina, Germont, Grenvil, figés autour de son chevet, deviennent chimères engendrées par la fièvre. Les cinq dernières répliques sont même supprimées (2). Violetta meurt seule, terriblement. La rédemption n’est pas de ce monde. L’opéra de Verdi était jusqu’alors tragique, il devient ici désespéré.

© Guillaume Bonnaud

Foin de trouvailles originales, pour réussir une Traviata, il ne faut pas des idées mais avant tout une chanteuse capable d’assumer le rôle, vocalement et physiquement, ce qui représente une gageure. Violetta doit conjuguer soprano dramatique, lyrique et colorature avec une physionomie avenante et un tempérament de tragédienne. Les tenants du parisianisme décréteront qu’une telle perle ne se cache sûrement pas dans un théâtre de province.
 
Erreur, Nicoleta Ardelean empoigne le personnage à bras le corps et le possède avec une conviction qui lui vaut à la fin une longue ovation. D’origine roumaine, elle n’est pas sans rappeler Leontina Vaduva, sa compatriote et devancière dans cette même production ; comme elle, palpitante, musicale, féminine avec, en plus, la fraîcheur de la jeunesse ; sa carrière a débuté en 1999. La voix n’est pas puissante, c’est là son point faible ; elle peine parfois à s’imposer dans les ensembles. Plus que le final du deuxième acte, elle préfère donc l’intimité du grand duo avec Germont et, surtout, le troisième acte, halluciné, soulevé en son centre par un « addio del passato » d’une intense pureté. Le contre mi bémol au sommet du « Sempre libera » forme la cerise sur le gâteau.

© Guillaume Bonnaud

A l’opéra comme ailleurs, un bonheur n’arrive jamais seul. Les partenaires de Nicoleta Ardelean, jusqu’aux plus modestes, participent à la réussite théâtrale et musicale du spectacle : séduisante Flora de Liliana Mattei, digne Douphol de Jean-Philippe Marlière applaudi il n’y a pas si longtemps en Saint-Bris à Metz, pour n’en citer que deux. Quant aux protagonistes, ils ne dérogent pas non plus à la règle. John Matz campe un Alfredo de fière allure et d’une belle jeunesse, un peu raide malgré tout. Le timbre sonne clair et viril. L’énergie – la rage par exemple avec laquelle il jette l’argent au visage de sa bien-aimée –  compense le défaut de vaillance. A cet égard, la cabalette du deuxième acte, « O mio remorso », rendue périlleuse par un tempo trop lent, frôle l’accident. Son père, Victor Torres, noble de silhouette et de ton, Germont oblige, joue plus sur le velours que sur le mordant : sons feutrés, couleurs estompées. Marmoréen, le personnage ne sort cependant pas de la convention.

Jonathan Darlington choisit la carte de la concision et, mis à part quelques défauts de dynamique – la fameuse cabalette d’Alfredo mentionnée plus haut ou le chœur des invités « si ridesta in ciel l’aurora » – conduit le drame jusqu’à son issue fatale sans précipitation ni exagération.

Autant dire qu’on ne ressort pas indemne de cette Traviata car, ainsi interprété, le chef-d’œuvre de Verdi fait mouche. Bouleversé évidemment, fatigué aussi par trop d’émotions mais satisfait, heureux même. Et illuminé. Il ne reste plus qu’à propager la bonne nouvelle. Oui, mes frères, il y a une vie après Callas.


Christophe RIZOUD


(1) « Qual figlia m’abbraciate… Forte cosi saro » (« Embrassez moi comme votre fille… Je serai forte ainsi »). Il est ensuite clairement indiqué entre parenthèses « s’abbraciano » (ils s’embrassent).

(2) Annina, Germont e dottore : « Oh Cielo ! … Muor» - Alfredo : « Violetta ?» - Annina e Germont : « Oh Dio, soccorasi !» - Dottore : « E spenta !» - Annina, Alfredo e Dottore : « Oh mio dolor !»

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