C O N C E R T S 
 
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PARIS
29/11/05
Richard WAGNER

TRISTAN ET ISOLDE

Opéra en 3 actes

Mise en scène : Peter Sellars
Vidéo : Bill Viola
Costumes : Martin Pakledinaz
Éclairages : James F. Ingalls

Clifton Forbis :Tristan
Lisa Gasteen : Isolde
Alexander Marco- Buhrmester : Kurwenal
Willard White : König Marke
Ekaterina Gubanova : Brangäne
Peteris Eglitis : Melot
Ales Briscein : Ein Hirt / Ein junger Seemann
Jean-Luc Ballestra : Der Steuermann

Choeurs et Orchestre de l'Opéra National de Paris 
Direction musicale : Valery Gergiev
 

Paris, Opéra Bastille, le 29 novembre 2005

A-TRISTAN
 

Production phare de la saison passée, Tristan nous revient dans une distribution entièrement renouvelée : une occasion de faire le point à tête reposée sur un spectacle qui avait suscité un certain emballement médiatique il y a quelques mois.

Parsifal très correct sur cette même scène en 2003, Clifton Forbis est assez dépassé par les exigences du rôle. Le premier acte est atone et le deuxième franchement pénible : handicapée par une tessiture trop grave, le ténor est obligé de grossir artificiellement sa voix. Il en résulte un timbre de vieillard trémulant, jamais loin de l'accident. De fait, à plusieurs reprises, la voix perd tout appui ce qui nous vaut quelques couacs discrets (1). Au troisième acte, Forbis est plus à l'aise avec la tessiture et reprend du poil de la bête : cela nous vaut quelques aigus spectaculaires et surtout une caractérisation dramatique de bonne tenue.

Nous avions émis quelques réserves sur les capacités vocales de Lisa Gasteen à l'occasion de ses Brünnhilde londoniennes de mars et de juillet 2005. Cette série vient malheureusement nous confirmer que le soprano n'a pas le format d'une Isolde, même par les temps de disettes wagnériennes actuelles. Les imprécations du premier acte se limitent à du ronchonnement et la chanteuse est d'ailleurs bien incapable d'atteindre les contre-uts prévus, malgré son ménagement dans les mesures qui précèdent. Au deuxième acte, Gasteen semble n'avoir qu'un objectif : tenir la distance. Le volume s'en ressent et la caractérisation aussi. L'immolation du troisième acte tombe totalement à plat, le soprano étant incapable de soutenir correctement la ligne de chant, malgré un tempo rapide.

Willard White est un Roi Marke simplement correct, un peu graillonnant, auquel manque cette dignité offensée et cette noblesse d'un Kurt Moll. Mais au pays des aveugles... (2). 

Alexander Marco- Buhrmester en revanche est un très bon Kurwenal ; Peteris Eglitis est un peu plus en retrait en Melot ; Ales Briscein et Jean-Luc Ballestra complètent efficacement la distribution.

Ekaterina Gubanova est finalement la seule vraie bonne surprise de la soirée : sa Brangäne est somptueuse, vocalement torrentielle ; on regrette de ne l'entendre que si peu de temps.

Après la lecture anti-théâtrale mais quasiment hypnotique d'Esa-Pekka Salonen la saison passée, on pouvait attendre de Valery Gergiev, authentique "chef de fosse", une conception plus dramatique. Malheureusement, le chef ossète ne semble pas s'être vraiment investi dans cette série de Tristan, coincée il est vrai entre les représentations du Nez deux semaines auparavant, celles de Casse-Noisette au Châtelet la semaine suivante, juste avant Le Voyage à Reims et Boris Godounov. Il ne lui manque plus que de faire le pianiste dans un cabaret russe, la nuit, entre deux représentations !

Gergiev n'a aucune difficulté à être plus rapide que Salonen : 3H45 pour 4h la saison passée. Une durée globalement dans la moyenne des interprétations de l'ouvrage, mais qui cache des disparités au sein de la partition: certains tempi (début du duo traité comme une strette de Donizetti, Immolation...) sont exagérément accélérés et d'autres alanguis sans qu'on puisse lire une véritable conception d'ensemble. Le nombre de répétitions a certainement dû être assez limité : les décalages entre pupitres, ou entre fosse et plateau, ne sont effectivement pas rares. La sonorité de l'orchestre enfin est plus agressive que sous la baguette de Salonen (il s'agit pourtant des mêmes instrumentistes) avec des problèmes dans les cuivres. Bref, une déception.

Tristan est certainement un des ouvrages les plus difficiles à mettre en scène. On saura gré à Gerard Mortier d'avoir réuni des talents aussi divers que ceux de Peter Sellars et de Bill Viola pour en apporter une vision renouvelée.

Hélas, l'utilisation de la vidéo est l'exemple même de la fausse bonne idée. La faute en incombe à l'insurpassable pouvoir d'attraction de l'image. Nëoublions jamais que même la mire ou la Chaîne Parlementaire ont des spectateurs...

A moins d'être dans les premiers rangs de parterre, difficile de ne pas avoir toujours l'oeil irrésistiblement attiré vers l'écran, du moins à la première vision, même s'il ne s'y passe presque rien ; d'autant que les éclairages discrets rendent les interprètes, habillés de noir sur fond noir, pratiquement indiscernables à distance : du balcon, on a d'ailleurs l'impression d'un film muet donné en concert.

Les vidéos de Viola naviguent entre la simple illustration (la mer pendant le voyage en bateau ; une forêt pendant la chasse ; un couple marchant dans l'eau pendant le duo) et l'ésotérisme bobo-branchouille (notamment un interminable rite d'initiation "new age" qui évoque une séance d'essayage à la Foire au Slip). 

Les images les plus belles sont celles filmées au ralenti, notamment la scène finale qui évoque un Tristan Alka-Selzer montant vers le ciel au milieu des bulles : malheureusement, il s'agit pour l'essentiel de placages de vidéos antérieures (3) conçues dans un contexte totalement différent.

Sur scène, Sellars choisit l'épure : c'est d'ailleurs tellement épuré que ça ne diffère pas beaucoup d'une absence de scénographie, certains détails (tel le gros bisou du Roi Marke à Tristan (4)) étant supprimés par rapport à la première édition.

Original et bien réalisé, ce spectacle pouvait séduire à la première vision. Mais c'est oublier un peu vite que l'Opéra de Paris est un théâtre de répertoire et non un festival d'avant-garde : cette reprise un peu bâclée vient démontrer les limites d'un tel parti pris.
 
 

Placido Carreroti

 
 
 

Notes

1. Forbis sera annoncé souffrant au second entracte, mais il est peu probable que cette médiocre démonstration de chant soit le seul fait d'un mauvais rhume.

2. Et puisqu'on parle de borgnes, j'émets d'avance de sérieuses réserves sur son prochain Wotan aixois...

3. Voir par exemple le Triptyque de Nantes (1992) ou "Five Angels For The Millenium" (2001) http://www.5angels.net. La même formule sert indifféremment, dans un cas à exprimer le grand-mystère-de-la-vie-et-la-mort, et dans l'autre le Bug de l'An 2000 !

4. Sur ce point, Sellars évoque de manière assez incongrue une hypothétique relation homosexuelle entre les deux individus. L'amitié trahie (sentiment noble) laisse donc place à une banale querelle d'amants.

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