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LE MAGAZINE DE L'OPÉRA ET DU MONDE LYRIQUE

 

L'édito...
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On prend les mêmes…


Il vaut la peine de passer en revue la programmation de la saison lyrique française 2006-2007. Théâtre après théâtre s’égrène la litanie perpétuelle d’un répertoire immuable. Un petit exercice statistique nous révèlerait certainement que la moyenne d’âge des œuvres proposées avoisine les cent quatre-vingts ans. De plus en plus, les créations contemporaines sont des coups de pistolet peu audibles dans le concert funèbre qui accompagne l’opéra vers le cimetière.

Ladite moyenne augmente avec le temps par injection croissante d’opéras baroques. En notre temps, la « redécouverte » a succédé à la création. Et ce qui s’appelle création n’est souvent que la révision par un fantaisiste moderne d’oeuvrettes oubliables. Le Chanteur de Mexico est à cet égard le baobab qui cache la forêt : la France croule sous le poids de ces opérettes relookées par des animateurs culturels nourrissant des goûts de vieille fille de province, et dont Jean-Luc Choplin s’est spectaculairement auto-intronisé chef de file.

Cent quatre vingts ans, c’est pratiquement l’âge du public, dira-t-on. Toute salle d’opéra connaît ces têtes chenues sentant bon la laque et la gomme, halos indécis et tremblants luisant dans la pénombre des rangs d’orchestre.

Aussi, comment jeter la pierre à des directeurs artistiques harcelés par des municipalités toujours plus soucieuses de leur porte-monnaie, par des autorités locales ou régionales obsédées de la jauge, prêtes à saisir le moindre prétexte économique pour investir dans le stade de rugby ou le multiplex périphérique les précieux deniers jetés à perte dans le gouffre lyrique ?  (La réélection d’Alain Juppé, retour de Québec, à la mairie de Bordeaux profitera peut-être à la patinoire municipale.)

Il faut laisser aux analystes raffinés de la chose culturelle en France le soin d’élucider les motifs profonds de ce qui ressemble bel et bien à une glaciation.

La nomination politique des directeurs de théâtre, aboutissant le plus souvent à des choix burlesques, le défaut complet d’éducation musicale à l’école, le goût du clinquant entretenu par l’atroce esthétique télévisuelle, le soupçon durable pesant sur les authentiques compositeurs de notre temps, disqualifiés par les errances de la génération qui les a précédés (et qui continue de sévir), mais aussi la frilosité des amateurs éclairés, préférant entendre du Mercadante ou même un de ces opéras un peu ennuyeux de Haydn plutôt qu’une nouveauté qui leur rincerait les oreilles, et cultivant jusqu’à plus soif le goût des minores et de l’antiquaille, tout cela concourt à un gel silencieux mais certain de la création d’opéra et des maisons d’opéra en France. Que la foule des amateurs d’opéra réclame à cor et à cris le retour sur les scènes des opéras de… Meyerbeer a tout de même de quoi surprendre nos consciences amollies.

Arguments entendus mainte fois, mais qui me paraissent manquer l’essentiel.

Se promener dans les allées de la Villa d’Este, frayer parmi les herbes folles qui envahissent les ruines de l’antique Corinthe, emprunter les vastes corridors de l’Escurial ou les allées de Schönbrunn, ce n’est pas s’arracher à la fuite du temps ; c’est nourrir en nous la douce mélancolie du temps qui passe et de la fragilité des choses. Ainsi va l’opéra. Ces chants énamourés, ces costumes hors de mode, cette manière oubliée de faire sonner le sentiment : nous voici projetés dans un hier plus beau. Hier, les femmes se pâmaient ; les hommes relevaient le gant avant d’aller ferrailler le lendemain à l’aube parmi les brumes du pré ; on écrivait des sonnets ; on s’enthousiasmait pour la patrie ; les jeunes filles ne sortaient pas le soir, sauf si elles étaient enlevées par un chevalier au grand cœur ; on pouvait contempler au ciel des étoiles que ne masquait pas la pollution de l’air, et l’on attrapait une fluxion fatale qui vous emportait le jour de vos vingt-cinq ans. C’était beau, c’était bien.

L’opéra est le réceptacle de cet hier enfui. Là, et là seulement, palpite encore ce qui seul fait vraiment battre le cœur : l’amour, la passion, la haine, le désir de mort. L’Absolu, en toutes ces manifestations. L’idéologie, la philosophie conceptuelle, la dialectique, les finasseries politiques, le terrifiant quotidien n’y ont pas droit de cité.

Le répertoire est immuable, parce que l’opéra est devenu le sanctuaire de ce qui seul compte en ce bas-monde. Un théâtre n’est plus un lieu social, ni un lieu de nouveautés. Il est devenu cette maison chaleureuse et étrange où se renouent les fils d’une humanité perdue. Là s’exhale ce qui partout ailleurs est étouffé, réduit au silence, et même suspect. L’opéra est ce qui, dans les tempêtes de notre aujourd’hui instable, oppose imperturbablement ses frontons ornés et son luxe suranné. C’est dire s’il est menacé.

Ainsi, aux directeurs de théâtre qui, pour toutes les mauvaises raisons du monde, nous infligent saison après saison leur sempiternel répertoire de base, nous dirons : de grâce, Messieurs, ne changez rien.

Sylvain Fort
Rédacteur en chef

 

 
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