Maurice Ravel
un dossier proposé par Catherine Scholler
 
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Biographie
Maurice Ravel (1875-1937)

par Catherine Scholler


(Maurice Ravel)


Comme toute chose possède une origine, Maurice Ravel eut des parents, ce qui n'est pas en soi un fait extraordinaire, si ce n'est qu'ils influencèrent certains de ses goûts, lui léguèrent certaines inclinations, que l'on retrouvera dans son oeuvre.

Son père, Pierre-Joseph Ravel, était ingénieur, premier constructeur d'un "générateur à vapeur chauffé par les huiles minérales appliqué à la locomotion" (brevet n° 82263 du 2 septembre 1868). Il était lui-même né dans un petit bourg près du lac Léman, d'une famille oscillant entre France et Suisse. Esprit cultivé, il fut mis en contact avec le monde des artistes par son frère cadet Edouard, peintre reconnu.

Peu après la guerre de 1870, l'ingénieur fut appelé en Espagne pour y participer à la construction de voies ferrées. C'est à cette occasion qu'il rencontra celle qui allait devenir sa femme. Le jeune couple se maria en 1874 et s'installa quelque temps à Ciboure, port de la côte basque. C'est là que naquit Maurice Ravel, le 7 mars 1875.

De sa mère, il garda l'amour des chansons andalouses et des refrains de zarzuelas avec lesquels elle le berça dès sa naissance. De sa famille paternelle d' "horlogers suisses", il conserva une passion pour les automates, les mouvements d'horlogerie, les mécanismes délicats.

Trois mois après la naissance de Maurice, la famille Ravel s'établit définitivement à Paris. En 1878 naquit son frère cadet, Edouard. Les deux enfants étaient doués pour la musique, et encouragés par leurs parents : à l'âge de six ans, Maurice prit ainsi son premier cours de piano. En 1889, à quatorze ans, il fut admis au conservatoire, dans la classe de piano préparatoire d'Anthiome. En 1891, nanti d'une première médaille, il passa dans la classe de Charles de Bériot et s'y lia d'amitié avec Ricardo Vines, qui sera le plus fidèle interprète de ses oeuvres pour piano.

Le Ravel des années d'apprentissage apparaît comme un bon élève, travailleur mais pas bûcheur - pas le style bête à concours -, et n'ayant rien non plus d'un génie fougueux, impatient d'en découdre avec les traditions poussiéreuses, opposant plutôt à l'académisme, comme il le fera toujours, distanciation et réserve ironique.

Sa plus grande admiration allait à Chabrier, qui restera toujours pour lui un modèle. A seize ans, il imagina d'aller lui jouer les Trois valses romantiques, accompagné de Ricardo Vines. Malgré la maladie, Chabrier reçut ses jeunes admirateurs comme il savait si bien le faire, leur prodiguant conseils et encouragements bourrus. En 1895, Menuet antique fut l'hommage dédicacé de Ravel à Chabrier.

A la même époque, il fit la connaissance d'Erik Satie. Ravel, qui insista toujours sur le caractère décisif de cette rencontre, introduisit un beau jour les Gymnopédies dans la classe d'harmonie d'Emile Pessard.

En 1897, il fut admis dans la classe de contrepoint d'André Gédalge et dans celle de composition de Gabriel Fauré, qui venait à peine d'y remplacer Massenet. 
Il entama un opéra : Schéhérazade, sur un livret tiré par lui-même des Mille et une nuits, l'abandonna pour une Olympia d'après Hoffmann, de même inspiration que Coppélia de Delibes et que les Contes d'Hoffmann d'Offenbach. L'ouverture horlogère de L'heure espagnole sera tirée de la musique des roues dentées et des ressorts qui auraient accompagné l'entrée de Coppélius. 

De Schéhérazade, il ne resta que l'ouverture, jouée le 27 mai 1899, sifflée par le public et malmenée par la critique. Jamais publiée, quelques éléments en furent repris plus tard dans la seconde Schéhérazade : trois poèmes pour chant et orchestre sur des textes de Tristan Klingsor (1903) et, en particulier, le motif initial d'Asie.

1898 : Epigrammes de Clément Marot.

En 1899 il obtint son premier très grand succès avec la Pavane pour une infante défunte, qu'il orchestra en 1910, mais désavoua par la suite.

En 1901, commença "l'affaire du prix de Rome" que Vincent Deloge nous décrit par le menu. Il composa Jeux d'eau.

Son groupe d'amis proches dont faisaient partie, entre autres, Tristan Klingsor, Maurice Delage, D.E Inghelbrecht, Ricardo Vines, Florent Schmitt, André Caplet, se surnommaient eux-même "les Apaches". Ils se réunissaient régulièrement pour se présenter mutuellement leurs oeuvres, et ne manquèrent pas une seule représentation de Pelléas et Mélisande.

A quoi ressemblait le jeune Ravel ? De petite taille, et d'ailleurs complexé par celle-ci, sec et menu, les joues creuses, les lèvres minces, les yeux noirs, brillants et rapprochés, très brun, les sourcils fournis, il portait des favoris, s'habillait à la mode et avait tout du dandy : la froideur élégante, l'horreur de la trivialité et du sentimentalisme, l'ironie discrète, la fierté réservée, qui pouvaient passer pour du dédain. Ne dira-t-il pas de lui-même : "je suis artificiel par nature" ?

Même si ce coté dandy passa avec les années, il resta toujours coquet, soigné et attentif à la mode, d'une élégance sobre et recherchée. Ses favoris seront remplacés d'abord par une moustache, puis par une barbe en pointe, qui deviendra carrée, puis définitivement rasée en 1910, ses cheveux grisonneront avec la quarantaine et blanchiront après 1930, mais sa toilette restera toujours raffinée.

Ses amis le décrivent comme fidèle, désintéressé, franc, courtois, réservé, voire secret, à la fois très sociable et peu communicatif. Incapable d'envie, il était insensible à l'échec comme indifférent au succès. Seule sa musique comptait, et non pas la célébrité qu'elle pouvait lui apporter.

En trois ans, de 1905 à 1908, il traversa une période de fécondité intense et composa une part importante de son oeuvre : Sonatine, Miroirs, Histoires Naturelles, Rapsodie Espagnole, Cinq mélodies populaires grecques, L'heure espagnole, Gaspard de la nuit, Ma mère l'Oye...

En 1906, il démarra un nouveau projet d'opéra : La cloche engloutie, délaissée pour d'autres travaux, remise en chantier puis définitivement abandonnée en 1914, mais dont des éléments seront repris dans L'enfant et les sortilèges (thème de l'arbre, choeur des grenouilles).

La première audition de la Rapsodie Espagnole eut lieu le 28 mars 1908 au Châtelet, par l'orchestre Colonne. Des demandes de bis venues des troisièmes balcons vinrent saluer la "Malaguena", qui furent suivies de murmures ironiques des fauteuils d'orchestre. C'est alors que la voix tonitruante de Florent Schmitt s'éleva du poulailler, demandant qu'on joue "encore une fois, pour ceux d'en bas qui n'avaient pas compris" !

En 1907, commença la composition de L'heure espagnole, qui ne fut donnée qu'en 1911, sans que son père, décédé le 13 octobre 1908, puisse l'entendre (voir article).

En 1909, Diaghilev lui présenta Stravinsky et lui passa commande d'une musique de danse pour les ballets russes : ce sera Daphnis et Chloé, créé en 1912.

En 1910, un groupe de compositeurs, dont Ravel, fonda la SMI, Société Musicale Indépendante, qui donna entre autres les Valses nobles et sentimentales en 1911.

En 1913, année de la composition des Trois poèmes de Stéphane Mallarmé, il habitait avec son frère et sa mère avenue Carnot, près de l'étoile. Trop menu et de nature fragile, il avait été exempté de service militaire, mais il songea cependant à rejoindre l'armée dès la mobilisation, malgré les objurgations de sa famille et de ses amis. Il multiplia les démarches pour entrer dans l'aviation, sans succès. En désespoir de cause, le 14 mars 1916, il s'engagea comme conducteur au service des convois automobiles du train. On l'envoya du coté de Verdun, où il prit part à la grande offensive. 

Un congé de convalescence le ramena à Paris où il assista aux derniers jours de sa mère, le 5 janvier 1917. Sa peine fut immense. Il souffrit dès lors d'insomnie et de neurasthénie.

1916 marqua le début de la composition de l'Enfant et les sortilèges (voir l'article de Jean-Christophe Henry).

En 1917, le Tombeau de Couperin dédia chacune de ses six pièces à la mémoire d'un ami tombé au front.

Le 16 janvier 1921, les journaux publièrent la liste des nominations à la légion d'honneur, dans laquelle figurait, sans son accord, le nom de Maurice Ravel, qui créa un mini-scandale en refusant la distinction par télégramme.

1920 : La valse.
Il s'installa au Belvédère, à Montfort-l'Amaury . C'est dans cette petite maison bien tenue qu'il donna la pleine mesure de son enthousiasme pour les jouets, les automates, les objets d'époque Louis-Philippe : sa maison était remplie de bibelots minuscules, de merveilles authentiques autant que de colifichets sans valeur, une collection hétéroclite de rossignols mécaniques, de voiliers tanguant sur des vagues de papier peint, de fleurs en verre filé qu'il faisait longuement admirer à ses invités. La maison comprenait même un salon japonais qui s'ouvrait sur un jardin du même style. Ses intimes rivalisaient d'ingéniosité pour nourrir cette passion, et lui offrir le dernier "gadget" rare.


(crédit photo : Musée Maurice Ravel à Mont-l'Amaury)

En 1922 il orchestra les Tableaux d'une exposition de Moussorgski. En 1923, il rencontra Béla Bartok, sous l'influence duquel il composa Tzigane en 1924.

En 1925, il clame haut et fort son anticolonialisme, avec les Chansons madécasses.

1927 : sonate pour violon et piano.

1928 : Boléro.

En 1931, il composa le Concerto en sol pour piano et orchestre et le Concerto pour la main gauche pour le pianiste viennois Wittgenstein que la guerre avait privé de son bras droit. 

En 1932, une firme cinématographique proposa simultanément à Manuel de Falla, Maurice Ravel, Darius Milhaud, Jacques Ibert et Marcel Delannoy de composer la musique d'un film sur Don Quichotte avec Chaliapine pour vedette. Ce fut avec ces Chansons de Don Quichotte à Dulcinée que Ravel prit à jamais congé de la musique. 

Il était nourrissait pourtant de nombreux projets, dont une Jeanne d'Arc, mais les premiers symptômes de la maladie commencèrent à se manifester. Vers la mi-33, il éprouva de plus en plus souvent une gêne inexplicable à écrire. Excellent nageur, il s'aperçut en se baignant à Saint-Jean-de-Luz qu'il était incapable d'exécuter certains mouvements. Sur l'avis de ses médecins, il partit se reposer à la montagne, sans résultat. On le vit de plus en plus soucieux, comme figé. Certains gestes, certains mots ne répondaient plus à sa volonté, sans que ses facultés intellectuelles en soient altérées. 

Les médecins diagnostiquèrent finalement une maladie cérébrale congénitale qui le paralysait peu à peu et lui rendait la parole difficile. Il sentit progressivement l'ombre l'envahir, se plaignait de "vivre dans le brouillard". On tenta divers traitements, sans succès. Ses amis, son frère tentèrent de le distraire, de le faire voyager.

En 1935, il partit pour l'Espagne et le Maroc. Cela ne retarda pas l'évolution de la maladie, le brouillard s'épaissit. Il y faisait front avec un courage muet. 
En désespoir de cause, une opération fut tentée à sa demande expresse, dont le seul résultat fut de précipiter la fin. Le lundi 27 décembre 1937, il entra doucement en agonie et s'éteignit sans souffrance au petit matin du 28.

L'enterrement eu lieu le jeudi 30, en présence d'une foule nombreuse, célébrités et anonymes confondus. Il repose au cimetière de Levallois, auprès de ses parents qu'il aimait tant.
 

Catherine Scholler
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