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Un jour, une création : 11 février 1840, un régiment de polémiques

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11 février 2020
Un jour, une création : 11 février 1840, un régiment de polémiques

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Capitale du monde lyrique dans ces années 1830-1840, Paris accueille de nombreux compositeurs en vue pour alimenter l’imposant calendrier des spectacles qui s’y déroulent. C’est ainsi que Donizetti choisit la capitale française pour s’établir après une longue période napolitaine jalonnée de succès publics, de cache-cache avec la redoutable censure du roi de Naples  et de drames personnels (il perd sa femme en 1837). Paris lui offre de très bonnes perspectives puisqu’un contrat avec l’Opéra lui demande 2 œuvres nouvelles et l’adaptation en français de sa Lucia di Lammermoor. Pour ne pas être en reste avec l’un des principaux compositeurs lyriques du moment, à la suite de la mort de Bellini en 1835 et du fait du retrait de Rossini de la scène, l’Opéra-Comique passe lui aussi une commande et lui propose un livret de Vernoy de Saint-Georges et Bayard, La fille du régiment. Livret des plus loufoques et totalement invraisemblable, comme il se doit. Donizetti doit faire vite, car au même moment, il reçoit une autre commande, du Théâtre de la Renaissance cette fois, pour ce qui sera l’Ange de Nisida (qui deviendra La favorite) et qu’il prépare Les Martyrs à l’Opéra. Mais le compositeur sait faire, lui qui a déjà plusieurs dizaines d’opéras à son actif alors qu’il a à peine 43 ans. Dès le mois de décembre 1839, les répétitions peuvent commencer à la salle de la Bourse, où l’Opéra-Comique a élu provisoirement domicile – entre autres salles itinérantes – à la suite du premier des 2 incendies de la salle Favart.

La création, voici 180 ans, ne rencontre pas vraiment le succès. Les interprètes savonnent à peu près tout et surtout, Donizetti doit faire face depuis plusieurs semaines à une véritable guérilla dans la presse. Le plus violent, parmi les critiques à la fois de l’œuvre et du compositeur, est sans doute Hector Berlioz, qui bombarde son collègue italien au canon de siège. Difficile de ne pas voir dans l’article féroce qu’il publie dans le journal des débats du 16 février 1840 une forme de jalousie vis-à-vis de celui qui représente l’opéra italien en pleine gloire alors que le bouillant Hector ne s’est pas encore remis du four complet de son Benvenuto Cellini (surnommé Malvenuto par la presse) 18 mois plus tôt. Mais il n’empêche, son article fait mouche sur un Donizetti piqué au vif, et qui lui répondra.

Après avoir décrit – non sans ironie – le livret,  Berlioz lance l’attaque : « La musique de cette pièce a déjà été entendue en Italie, du moins en grande partie ; c’est celle d’un petit opéra imité ou traduit du Châlet de M. Adam, et au succès duquel M. Donizetti n’attachait probablement qu’une très mince importance. C’est une de ces choses comme on en peut écrire deux douzaines par an, quand on a la tête meublée et la main légère. (…) Lorsqu’on est sur le point de produire une œuvre écrite per la fama (ndr : la célébrité, le prestige), comme disent les compatriotes de M. Donizetti, il faut bien se garder de montrer un pasticcio esquissé per la fame (ndr : la faim). (…)   La partition de la Fille du Régiment est donc tout-à-fait de celles que ni l’auteur ni le public ne prennent au sérieux. Il y a de l’harmonie, de la mélodie, des effets de rythme, des combinaisons instrumentales et vocales ; c’est de la musique, si l’on veut, mais non pas de la musique nouvelle. L’orchestre se consume en bruits inutiles, les réminiscences les plus hétérogènes se heurtent dans la même scène, on retrouve le style de M. Adam côte à côte avec celui de M. Meyerbeer. Ce qu’il y a de mieux, à mon sens, ce sont les morceaux que M. Donizetti a ajoutés à sa partition italienne, pour la faire passer sur le théâtre de l’Opéra-Comique. La petite valse qui sert d’entr’acte, et le trio dialogué dont on avait parlé avant la représentation, sont de ce nombre ; ils ne manquent ni de vivacité ni de fraîcheur. Le final du premier acte n’a pas une forme bien arrêtée ; on y cherche vainement une intention saillante. Une phrase du rôle de Marie, au second, est bien jetée, le dessin en est élégant. Je ne dirai rien de l’ouverture. »

Puis Berlioz explose face à ce qu’il considère comme une omniprésence insupportable de Donizetti sur les scènes parisiennes :

    « Quoi, deux grandes partitions à l’Opéra, les Martyrs et le Duc d’Albe ! deux autres à la Renaissance, Lucie de Lammermoor et l’Ange de Nisida ! deux à l’Opéra-Comique, la Fille du Régiment et une autre dont le titre n’est pas connu, et encore une autre pour le Théâtre-Italien, auront été écrites ou transcrites en un an par le même auteur ! M. Donizetti a l’air de nous traiter en pays conquis, c’est une véritable guerre d’invasion. On ne peut plus dire : les théâtres lyriques de Paris, mais seulement les théâtres lyriques de M. Donizetti. Jamais, aux jours de sa plus grande vogue, l’auteur de Guillaume Tell, de Tancrède et d’Otello n’osa montrer une ambition pareille. Il ne manquait pas de facilité cependant, et il avait aussi ses cartons bien garnis ! Pourtant, pendant toute la durée de son séjour en France, il n’a donné que quatre ouvrages et sur le seul théâtre de l’Opéra ; Meyerbeer en dix ans n’en a produit que deux ; Gluck, en mourant, à un âge assez avancé, ne légua à notre premier théâtre que six grandes partitions, fruits du travail de toute sa vie. Il est vrai qu’elles dureront longtemps (…). » Fermez le ban.  

La presse est dans l’ensemble à l’avenant. On accuse généralement l’auteur italien d’avoir copieusement recyclé ses œuvres, voire comme Berlioz d’avoir plagié Adolphe Adam, ce que l’intéressé dément dans un article du Moniteur universel  du 18 février, ciblé contre Berlioz :

« Monsieur,

Un article publié aujourd’hui dans un feuilleton de votre estimable journal à propos de la représentation de La Fille du régiment au théâtre de l’Opéra-Comique, contient une erreur aussi grave que singulière et qu’il est de mon honneur comme de mon devoir de relever. L’auteur du feuilleton ne craint pas d’avancer que ma partition a « déjà été entendue en Italie, du moins en partie, est que c’est celle d’un petit opéra imité ou traduit du Chalet de M. Adam.

Si M. Berlioz, qui place avec raison la conscience au rang des premiers devoirs de l’artiste, avait pris la peine d’ouvrir ma partition de Betly, dont le poème est en effet une traduction du Chalet, partition qui a été gravée et publiée à Paris (…), il se serait assuré que les deux opéras qu’il cite n’ont aucun morceau commun entre eux. Qu’il me soit permis d’affirmer à mon tour que les morceaux qui composent La Fille du régiment sont tous écrits exprès pour le théâtre de l’Opéra-Comique et que pas un d’eux n’a figuré dans une partition quelconque.

Je dois me borner, M. le rédacteur, à relever cette erreur matérielle, sur laquelle repose du reste tout l’article de M. Berlioz ; et j’ai la confiance que votre haute impartialité ne refusera pas d’admettre cette rectification ».

Berlioz répondra à nouveau quelques jours plus tard en contestant cette version, mais clôturera la querelle en soulignant les beautés des Martyrs alors en cours de répétition à l’Opéra.

Entretemps, l’histoire et le public ont jugé. La Fille du régiment ne quittera plus l’affiche, jusqu’à la production triomphale de Laurent Pelly voici quelques années. Une traduction italienne ne tardera pas non plus à être adaptée et bien que la rigueur historique devrait amener votre serviteur à vous proposer la version originale en français pour fêter ces 180 ans, l’adieu à la merveilleuse Mirella Freni me conduit à vous proposer l’air de Marie « Il faut partir » dans sa version italienne : « Convien partir », à Milan le 11 février 1969. Heureux hasard, c’était le 129ème anniversaire de la création et elle y chantait aux côtés de son cher frère de lait, Luciano Pavarotti, qu’on entend également ici.

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