Forum Opéra

PURCELL, Dido & Aeneas

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
CDSWAG
22 août 2025
Sublime DiDonato !

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Henry Purcell (1659-1695)

Dido & Aeneas z.626
Opéra en un prologue et trois actes
Livret de Nahum Tate (1652-1715)
Créé en 1687 ou 1688 à la Boarding School for young Ladies de Chelsea, Londres

Détails

Dido

Joyce DiDonato, mezzo-soprano

Æneas

Michael Spyres, baritenor
Belinda

Fatma Saïd, soprano
Second woman

Carlotta Colombo, soprano
A spirit
Hugh Cutting, contre-ténor
Sorceress

Beth Taylor, mezzo-soprano
First Witch

Alena Dantcheva, soprano
Second Witch

Anna Piroli, soprano
A sailor

Laurence Kilsby, ténor


Coro Il Pomo d’Oro
Maestro del coro

Giuseppe Maletto

Orchestra Il Pomo d’Oro
Clavecin et direction

Maxim Emelyanychev

Enregistré à la Philharmonie Essen
 Alfried Krupp Saal
16-18 février 2024
Prise de son 

Nicolas Bartholomée (Little Tribeca)

CD Erato/Warner Classics

Durée 52’43
Parution le 22 août 2024


Pour illustrer la pochette du disque, on a choisi le visage de Joyce DiDonato, et ce n’est que justice tant son incarnation de la Reine de Carthage est splendide. Et le nom de Michael Spyres, prince troyen de grand luxe, s’inscrit en grands caractères, ce qui se comprend aisément. En revanche on aurait aimé que fût mieux mis en valeur celui de Maxim Emelyanychev, tant la réussite de cet enregistrement de l’opéra de Purcell lui revient au premier chef.

Joyce DiDonato et Maxim Emelyanychev © Alfonso Salgueiro

Une captation faite en public à la Philharmonie Essen en guise de bouquet final d’une tournée, qui passa notamment par le Barbican Center de Londres et le Théâtre des Champs-Elysées dans un programme où Didon et Énée était couplé avec le Jephté de Carissimi (et le ténor des deux œuvres était alors Andrew Staples).

Si Joyce DiDonato avait depuis longtemps à son répertoire de récital la Mort de Didon, c’est la première fois qu’elle chantait l’opéra entier. Et pouvait donner toutes les couleurs d’un rôle qui n’est pas que douleur. Et retrouver un personnage qu’elle incarna, d’ailleurs déjà avec l’Enée de Michael Spyres, dans de mémorables Troyens…

Spyres et DiDonato à l’époque des Troyens © D.R.

Le très bref opéra de Purcell, le premier en langue anglaise, est d’une efficacité magnifique, si bref soit-il. Le livret de Nahum Tate prévoyait force danses de Nymphes et Tritons, ce qui d’ailleurs l’aurait fait ressembler à ces masques dont l’Angleterre faisait ses délices. Mais Purcell tailla hardiment pour aller au plus court et au plus expressif.

En cela convaincu que c’était l’Italie qu’il fallait imiter, celle des opéras de Cavalli, et non pas ces opéras à la française dont il écrivait pis que pendre : « L’humeur de nos compatriotes devrait, et il ne serait guère trop tôt, commencer à être dégoûtée de la légèreté et des fadaises (balladry) de nos voisins [français] ».

Les nerfs à vif

Rien de plus révélateur que de comparer deux interprétations sous l’étiquette Erato : celle de Raymond Leppard en 1977 qui fit référence, avec déjà une merveilleuse chanteuse américaine (Tatiana Troyanos, bouleversante) et celle-ci… On a le sentiment qu’on a changé de voltage, qu’on est passé du 110 au 220 volts.

Il Pomo d’Oro sous la direction de Maxim Emelyanychev © D.R.

Maxim Emelyanychev électrise ses troupes, ose des contrastes insolents, accentue le pittoresque de certaines scènes d’un grinçant très shakespearien (la scène de la Magicienne et des Sorcières), rend sensible le piège fatal où tombe Didon, accentue encore la prestesse, la fulgurance de ce scénario : Purcell ne s’installe jamais, n’étire jamais les mélodies, change les climats, n’éternise pas les épisodes dansés, joue sans cesse des contrastes de sentiments. S’inscrivant sans doute dans l’esprit de la théorie des humeurs, qui faisait encore florès.

Et le jeune chef russe, bouillonnant d’énergie et les nerfs à vif, lui emboite le pas. D’où la théâtralité vibrante de cette exécution, un caractère d’urgence, une palpitation de vie.

Fleur de peau

L’ouverture annonce d’emblée la couleur : un andante intense où les archets semblent figurer déjà la douleur de Didon, puis un allegro frémissant comme ses sentiments à fleur de peau : « Je languirai tant que ma peine restera secrète et pourtant je voudrais que nul ne la devine ».
C’est ce qu’elle chante dans son air d’entrée, « Ah ! Belinda, i am press’d », en ut mineur, premier sommet de la partition, où, accompagnée du théorbe et de la viole de gambe, DiDonato est magnifique d’introspection, de legato, de nuances, filant les longues lignes de cette cantilène, où la mélodie semble errer sur une basse imperturbable, puis explose comme en un cri sur « yet would », avant que les reprises de la phrase ne s’allègent chaque fois davantage, la voix se faisant diaphane, jusqu’à une fin morendo, où l’ensemble des cordes vient la soutenir. Un air qui est tout entier prémonition de son lamento final.

Joyce DiDonato © D.R.

En contraste avec cette mélancolie sublime, Belinda n’est que fraîcheur, vivacité, juvénilité, personnifiée par la voix limpide de Fatma Said, idéale dans ce rôle. Son duetto bondissant et dansant, « Fear non danger to ensue », avec son alter ego, la confidente (Carlotta Colombo, aux qualités vocales semblables), est d’une légèreté délicieuse, après le douloureux récitatif « Whence could so much – Mine with storms », où DiDonato, alternant canto spianato et vocalises virtuoses, transcende la technique pour n’être que désarroi et détresse. Purcell semble là s’inscrire dans la ligne des madrigalistes et de Monteverdi, tant il exprime de sentiments, d’affetti, en si peu de temps.

Spyres superbe dans le plus succinct de ses rôles

Michael Spyres est évidement le plus virilement séduisant des princes troyens. Indiqué comme « baritenor », il se montre à vrai dire ici beaucoup plus bari que ténor… Mais il est surtout d’une noblesse de timbre et de phrasé à faire fondre la plus chaste des reines. Belinda qui la connaît bien observe que « Her eyes confess the flame her tongue denies – Ses yeux trahissent la flamme que nient ses lèvres »… Purcell suggère ce trouble dans une mélodie brévissime, pétillante et irrésistible, « Pursue thy conquest, Love », qui par tout autre compositeur aurait été développée à n’en plus finir et qui chez lui passe comme un zéphyr désinvolte. Fatma Said y rayonne d’esprit.

Fatma Said et Joyce DiDonato © D.R.

Humeurs shakespeariennes

La nature toute entière, sous le charme de l’idylle du prince et de la reine, la célèbrera avec effusion par les voix des choristes d’Il Pomo d’Oro, radieux dans l’élégie amoureuse de « To the hills and the vales ».
À laquelle, par la loi des contrastes et du théâtre, succèdera la terribilità du tableau de la magicienne, cette âme noire dont découlera toute la suite de l’histoire. Emelyanychev ne lésine pas sur les effets sonores de plaque à tonnerre, de machine à vent, et de stridences en tout genre, pour suggérer la grotte où elle rumine sa détestation des gens heureux.
Dans une imprécation, dont le fa mineur signe la noirceur infernale, le mezzo Beth Taylor y distille sa vindicte avec autant d’ampleur que de verve, tandis que ses acolytes sorcières (Alena Dantcheva et Anna Piroli) grincent à loisir. On pense à Macbeth bien sûr. Mais très vite elles vont passer de la caricature à une nouvelle page exquise, le duetto de la malveillance, « To mar their hunting sport », aussi musical dans le registre drolatique et aigrelet que l’était « Pursue thy conquest, Love » de Belinda dans celui de l’amour.
Le chœur, lui, sera aussi convaincant dans l’humeur sardonique qu’il l’était dans l’élégiaque.
Et l’orchestre, sous la baguette piquante et hypervitaminée du jeune Russe, s’amusera des rythmes syncopés de la danse triomphale autant que des effets d’écho de la danse des Furies.

La Magicienne (Beth Taylor au centre) et les sorcières © D.R.

Aux airs les passions de l’âme

C’est à un Esprit, son âme damnée, auquel elle fera revêtir l’aspect de Mercure, que la Magicienne confiera la tâche de précipiter le départ d’Énée vers l’Italie, où il fondera Rome. Ces moments de pure action, Purcell les écrit en recitativo, réservant les arie à l’expression des passions de l’âme. À l’injonction de l’Esprit (une voix de contre-ténor, Hugh Cutting, sur des tenues d’orgue pour en souligner le surnaturel), Énée ne peut répondre que par une sombre méditation. Seule sa vocalise finale sur « Yours be the blame, ye gods ! For I obey your will, but with more ease could die – Soyez maudits, ô Dieux ! Je me plie à votre volonté, mais j’eusse préféré mourir » indiquera son trouble, rare moment de faiblesse autorisé à un Héros. À nouveau Michael Spyres y est magnifique de ligne et de gravité, dans sans doute le plus succinct de ses rôles…

Entre danses de marins et danses de sorcières, la première scène du troisième acte fait évidemment le bonheur d’Emelyanychev. Tout cela est à la fois bondissant, acidulé, savoureux, insolent (le « Come away » du sailor, Laurence Kilsby), truculent (le « Our next motion » de la Magicienne). Cette espièglerie débridée n’étant là que pour mieux faire contraste avec les déchirantes scènes finales.

Joyce DiDonato et Maxim Emelyanychev © D.R.

Sublime déréliction

DiDonato est d’abord sublime de douleur dans son lamento «To Earth and Heav’n I will complain ! » avant de monter à des sommets fracassants de violence dans son récitatif di furore « Thus, on the fatal banks of Nille ». Abasourdi, le pauvre Énée ploie sous l’orage, s’offre à désobéir aux Dieux et à rester… Les « Away, away – Partez, partez » de Didon sont sans doute les plus cinglants de toute la discographie du rôle…

Génie et fulgurance de Purcell qui sitôt le Prince sorti fera plonger la Reine dans la déréliction la plus dépouillée, la plus éperdue, dans le récitatif « Thy hand, Belinda » sur quelques seules notes de théorbe, où DiDonato est d’une sincérité, d’une solitude bouleversantes.
Comme elle le sera dans son ultime plainte, « When i am laid in earth », musicalement la plus simple qui soit : une simple mélodie posée sur une basse obstinée, et ces « Remember me», qui se répètent et qui s’estompent puis s’effacent à mesure que Didon s’enfonce dans la mort.

Joyce DiDonato y est au-delà du beau chant (évidemment splendide, au sommet de son art). Elle y est admirable de pudeur, d’intériorité, de désespoir, de grandeur, d’abandon.

Ajoutons que la déploration finale du chœur se hissera sur les mêmes sommets. Il faudrait dire la transparence des voix de sopranos ou la manière dont Emeyanychev fait respirer cette page, en varie avec délicatesse les accents, mais on se bornera à dire de quelle émotion sont la compassion et l’apaisement qui se donnent à entendre là.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.
Purcell-Dido-aeneas

Note ForumOpera.com

5

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

Note des lecteurs

()

Votre note

/5 ( avis)

Aucun vote actuellement

Infos sur l’œuvre

Henry Purcell (1659-1695)

Dido & Aeneas z.626
Opéra en un prologue et trois actes
Livret de Nahum Tate (1652-1715)
Créé en 1687 ou 1688 à la Boarding School for young Ladies de Chelsea, Londres

Détails

Dido

Joyce DiDonato, mezzo-soprano

Æneas

Michael Spyres, baritenor
Belinda

Fatma Saïd, soprano
Second woman

Carlotta Colombo, soprano
A spirit
Hugh Cutting, contre-ténor
Sorceress

Beth Taylor, mezzo-soprano
First Witch

Alena Dantcheva, soprano
Second Witch

Anna Piroli, soprano
A sailor

Laurence Kilsby, ténor


Coro Il Pomo d’Oro
Maestro del coro

Giuseppe Maletto

Orchestra Il Pomo d’Oro
Clavecin et direction

Maxim Emelyanychev

Enregistré à la Philharmonie Essen
 Alfried Krupp Saal
16-18 février 2024
Prise de son 

Nicolas Bartholomée (Little Tribeca)

CD Erato/Warner Classics

Durée 52’43
Parution le 22 août 2024


Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Sublime DiDonato !
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Franchise et exigence
Peter EÖTVÖS, Fausto ROMITELLI, Zad MOULTAKA
Livre
Sombre et rouge comme une grenade ouverte
Etienne DUPUIS, Nicole CAR, Clémentine MARGAINE
CD