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5 décembre 1791 : Mozart passe de la vie à la légende

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Actualité
5 décembre 2021
5 décembre 1791 : Mozart passe de la vie à la légende

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Après des années de labeur acharné qui n’ont pas évité à ce panier percé de sombrer dans une situation matérielle déplorable, Mozart est usé. Les derniers mois ont été exténuants. Deux opéras, La Clémence de Titus et la Flûte enchantée lui ont valu bien des efforts mais aussi bien des compliments et la Flûte un vrai grand succès populaire. Le vent tournerait-il enfin favorablement ? 

Le 19 novembre 1791 est un jour gris et froid, à Vienne. Kärtnerstrasse, les salles animées de la brasserie du Serpent d’argent voit entrer un Mozart, pâle et négligé. Il y a ses habitudes et y retrouve le tenancier, son ami Joseph Deiner. Il ne va pas bien et semble épuisé. Il commande du vin et reste un long moment sans y toucher, comme frappé d’atonie. Reprenant ses esprits, il aperçoit Deiner, venu à sa rencontre dans salle au fond du restaurant. Ils parlent de sa santé et Mozart évoque un « froid [qu’il] ne peut expliquer ». Il dit d’un air sombre et assuré que c’en est bientôt fini de la musique. Il glisse une pièce au garçon venu lui porter le vin, le boit enfin et quitte la brasserie, après avoir convenu avec Deiner que ce dernier viendrait lui apporter du bois de chauffage le lendemain. Arrivé chez lui à grand peine, il s’effondre sur son lit et sa femme, Constance, envoie la servante chercher le médecin. Au petit matin, Deiner vient comme prévu chez les Mozart, 970 Rauhensteingasse. La servante lui raconte la nuit que tous viennent de passer. Invité par Constance à entrer dans la chambre de Mozart, qui ouvre les yeux et lui dit « Joseph, il n’y a rien à faire aujourd’hui. Nous avons affaire à docteurs et apothicaires ».

Le docteur, justement, s’appelle Klosset. Il juge l’état du compositeur assez grave et soupçonne une infection rénale. Sophie Weber, la sœur de Constance qui se trouve là elle aussi, décide de confectionner une robe de chambre pour réchauffer le malade en vue de sa convalescence, à laquelle, bien évidemment, tous croient. Mozart reprend même quelques couleurs et plaisante. Mais le mal reprend de plus belle. Inquiet, Klosset fait venir un confrère de l’hôpital général de Vienne, le docteur Sallaba. Ce dernier rend visite à Mozart le 28 novembre et déclare le malade perdu. Fataliste, Mozart regrette amèrement de devoir quitter le monde alors qu’il pouvait enfin vivre de l’art qu’il avait envie de produire et non plus des seules commandes ou des modes. Il plaint surtout sa famille et en particulier ses jeunes enfants.

C’est alors qu’il pense à nouveau à cette commande si étrange qui lui avait été passée au mois de juillet précédent, venue d’un aristocrate bien identifié aujourd’hui, le comte Walsegg, et qui voulait une messe de Requiem pour sa femme, payée d’avance et dont l’auteur devait rester anonyme. Mozart l’a commencée mais il ne l’a pas encore terminée, loin s’en faut. Pendant, ce temps, la Flûte enchantée poursuit son triomphe au Freihaustheater, on vient de dépasser la centième représentation. Sur son lit, Mozart y pense d’ailleurs bien davantage qu’au Requiem. Il dit qu’il aimerait bien l’entendre encore une fois et le Kapellmeister Roser, venu lui rendre visite, lui chante l’air de Papageno, en s’accompagnant du pianoforte de Mozart. 

Constance s’affole. Le 3, son mari semble mieux, mais la journée du 4 est affreuse. Elle supplie sa sœur Sophie d’aller chercher les prêtres de l’église Saint-Pierre, voisine. Mais la jeune femme aura bien du mal à les convaincre de venir donner les derniers sacrements à un franc-maçon, excommunié par principe par le pape. Elle reviendra donc seule. La nuit est tombée, le 4 au soir. Mozart reçoit son élève Süssmayr, qu’il a envoyé chercher. Il est assis sur le lit, près de Mozart, qui lui indique ce qu’il doit faire pour terminer la partition, dont il répétait qu’il avait toujours senti qu’il allait l’écrire pour lui-même.
Il est donc à peu près certain que, contrairement à la légende, il n’a pas vraiment continué à composer la partition pendant ses derniers jours et encore moins avec Salieri comme le montre Milos Forman dans Amadeus.
On connait la partition manuscrite de la main de Mozart, terriblement poignante, qui s’arrête un peu après le début du Lacrimosa. Et puis plus rien. Ses élèves, et notamment Süssmayr, termineront l’ouvrage tel qu’on le connaît aujourd’hui, objet depuis de nombreuses critiques, et avant que de tout aussi nombreuses tentatives de restitution d’une partition plus « authentique » à partir des esquisses n’aient lieu.

Sur son lit de douleur, Mozart attend maintenant la mort. Autour de lui, tout le monde s’agite. On fait chercher le docteur Klosset, qui est au théâtre et promet qu’il viendra, mais seulement sitôt la représentation terminée, ce qu’il fait. Arrivé chez les Mozart, il voit que tout est bientôt fini. Pour tenter de faire baisser la fièvre intense de Mozart, il demande à Constance et Sophie de faire des compresses froides qu’il place sur le front du malade, qui est pris soudain de secousses. Sophie se souviendra qu’il lui avait semblé qu’il imitait les timbales du Requiem à la fin du Kyrie. À minuit, il se redresse, puis penche sa tête contre le mur près du lit et semble de rendormir. À minuit et cinquante minutes, l’un des plus grands génies de l’Histoire de la musique n’est plus. Il n’avait pas 36 ans.

Presque sans un sou (quelques centaines de florins tout au plus), la famille doit organiser les funérailles sans pouvoir compter sur l’un des premiers visiteurs post mortem, le baron van Swieten, lui-même très riche mais qui prescrit un enterrement pour indigent, de 3e classe, pour à peine 11 florins, catafalque compris. Pas de tombe à ce prix là, ce sera la fosse commune, en fait une tombe creusée pour une quinzaine de dépouilles. Il ne s’agit pas là d’une exception, puisque nombre de funérailles se déroulaient selon le même rituel dans la Vienne de la fin du siècle des Lumières.

L’enterrement, en effet assez furtif comme l’évoque le film de Forman, a lieu dans l’après midi du 6, cimetière Saint-Marx, hors de la ville. Constance n’y  assiste pas. Il y a là Joseph Deiner, Süssmayr, le baron van Swieten ( à qui l’on doit donc de ne pas avoir de véritable tombe où se recueillir à la mémoire de Mozart ), le Kapellmeister Roser, un violoncelliste, deux beaux-frères de Mozart, quelques acteurs de la troupes de Schikaneder – coauteur de la Flûte, qui n’est pas là lui-même ; 3 femmes, dont on ignore l’identité, peut-être ses deux belles-sœurs et une autre. On trouve aussi… Salieri, très étonnamment.

Il fait très mauvais, une tempête se déchaine sur Vienne. Le cortège ne parvient donc pas à suivre la dépouille jusqu’à la fosse commune et court se réchauffer chez Deiner. Les employés des pompes funèbres jetteront seuls le corps de Mozart dans la fosse. Le lendemain, Deiner demande à Constance de faire placer une croix sur l’emplacement, mais la veuve ne s’en soucie guère. Pas plus qu’elle ne gardera pour l’avenir le masque mortuaire de son mari : dans la funeste nuit, le comte Deym, venu à la suite de van Swieten, avait fait un moulage du visage du défunt, dont il avait laissé le plâtre à Constance, qui le cassera quelques années plus tard et le jettera. Personne n’en a fait le moindre dessin et on n’en voit aujourd’hui qu’une reproduction présumée dans le musée abrité par sa dernière maison… Tout le monde semble donc oublier bien vite. 

Tout le monde ? Pas tout à fait. Restent les (vrais) amis, bien sûr, mais aussi les musiciens. Alors qu’il se trouve à Londres, Haydn apprend la mort de Mozart, auquel le liait une véritable tendresse. Il est stupéfait et refuse d’y croire. Puis il écrit à un ami : « J’ai été longtemps hors de moi par la mort de Mozart. Je ne pouvais croire que la Providence ait rappelé si tôt dans l’autre monde un homme irremplaçable (…) ». Un an plus tard, le jeune Beethoven, 21 ans, quitte Bonn pour Vienne, où il vivra jusqu’à sa mort. Ses meilleurs soutiens lui écrivent des lettres lors de son départ et parmi eux le comte Waldstein, qui lui écrit un mot resté célèbre: 
« Mon cher Beethoven, 
Vous allez à Vienne pour réaliser un souhait longtemps exprimé : le génie de Mozart est encore en deuil et pleure la mort de son disciple. En l’inépuisable Haydn, il trouve un refuge, mais non une occupation ; par lui, il désire encore s’unir à quelqu’un. Par une application incessante, recevez des mains de Haydn, l’esprit de Mozart.
Bonn, le 29 octobre 1792,
Votre ami Waldstein »

Il y a 30 ans, dans la cathédrale Saint-Etienne de Vienne, Georg Solti dirigeait le concert du bicentenaire. En voici un extrait dont la musique est bien de la main de Mozart, avec l’Introït et le Kyrie du Requiem. Une manière de commémorer une mort opératique qui inspirera tant de fantasmes et de rumeurs, dont on ne sait que trop qu’elles séduisent toujours plus les foules que la vérité dans sa crudité froide et nue. Comme la mort.

 

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