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Nicolas Courjal : « Je suis un bosseur pas téméraire »

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Interview
19 mars 2015

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Présenté comme « la basse du moment », Nicolas Courjal chantera pour la première fois le roi Marke dans Tristan und Isolde à Bordeaux, du 26 mars au 7 avril prochains (plus d’informations).


Etre basse, pour un chanteur, est-ce une fatalité ou une opportunité ?

C’est un peu une fatalité parce que le monde lyrique est fait de telle sorte qu’effectivement les gens sont naturellement moins attirés par les voix de basse. Mais c’est aussi l’opportunité de mettre en avant un superbe répertoire et c’est une tessiture qui convient à ma nature. Je n’aurais pas pu vivre à cent à l’heure comme d’autres chanteurs dans d’autres tessitures sont obligés de le faire. En tant que basse, je commence aujourd’hui seulement à aborder mon vrai répertoire et ça correspond à mon tempérament : j’aime construire petit à petit.

La voix de basse se développe plus lentement que les voix plus aigües ?

Tout à fait. Quand on est basse, il faut attendre. Comme je ne suis pas téméraire, ça me va très bien. Puis il faut faire avec ce que nous donne la nature. Il est vrai que je suis parfois énervé quand je vois que l’on propose toujours des airs de ténor ou de soprano en concert et jamais de basse alors qu’il y a matière à faire des récitals formidables. La responsabilité n’en incombe pas au public. Je reçois beaucoup de témoignages de gens qui suivent et aiment le répertoire de basse. Il y a un vrai public. Il s’agit plutôt de frilosité : on se dit qu’on ne peut pas concevoir de programme en dehors des ténors et des sopranos.

Et le disque ?

Je ne parlais que du concert mais oui, il est encore plus improbable d’imaginer un album autour d’une voix de basse et c’est vraiment dommage. On a un répertoire formidable mais il est très difficile, ne serait-ce que trouver un lieu de récital. Je vais en faire un cet été à Orange (NDLR : le 1er août dans la Cour Saint- Louis, plus d’informations). J’espère que ça va marcher. J’avais l’embarras du choix dans la programmation. La première partie sera constituée de mélodies, la deuxième d’airs opéra.

En français ?

Oui, uniquement français pour la partie mélodie. Pour la partie opéra, j’ai beaucoup d’airs français mais il y aura aussi Tchaikovski et Rossini. J’aurais très bien pu imaginer un programme d’airs d’opéra uniquement français, sur les diables et tout ça, il y a foison, de quoi faire un récital qui soit homogène et intéressant.

Vous dites que vous n’êtes pas téméraire mais chanter Marke comme vous allez le faire à Bordeaux dans quelques jours, n’est-ce pas une forme de témérité ?

Si mais j’ai 42 ans maintenant. Voilà une dizaine d’année que je travaille le rôle comme ça chez moi. C’est long, j’aurais pu me lancer ou essayer de le faire à trente, trente-trois, trente-quatre ans comme certains peuvent le faire.

On vous l’a proposé à cet âge-là ?

On ne me l’a pas proposé mais on m’a proposé autre chose de Wagner et j’ai dit non.

Pour le moment, votre répertoire wagnérien se limite à un petit rôle dans Les Maîtres Chanteurs ?

J’ai aussi beaucoup chanté aussi dans Tannhäuser en Allemagne, à Paris au Châtelet, dans des rôles de clefs de fa, qui ne sont pas du tout exposés. Mais, moi j’adore Wagner. C’est une grande passion je pouvais donc ainsi interpréter sa musique.

Et l’allemand, vous l’avez appris où ?

J’étais en troupe en Allemagne. J’ai fait une année d’Oberschule et j’ai ensuite été pris en troupe deux ans à Wiesbaden. C’est là que j’ai appris l’allemand et c’est là que j’ai abordé le répertoire, automatiquement.

Et l’Italien ?

L’italien, je l’ai appris quand je suis allé à Venise et à Macerata. D’abord au conservatoire, bien entendu, avec les professeurs de langue et puis par moi-même, en travaillant ce répertoire-là, en Italie, en travaillant avec les chefs italiens, les metteurs en scène italiens et aussi en France. Mais je ne peux pas dire que j’ai vraiment appris l’italien finalement. L’allemand, je l’ai appris de manière plus construite. Je l’ai travaillé. La première année, j’allais tous les jours trois heures le matin au Goethe institut.

Vous modifiez votre manière de chanter en fonction de la langue ?

Oui et non, la clef pour chanter Wagner sans se fatiguer, c’est de le chanter avec le style italien, avec la conduite italienne, je ne sais pas comment l’expliquer. Je ne vois pas tant de différence que ça dans la façon de gérer l’endurance. Dans l’émission par contre, il y a quelque chose en allemand qu’il faut chercher mais qui vient avec la langue, avec les mots que l’on prononce. Si on se penche vraiment sur la langue, sur la diction des mots, je trouve que la vocalité change naturellement, il n’y a pas besoin de se forcer.

De tous les rôles que vous avez déjà abordés, Marke est votre plus grand défi ?

Je rêvais de celui-là particulièrement. C’est le début, je l’espère, d’une aventure. J’ai envie de le chanter plein de fois. Si j’étais vraiment téméraire, j’adorerais interpréter Gurnemanz mais là, le défi est immense.

C’est votre rêve absolu ?

Oui, le rôle est écrasant. Pour un chanteur qui n’est pas allemand, il est d’autant plus écrasant qu’il faut tenir la tension pendant tout le spectacle. Dans Tristan, j’adore la scène de Marke, le personnage, j’adore l’œuvre. C’est une des œuvres de Wagner que je préfère.

On vous présente comme « la basse française du moment ». Comment recevez-vous le compliment ?

Je ne sais pas exactement ce que cela veut dire. Ça fait plaisir, toujours. Je sens ces dernières années que les directeurs me font vraiment confiance, qu’ils me proposent des rôles intéressants. Je n’ai jamais été vraiment carriériste mais quand j’ai débuté, j’avais plein d’envies, comme le Roi Marke, Méphistophélès, Philippe II et je me sentais incapable de le faire, parce que j’étais jeune, parce que je n’avais pas les moyens d’’arriver au bout du rôle. J’y travaillais petit à petit et c’est un vrai plaisir de voir qu’on me les propose aujourd’hui, que l’on a confiance en moi. Après, je ne suis pas la seule basse française et je pense que chacun est complémentaire. J’ai personnellement une affinité avec la musique française, j’aime la musique française, j’aime la chanter. Je ne sais pas si quand on parle de « basse française », on pense à cette affinité.

On pense peut-être aux nombreux éloges qui accompagnent chacune de vos interprétations. Vous lisez les critiques ?

De temps en temps. Je lis pas mal Forum Opéra parce que je le trouve très bien fait et très bien construit. Pas seulement pour les critiques. Il faut faire attention avec la critique. On est toujours sur une ligne de confiance. Quand on perd la confiance, on perd le recul nécessaire ; la critique peut faire mal, c’est évident. Donc, il y a des sites que je ne citerai pas mais que j’évite, des blogs ou des forums où la critique n’est pas construite, n’est que du ressenti et quelquefois va très loin. Sur Forum Opéra, il y a les brèves, les articles de fond et je n’ai jamais vu de critiques blessantes. C’est important, la limite est là. Je me rappelle l’époque… enfin je ne me rappelle pas, c’est mon professeur de chant qui me parlait de l’époque où il n’y avait que la presse écrite, les quatre grands journaux nationaux. Les artistes n’avaient pas de retour, ils venaient, ils chantaient, ils avaient les applaudissements du public qui, au pire, étaient neutres, le plus souvent euphoriques. Ils terminaient leur soirée, rentraient chez eux. A la limite, le lendemain, Le Figaro, Libération ou Le Monde avaient publié un article et c’était fini, on n’en parlait plus. C’était une belle époque quelque part pour l’artiste. Ce qui se passe aujourd’hui peut être terrible.

Quelle est la solution ? Faire l’autruche ?

C’est difficile de faire l’autruche. De toute façon, il y aura toujours quelqu’un qui vous dira « Ah, mais il y a une critique de toi dans … », de façon plus ou moins bienveillante. On est humain donc on sait qu’il y a des retours sur ce que l’on a fait. Ce n’est pas quelque chose d’égocentrique, on fait les choses et puis c’est vrai, on est dans le retour. Une salle qui applaudit, ça fait un bien fou. Après des mois passés à travailler, à douter, c’est un retour formidable. C’est ça aussi qui fait que notre métier est formidable. Quand on sait qu’il y a des retours dans la presse ou sur internet, il est difficile de ne pas aller voir. La pression dans le milieu de l’opéra, je l’ai découverte petit à petit. J’étais violoniste au départ et l’opéra, c’était un monde que je ne connaissais pas. J’ai commencé le chant avant de connaitre l’opéra. Petit à petit, j’ai aimé chanter et puis j’ai aimé l’opéra et maintenant je ne m’en passerais plus. Mais je n’ai jamais rêvé d’être chanteur d’opéra. La pression, je commence à la sentir aujourd’hui… Jusqu’à présent, j’ai fait beaucoup de seconds rôles. Il y a des seconds rôles importants. Gessler dans Guillaume Tell est un rôle très important, central. Le troisième acte peut être très fort ou très faible selon l’énergie de l’interprète. Il y a plein de seconds rôles très importants pour une basse mais les gens s’en fichent un peu finalement. Quand on commence à aborder Philippe II ou d’autres icônes de ce type, le public est nettement moins conciliant. Donc on verra dans les mois à venir.

Philippe II pour une basse, est-ce comme Otello pour les ténors ?

Oui, je pense.

Plus que le Roi Marke ?

Pour moi, ils sont au même niveau mais, pour la plupart des basses, Philippe II l’emporte. Wagner, c’est un répertoire un peu spécial que tous les chanteurs n’aiment pas. Il faut entrer dans l’univers. Il faut aimer Wagner pour faire du Wagner. Il faut adorer ça, il faut avoir une passion pour ça. La première fois que j’ai écouté un opéra, j’avais seize ans, c’était La Walkyrie, j’ai trouvé ça énorme. Avant je n’écoutais que de la musique symphonique, j’étais classique. Puis, vous savez, au conservatoire, les chanteurs d’opéra sont considérés comme un peu fous. Ils viennent avec leurs écharpes, ils font leurs vocalises dans les escaliers et nous, jeunes musiciens, on rigolait…

Qu’avez-vous lu pour vous préparer au rôle de Marke ?

Rien. Je ne sais pas pourquoi mais je n’en ai pas besoin… J’ai lu tout le livret de Tristan et pour l’instant, c’est tout.  De toute façon, j’ai une grande interrogation, je ne sais pas ce que va être cette mise en scène à Bordeaux. C’est toujours pareil, on répète seul dans son coin avec le chef de chant quand il s’agit de mettre en œuvre la vision d’un homme, le metteur en scène.

Est-ce que votre progression dans votre carrière vous contraint à abandonner certains rôles ?

Non, c’est un peu l’avantage de la basse. Par exemple, le Roi Marke, c’est une scène écrasante mais elle ne dure que quinze minutes. Vous ne chantez pas les quatre ou cinq heures de l’opéra. Je pense que ça permet – je vous dirai ça plus tard – de continuer à envisager un Barbier de Séville ou un Comte Ory.

Vous pensez qu’après Marke, on peut revenir à des rôles secondaires ?

La question est plutôt là. Voilà dix-huit ans que je travaille. J’ai commencé tôt, à vingt-trois ans à l’Opéra-Comique. J’ai chanté beaucoup de petits rôles, de seconds rôles et j’étais ravi. Je disais une phrase au Châtelet dans Arabella avec Karita Matilla, j’étais comme au paradis ; c’était formidable. J’ai fait Tannhäuser avec Ludovic Tézier, Peter Seiffert. Qui ne serait pas heureux ? Puis, petit à petit, on se lasse un peu ; on a envie d’autre chose. Quand on commence à gouter à des rôles plus importants, il est difficile de faire demi-tour.

C’est toute la difficulté de gérer sa carrière… Votre agent vous conseille ?

Non, il me laisse complètement libre dans mes choix. Je sais que je ne serai pas bon si je n’ai pas confiance en moi. C’est la première des choses : avoir confiance en moi. Après, je peux me tromper…

Vous avez fait des erreurs ?

Je ne pense pas. Mais encore une fois, je ne suis pas téméraire… Si on regarde tout mon parcours, des collègues chantaient bien plus jeunes des rôles qu’aujourd’hui je n’oserais pas encore chanter. Mais chaque voix est différente et chaque artiste est différent. Je ne pense pas avoir fait d’erreur, je pense avoir assumé à chaque fois vocalement, scéniquement et artistiquement les rôles que j’ai incarnés. Après, on aime ou on n’aime pas, c’est autre chose.

Comment avez-vous travaillé votre diction française ?

J’ai eu une professeur, Jane Berbié, qui a toujours mis l’accent sur l’intelligibilité. Et plus que ça, je pense que le manque de compréhension du chanteur vient souvent d’une façon qu’il a d’appréhender sa voix, de la trafiquer. Pour une basse, c’est compliqué : on chante des rôles de roi, de diables, de vieillards qui demandent une maturité et on a très vite envie, lorsqu’on travaille ces airs-là, de les trafiquer. C’est pour ça qu’il ne faut pas les travailler trop tôt, ça sonne tellement vert, on peut avoir tendance à assombrir la voix mais ce n’est pas notre voix. Dès qu’on entre dans ce jeu, à truquer le timbre et la projection, on perd automatiquement en intelligibilité. On est dans la fabrication de quelque chose qui viendra plus tard, au lieu d’être dans le texte. Il faut juste avoir la patience d’attendre que ça vienne. La solution, c’est le naturel. Plus la musique est belle, plus elle est prenante et plus il faut penser au texte. Sinon le texte s’en va. Dans des rôles comme Gessler, les phrases ne sont pas compliquées, mais quand on fait Philippe II ou le Roi Marke, c’est tellement beau musicalement que l’on peut s’embarquer dans un truc très instrumental et perdre le sens des mots. Alors que dans les airs de Philippe II, il raconte des choses très fortes, aussi fortes que la musique. Au final, une émission naturelle et saine ne peut qu’aider à la compréhension du texte.

Vous avez toujours un coach vocal ou un professeur ?

Je continue toujours à voir Jane dès que je peux. Mais elle m’a dit – et elle a raison quelque part – : « Maintenant vous avez des outils, des armes, il faut aussi vous débrouiller tout seul. » Je continue à voir des chefs de chants qui ont une très bonne oreille et qui savent pointer les choses parce qu’on ne sait pas tout entendre. Avec le rythme de travail, c’est parfois difficile de trouver du temps.

Vous écoutez vos enregistrements ?

Pas tout de suite mais je m’enregistre beaucoup chez moi, pour travailler. Il y a des moments où je m’enregistre sans arrêt.

Vous travaillez beaucoup ?

Trois ou quatre heures par jour. J’ai gardé ça du temps où je faisais du violon, je travaillais quatre ou cinq heures par jour et mes professeurs me disaient que ce n’était pas suffisant. Donc j’ai toujours eu cette habitude et j’ai toujours aimé ce travail de préparation. Je suis un bosseur pas téméraire. J’adore le processus de préparation. Comme ça, le rôle vient petit à petit et je ne suis pas stressé.

Ce répertoire français que vous aimez défendre est-il vraiment de qualité égale ?

Je pense que oui. C’est surtout une question d’interprétation. J’ai fait deux fois Mignon d’Ambroise Thomas dont une avec Sophie Koch et Diana Damrau à Genève (NDLR : voir le compte rendu). C’est une œuvre faible d’un point de vue dramatique mais la musique est tellement belle. J’ai vraiment été étonné de l’accueil du public, très chaleureux. Je me suis dit : « Au moins, on défend la musique ». On est aussi à l’opéra pour la musique, il ne faut pas l’oublier. Moi quand j’écoute la musique, je m’imagine plein de choses. Je pense que le public de l’opéra – des retours que j’en reçois – aime d’abord la musique. Je pense que même si ce répertoire est plus faible que d’autres et donc moins joué, il ne faut pas pour autant l’abandonner. A une époque, on ne jouait plus Massenet et maintenant on y trouve un intérêt, même scéniquement ! Il y a de très belles pièces dans le répertoire français pour les basses. Chez Berlioz, chez Gounod, ne serait-ce que le diable dans La Damnation de Faust !

Souvent on manque de chanteurs capables d’interpréter ce répertoire…

C’est vrai qu’en France, on manque d’artistes pour ce répertoire. Les ténors dans Meyerbeer, par exemple… Je me trompe peut-être, je ne connais pas tous les artistes français. Je serais fort intéressé d’entendre comment ils chantaient à l’époque. Aujourd’hui, on va chercher Bryan Hymel pour interpréter Robert, le diable. Mais le résultat n’est pas toujours aussi heureux. J’ai vécu une super aventure l’année dernière : Herculanum en concert au Château de Versailles, qui va sortir en disque (NDLR : voir le compte rendu de Laurent Bury). L’œuvre est superbe. Musicologiquement et historiquement, ça vaut le coup de refaire de temps en temps ce genre d’oeuvre. C’est notre histoire à nous, l’histoire de la musique française. Les Allemands défendent à fond leur musique, les Italiens aussi, alors pourquoi pas nous ? Herculanum s’est avéré une œuvre magnifique, que j’imagine très bien mise en scène même s’il faut l’adapter, faire des coupures mais on fait des coupures partout donc pourquoi pas dans Herculanum ?

Vous avez quel contact avec votre public ?

J’ai un compte Facebook, un compte Twitter donc automatiquement, le public ou les mélomanes peuvent me suivre. Les réseaux sociaux sont là pour ça.

Les réseaux sociaux sont indispensables pour un chanteur aujourd’hui ?

Oui, tous les directeurs de casting ont un compte  Facebook et nous suivent. Ils ont un compte Twitter aussi. Les anglo-saxons ont tous Twitter et ils vous suivent, ils sont au courant de votre actualité. C’est un outil comme un autre mais c’est aussi un outil de partage. Je me suis mis sur Facebook pour être en contact avec mes collègues. On s’entend bien après une production mais on ne va pas s’appeler tous les deux jours et Facebook permet de rester en contact, de se retrouver. Ensuite comme le public s’est aperçu que nous nous étions sur Facebook et Twitter, ils nous ont rejoints.

Votre pseudo twitter, @tamura73, n’est pas très explicite.

Evidement. En fait au début, je ne comprenais rien à Twitter. Quelqu’un m’a persuadé de créer un compte et je me suis rendu compte que c’était pas mal pour suivre l’actualité des médias. Comme j’adore l’Asie et le Japon, j’ai choisi pour pseudo le héros d’un roman de Murakami, qui n’a rien à voir avec l’opéra. Ensuite mon compte a pris une dimension plus professionnelle mais je ne sais même pas comment le changer. Et puis j’ai ma page Facebook que je mets à jour moi-même, ce n’est pas difficile non plus. Je fais ça le matin en prenant mon café.

Avec votre carrière, vous êtes souvent à l’étranger. Vous arrivez à gérer une vie de famille ?

L’année prochaine je n’ai qu’un contrat en France mais j’ai une famille formidable qui le comprend. Je refuse beaucoup de choses parce que ma vie de famille est aussi importante que ma vie d’opéra. Je serais malheureux sans ma vie de famille et inversement. Je fais des concessions, j’essaye de ne jamais enchainer deux productions, ce qui énerve parfois les gens du métier mais ils le comprennent dans le fond : plus d’un mois sans rentrer chez soi, c’est dur ! J’ai toujours eu ce sentiment mais j’ai deux garçons et ils ont de plus en plus besoin de moi et ils sont aussi importants que la scène. C’est mon équilibre. Mais ce n’est pas toujours facile. Parfois il y a des propositions clés que l’on ne peut pas refuser. Alors on essaye de s’organiser. Mes fils me suivent dès que possible. Ils sont toujours avec moi pendant les vacances. Je suis un homme. Imaginez, c’est encore plus compliqué pour une femme ! Il faut aussi que votre compagne ou compagnon comprenne que pour vous votre métier est essentiel, comprendre que vous vivez des choses qui sont très fortes, complètement déconnectés de votre famille. Puis il faut atterrir tout de suite quand on revient.

Vous écoutez de la musique chez vous quand vous êtes off ?

Oui mais de la musique classique, du jazz, pas forcément de l’opéra.

Vous pourriez faire du cross-over ?

Why not ? J’aimerais beaucoup. J’aimerais chanter du jazz, j’en rêverais mais je ne suis pas sûr d’avoir le talent d’improvisateur, de pouvoir chanter des standards.

Est-ce que l’art lyrique vous semble suffisamment promu en France ?

S’il était plus promu, on aurait beaucoup plus de public. J’ai vu des générales, une générale de Freischütz à Montpellier, la salle était remplie de collégiens qui n’avaient jamais entendu du Weber de toute leur vie. Ils étaient à la sortie à nous attendre, ils ont adoré. Pourquoi n’adoreraient-ils pas ? Les gens ne sont pas insensibles. Aller voir un spectacle d’opéra avec de la musique en live, avec une mise en scène, des artistes qui se donnent sur un plateau, est une expérience unique. A Paris, les gens vont aux spectacles mais en province – je le vois, j’y vis –, les gens ne vont pas aux spectacles parce qu’il y a très peu de spectacles. L’Opéra de Rennes propose trois spectacles quatre fois par ans et c’est énorme. Ils ont très peu de moyens. Les gens n’ont pas d’offres et restent devant leur télévision. Ils ne connaissent plus le live, ils ne connaissent plus cette sensation mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’aimeraient pas. Puis certains médias renvoient une image has been de l’opéra. Selon eux, l’opéra, c’est la Castafiore. Ils ne se sont même pas rendus compte que l’opéra a évolué parce qu’ils n’y vont jamais. Quand j’invite des gens qui ne vont pas souvent à l’opéra, ils adorent et ils y retournent. Bien entendu, on n’aime pas forcément tous les répertoires. Mais quand les gens vont au cinéma, ils vont tous voir Le Seigneur des Anneaux et c’est la même musique. Pourquoi n’aimeraient-ils pas Mahler ? Vous comprenez ? Il y a vraiment un travail à faire !

Quel serait ce travail ?

Les productions d’opéra coûtent cher et les billets coûtent cher. Leur prix parait élevé pour quelque chose qui ne passionne pas ou que l’on ne connait pas. Quand j’étais en Allemagne, il y avait tous les jours des places à dix marks. A l’époque, c’était rien et les gens, les jeunes venaient et ne risquaient pas grand-chose puisqu’ils n’avaient pas dépensé beaucoup d’argent. De toute façon, il y a beaucoup trop peu de soirées d’opéra en France. Pour qu’il y ait un public, il faut qu’il y ait une offre. Quand je vois Rennes, c’est emblématique : c’est une petite ville de province avec beaucoup d’étudiants et les abonnements sont vendus en quelques heures. Si un soir, on se dit « tiens il y a La traviata », c’est impossible, il n’y a plus de place. Après, les gens pensent qu’il n’y a jamais moyen d’aller à l’opéra. Quand j’étais en troupe en Allemagne, on faisait malgré tout quatre spectacles par semaine et il y avait un public, les salles étaient toujours pleines. Je vous l’assure ! Il y avait quatre opéras, trois ballets. Les salles sont pleines parce qu’il y a une offre et, petit à petit, les gens aiment y aller. Et puis c’est moins cher parce que les chanteurs de troupe ne sont pas ce qui coûte le plus cher. J’ai chanté dans des Carmen qui avaient quatorze ans. Depuis le temps, le coût de la production était rentabilisé. Alors que maintenant on joue cinq fois un spectacle et les décors sont brûlés… A l’Opéra de Paris, parait-il, le décor du dernier Ring va être brûlé. Il a trois ans et je n’ose même pas imaginer combien il a coûté… Il faut dans ces cas-là être pragmatique. Deuxième chose qui me fait mal : les conservatoires n’ont jamais été aussi pleins de jeunes qui veulent apprendre à chanter, mais pas apprendre à chanter du Johnny Halliday, chanter le chant lyrique.

Comment l’expliquez-vous ?

Je ne sais pas. Internet peut-être. Avec YouTube, vous tapez « opéra » et vous pouvez faire votre propre éducation. Je connais des jeunes qui ont découvert comme ça Anna Netrebko, puis qui ont commencé à chercher et maintenant ils écoutent un peu de tout et ils viennent aux spectacles, ils vous contactent sur Twitter et, petit à petit, ils se rendent compte que c’est un milieu comme un autre et ils se passionnent. Ils vont acheter des disques, acheter des billets et ils ont très souvent envie d’apprendre à chanter. Ils sont nombreux à essayer les concours d’entrée, beaucoup plus qu’à mon époque. Ils font leurs études et, en France, après les études, c’est impossible de chanter parce que tous ces seconds rôles que j’ai eu la chance d’interpréter, il est dorénavant très compliqué de les décrocher.

Quel conseil leur donneriez-vous ?

De partir en Allemagne, de partir à l’étranger. C’est un peu triste. En plus l’opéra est subventionné chez nous par les pouvoir publics. Comment voulez-vous que l’école de chant français continue à se développer si, dès le départ, ces jeunes chanteurs ne peuvent pas faire leurs armes sur une scène ? Je pense qu’il n’est pas très risqué d’engager un Morales ou Zuniga français sur une grande scène nationale.

En termes de démocratisation, que pensez-vous de l’opéra au cinéma ?

C’est bien mais c’est une démocratisation à moitié parce que les places restent chères. A vrai dire, je n’aime pas trop l’opéra au cinéma ou à la télévision, parce que je l’ai vécu en live donc je sais ce que l’on perd. Mais beaucoup de personnes ne peuvent pas aller au théâtre et pour eux, la télé, surtout Mezzo ou France Télévision, c’est intéressant. Attention, tout de même : depuis que le Metropolitan Opera à New York a lancé la formule, sa vente de billets a diminué. Les places sont tellement chères que les gens se sont dit qu’ils iraient aussi bien au cinéma, on y voit mieux les artistes. Pourtant, un chanteur en gros plan n’est pas toujours flatté.  Quand on chante, l’engagement est tellement physique que l’image peut en prendre un coup.

Vous travaillez votre image ?

Oui. On a bien senti depuis quinze, vingt ans dans les castings que le physique devenait important, que les metteurs-en-scène avaient vraiment des demandes précises et que si on avait des kilos en trop ou qu’on ne correspondait pas exactement à l’image souhaité, on pouvait ne pas avoir un rôle même si on chantait magnifiquement bien. On a l’impression que le public est sensible à ça aussi. Les sopranos doivent être des égéries, les ténors des beaux gosses. Je n’aime pas poser en tenue d’opéra. Tous les jours, je vais faire les courses, ma lessive. Donc j’aime bien montrer ça, comme le font les comédiens. Finalement, on n’est pas différent des autres.

Est-ce que le métier de chanteur est un métier dans lequel on se sent seul ?

Terriblement oui, complètement. Et puis tant que vous êtes en forme, que tout va bien, vous êtes la basse française dont on parle et puis le jour où ça bascule, vous n’êtes plus rien. Ca va très vite, on le voit autour de nous, on le lit dans les histoires comme celles de la Callas, assez emblématique. Il faut garder ça à l’esprit.

Vous vous y préparez ?

Oui, la solitude, elle vous tombe dessus au début. Vous pensez que c’est un milieu où vous allez vivre des choses très fortes humainement et vous vous rendez vite compte que ça arrive quelques fois – et c’est vraiment fort pour le coup – mais dès que la dernière représentation est finie, c’est fini. C’est complètement éphémère. J’ai la grande chance d’avoir une famille, d’avoir construit des choses à coté mais j’aurais très bien pu ne pas avoir ça. C’est un métier qui peut être dur, vous êtes seul avant la production, vous êtes seul pendant la production parce que, fatalement, quand il s’agit de chanter, tout le monde vous attend au détour et quand vous n’apportez pas exactement ce que l’on attend, vous le sentez. Mais l’envie d’être sur scène et de chanter tout ce répertoire vous fait tenir, ainsi que le moment de partage avec le public. Après, on retourne dans son quotidien. Voyager sans arrêt, les gens trouvent ça formidable mais ce n’est pas forcément fun. Vous êtes dans des grandes villes mais stressé par ce que vous avez à préparer. Vous n’êtes pas chez vous. C’est assez déséquilibrant. On voit parfois des artistes qui ne tiennent pas et on est parfois durs avec eux parce que les gens ne veulent entendre que le résultat final. Ils ont raison quelque part, ils ont payé leur place. Cet été, je chantais dans Nabucco aux Chorégies d’Orange au moment où l’intermittence était renégociée. Tout le monde avait voté qu’il était hors de question de faire grève mais les équipes techniques voulaient qu’un petit texte soit lu avant la représentation. On m’a demandé de le lire, j’ai dit « oui, sans problème ». J’ai réussi à lire une minute et demie avant que la moitié des quatre mille personnes ne se mettent à hurler. Et là, vous vous sentez à nouveau très seul parce que vous ne faites rien de violent. J’essayais uniquement de parler de notre situation. Mon frère était dans le théâtre et il m’a raconté que les gens criaient « C’est nous qui te payons, t’as qu’à chanter, ferme ta gueule ! », des choses comme ça. On est seuls aussi par rapport à ça. C’est un peu la condition de l’artiste finalement. Mais je ne me plains pas, on est faits pour ça, j’accepte la situation. On est dans l’échange, on est dans la musique. Oui, quelquefois, on fait des erreurs, quelquefois on chante un peu trop tôt des rôles un peu trop lourds. Mais il faut prendre des risques, quelquefois…

Propos recueillis à Paris le 16 février 2015

 

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